Chapitre 3
A cause du proviseur, je ne rentre chez moi qu’à sept heures moins le quart.
En ouvrant la porte de l’appartement, je comprends tout de suite qu’il est vide. Une bouffée de colère me prend. Ce n’est pas comme si on ne s’était pas crié dessus pendant une demi-heure sur ce sujet avec mon père ! Je ressors en vitesse et file vers l’école de ma petite sœur. Je fais le calcul, le clae ferme à six heures et demie, le temps que j’y arrive, il me faut une dizaine de minutes, ça voudrait dire que Clara sera dehors depuis presque trente minutes. Je serre les dents. Jasmine, mon petit trésor.
Si un jour il lui arrivait quelque chose, jamais je ne le pardonnerais à mon père. J’arrive devant les grilles de son école. Elle est recroquevillée près du portail, elle a dû pleurer. Je m’avance doucement. Je me demande si un passant a eu l’humanité de s’arrêter pour lui demander si elle allait bien. La voir comme ça, ça me tue de l’intérieur. Ca me rappelle quand elle avait trois ans et qu’elle était inconsolable. Elle pleurer qu’elle voulait sa maman, et papa s’énervait, se saoulait encore plus, et s’énervait encore. Ce qui n’arrangeait en rien l’état de ma sœur.
Pour la faire courte, ma mère est partie sans rien laisser, du jour au lendemain, alors que je n’avais que dix ans, me laissant seul avec mon père et ma toute petite sœur. Mon paternel a été totalement détruit par le départ de ma mère. Il l’aimait comme un fou mais apparemment ce n’était pas son cas.
Dans les premiers temps, il a essayé de faire de son mieux pour ne pas sombrer et s’occuper de nous mais très vite, je l’ai perdu lui aussi. Depuis environ cinq ans, il enchaîne les courtes -voir très courtes- histoires, boit, fume et plus encore. D’où mon aversion pour la drogue. Je me suis donc quasiment toujours occupé de tout depuis que ma pseudo-mère nous a abandonnés. Lupa dit souvent que je devrais faire partie du livre des records : à à peine onze ans, j’étais un père, un frère, un professeur et un médecin.
Je la prends doucement dans mes bras en lui demandant pardon. Dans le creux de mon cou, je la sens me répondre que ce n’est pas grave. Du haut de ses sept ans, elle comprend bien des choses qu’elle ne devrait pas savoir. Elle sait par exemple que si papa n’est pas là à la sortie de l’école, ce qui arrive très souvent, c’est qu’il est trop bourré pour penser à sa fille et que j’arriverai la chercher le plus vite possible.
Je ne passe pas ma vie à errer dehors, loin de là. Le matin, je me lève à cinq heures pour faire mes devoirs et me préparer. J’emmène ma sœur au clae à sept heures et demie pour arriver au lycée avant huit heures. Mes cours se finissent souvent à dix-huit heures alors je vais chercher Jasmine et dans le meilleur des cas je suis à la maison à six heures et demie. Là, je m’assure que le professeur de mon trésor ne lui ai pas donné de devoir. Je range le bordel qu’a fait mon père durant la journée, je joue dix minutes de guitare si j’ai le temps et à sept heures et demie, je fais manger ma sœur.
Mon père peut débarquer à l’appartement jusqu’à pas d’heure, et souvent il me réveille. Mais je préfère ça que devoir m’occuper de lui aussi le soir. Quand j’ai vraiment besoin de décompresser, alors je sors faire la fête ou voir un amie. Mais dans ce cas, je dois être sûr que Jasmine va bien.
Ce soir, je resterai à la maison. Jasmine n'allait vraiment pas bien alors je lui ai lu son histoire préférée, Le petit prince. Elle dit souvent que je suis le petit prince et elle, Antoine de Saint-Exupéry. Parce que quand elle pose des questions, je ne lui réponds pas vraiment et qu'elle doit prendre soin de moi. C'est drôle la manière dont les enfants voient le monde mais quand j'y pense, c'est vrai, elle s'occupe un peu de moi. Sans elle, je me sentirai vraiment seul...
