Pdv Lucie

Cela fait deux heures que je planche sur le projet de fête. Je n’en peux plus de faire des recherches qui ne mènent à rien sur des guirlandes et des calculs plus complexes les uns que les autres à cause du budget. Je suis une bosseuse mais pas une matheuse et quand même la calculatrice me dit « ERREUR », c’est que je suis mal. Je m’apprête à abandonner et à me fourrer sous ma couette avec un bouquin quand j’entends sonner à la porte. J’habite seule dans ce T3 même si je ne suis qu’en seconde. Mes parents passent la nuit ici dès qu’ils peuvent mais j’aime bien cette pseudo-indépendance. Je ne rentre dans mon petit patelin que le week-end et le mardi une semaine sur deux, parce que je commence plus tard le mercredi. Bref, un emploie du temps des plus complexes.

Je me lève donc de mon bureau pour aller ouvrir et tombe nez à nez avec ma voisine de palier. Je l’ai croisée quelques fois dans les escaliers mais nous ne nous sommes jamais parlé. Je sais qu’elle est au lycée aussi. Je l’y ai déjà vu. Mais elle et moi, on n’est pas du même monde. Elle est belle et populaire, moi, je suis juste dans la moyenne et je suis la petite intello à lunettes du premier rang que l’on ignore (sauf pour les devoirs). Son visage se fend d’un grand sourire et laisse entrevoir une dentition parfaite qui me fait rager. Même moi qui sors de l’enfer d’avoir un appareil dentaire n’ai pas des dents si blanches !

- Bonjour, je suis ta voisine, Leïa. Je me disais qu’on pourrait discuter toutes les deux. Il y a une réunion des locataires de l’immeuble et on pourrait discuter ensemble, au préalable, de ce qu’il y a à améliorer.

Elle parle d’une traite, comme si elle avait répété cent fois son discours avant de venir.

- Je ne suis pas vraiment intéressée. Puis j’ai du boulot.

A vrai dire, je suis juste affreusement asociale. J’y vais peut-être un peu fort, mais je n’ai aucune confiance en moi.

- Oh. On p-pourrait faire ça à-à-à…

Je vois la jeune femme pleine de confiance blanchir devant moi. Elle bégaie. J’ai lu un jour qu’il valait mieux laisser la personne se débloquer elle-même plutôt que de finir sa phrase à sa place. C’est démotivant pour elle sinon. Alors je ne sais pas si c’est vrai, mais je décide de la laisser trouver ses mots. Au bout de plusieurs secondes d’hésitation, elle finit par dire :

- Faire ça plus tard.

Elle se tord les mains, on dirait moi… Je pense à la manière dont elle se pavane dans les couloirs. Je pourrais me moquer. Mais je ne suis pas comme ça. Je sais que les mots, même les plus banals, peuvent finir par faire très mal.

- Si tu veux. Mais je n’ai pas beaucoup d’idées. A vrai dire, j’ai plutôt l’esprit accaparé par des paillettes et des petits papas Noël.

Tout à coup, son regard s’éclaire.

- Tu prépares une fête ?

- Oui, celle du lycée.

Ses yeux redeviennent ternes à ces mots. Comment peut-on être si expressif ?

- Tu es à quel lycée ?

- Au Styx. Pourquoi ?

Je sais très bien pourquoi elle me demande ça. Elle, elle ne m’avait pas remarquée parce que je suis dans l’ombre. Mais ce n’est pas mon cas, et elle vient de bégayer devant moi. Alors, je décide de prendre les choses en mains après un coaching moral.

- Si tu t’inquiètes parce que tu as bafouillé, ça n’est pas la peine. Je ne suis pas du genre à colporter les ragots et sincèrement, ça ne me concerne pas.

Elle soupire et ses épaules se relâchent. On dirait un ballon qu’on dégonfle.

- Merci. Généralement je fais attention à ce que ça ne se sache pas mais je ne savais pas que tu étais au Styx.

- Oui, je suis du genre à me fondre dans la masse.

- Je suis super douée pour tout ce qui est festivités. C’est même moi qui aie organisé le mariage de mon père. Tu veux un coup de main ?

Je souris de soulagement. Je vais réussir à finir ce projet !