***
Le lendemain, je me rends à la salle 105, alias la salle aux mystères. Comme personne n’y rentre jamais, beaucoup de rumeurs courent à propos de cette pièce. En fait elle est un peu comme moi. Elle ne fait rien de mal, elle est juste là et elle laisse courir les dires. Bien qu’elle soit grande, elle est quasiment vide. Je m’assoie donc au seul endroit possible : le bureau. Quoi, je n’allais pas me mettre dans l’armoire.
C’est exagéré quand même, il n’y a pas une chaise… Je suis arrivé un quart d’heure plus tôt que ce qu’indiquait la convocation alors je sors mon téléphone pour écrire mon prochain poste. J’écris un peu sur tout et la salle 105 m’inspire. Je tente alors de l’imaginer à l’époque où elle était vraiment utilisée. Tout à coup, j’entends une porte claquer. Je relève la tête et hausse un sourcil en voyant Lucie. Elle porte un gros sweet noir et des bottes noires et un pantalon noir… Elle doit être du genre à vouloir se fondre dans la masse. En me voyant, elle semble déstabilisée :
- Je… désolé. Je dois m’être trompée de salle.
- T’es ici pour le club ? je demande
- Oui…
- Le principal a dit qu’il passerait nous dire ses « attentes ».
- Nous ?
- Oui, grâce à toi. Je suis obligé d’être ici.
Aussitôt les mots sortis de ma bouche, je les regrette. Dans ma tête, ça ne me semblait pas si abrupt. Il faut croire qu’à force de jouer le gros dur insensible, je le deviens… En grommelant, je retourne vite à mon écran. Ma camarade s’avance vers moi et pose son sac au pied du bureau. M. Gérard entre alors bruyamment dans la salle et s’exclame hypocritement :
- Alors, heureux de prendre la suite de ce merveilleux club ?
Je ne peux m’empêcher de grogner pour lui signifier à quel point je n’ai pas envie d’être là et je vois du coin de l’œil Lucie faire une moue. Elle non plus ne semble pas enchantée.
- Dans un petit mois, ce sera la fête de Noël. Depuis quelques années il y a de moins en moins d’élèves qui y viennent. Vous êtes jeunes, dynamiques, je suis sûr que vous trouverez de merveilleuses idées pour attirer du monde au lycée. Je sais que vous n’avez pas beaucoup de temps mais faites du mieux que vous pouvez. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à me demander. Vous avez carte blanche !
Et il tourne les talons sans rien ajouter. Mon cerveau cherche à pleine vitesse une manière de l’aborder sans paraître trop couillon. J’ai l’habitude de parler aux fillex mais elle est différente. Elle dégage une aura tellement sérieuse, elle ne me semble pas simple à approcher comme ça. Soudain, une idée germe et avant même que je ne la valide, je commence à parler.
- Carte blanche, mon œil. Le seul moyen de rameuter la troupe c’est de mettre de l’alcool, ce qui nous est interdit. On se demande pourquoi tout le monde préfère aller chez Bins. Enfin, vu que je ne suis plus seul, je vais pouvoir te laisser faire le travail.
- C’est une blague !
Là, le plus sensé serait de dire « Oui, je vais plutôt venir chez toi passer quelques après-midi pour te parler » mais ma langue en décide autrement.
- Bien, alors trouve les idées, je les confirme et on donne ça au principal.
- Tu fais toujours rien.
Futée la gamine. Maintenant, place au chantage.
- Ecoute, tu n'auras qu’à venir à la fête de Bins, comme ça tu comprendras pourquoi je ne veux pas perdre mon temps sur cette soirée au lycée. Et moi, je te promets de bien relire ce que tu auras fait et même d’y faire des modifications !
Elle semble réfléchir deux minutes et je prépare mon prochain argument. Pourtant, elle souffle et acquiesce. Si on m’avait dit que ce serait si facile…
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