Chapitre 2 : De la tête au talon; de haut en bas.

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                II . A CAPITE AD CALCEM
            « De la tête au talon ; de haut en bas. »

Pendant ce temps, au-dessus de la terre, évoluait, à vive allure, une gigantesque étoile filante à la teinte bleu-argent. C’était le séraphin qui tombait, toujours inconscient.

Dans l’immensité stellaire, pas de bruit, pas même un souffle. Derrière lui, des milliards d’étoiles étincelaient, des astres se croisaient, se frôlaient, se percutaient. Des galaxies tourbillonnaient sur elles-mêmes telles des toupies aux couleurs fabuleuses. Tout cela dans le silence le plus parfait et dans l’ignorance la plus totale du monde vers lequel l’envoyé se dirigeait. Face à lui, la Terre. De plus en plus grande et toute bleue.

Passé la thermosphère, les ailes qui étaient accrochées à sa tête s’enflammèrent et laissèrent apparaître son visage. Malgré le millénaire passé en geôle, il n’avait pas une ride, il avait grandi car il n’était qu’un enfant à son arrivée mais très lentement.

Une fois entré dans la stratosphère, le frottement de l’air s’accrut davantage. Les ailes placées au niveau de ses chevilles se mirent à brûler à leur tour. La chute était longue. Dorénavant d’apparence plus « humaine », le séraphin n’était plus. Ne lui restait qu’une paire d’ailes, il n’était plus qu’un ange, aux traits d’adolescents.

Les ailes perdues lui conféraient des pouvoirs spéciaux comme la furtivité et la clairvoyance mais il devait maintenant s’en passer. Les connaissances acquises dans les livres étaient les seuls pouvoirs dont il disposait en dehors d’une vue plus que parfaite et une force incroyable. C’étaient là les pouvoirs de base octroyé à un ange à son arrivée au paradis.

L’obscurité spatiale se souleva peu à peu, laissant apparaître une bouche fine ; un nez droit et un regard comme émergeant à peine du sommeil. Ses yeux commencèrent à s’ouvrir, on en devinait à peine la couleur. La lumière devint d’un seul coup aveuglante. Un épais bruit sourd retentit ensuite, puis plus rien. Le noir complet. L’ange était arrivé sur terre et pas n’importe où.

Suite à l’impact, un vaste nuage de poussière et de fumée envahit une grande place publique. Fortement fréquentée, cette dernière se vida très rapidement dans un vacarme terrifiant. Des cris, des pleurs, des évanouissements et un brouhaha assourdissant émanait de la foule terrorisée. Au milieu de toute cette agitation, on pouvait lire l’effroi sur les visages. Dire qu’une minute auparavant, le Champ-de-Mars était encore un lieu paisible, baigné de soleil où régnaient joies parentales, insouciances enfantines, roucoulades amoureuses et émerveillements touristiques.

Si le rire se communique ; la peur, elle, saisit corps et cœurs en un éclair. De la tour Eiffel s’échappaient des torrents de personnes qui, paniquées, se bousculaient pour fuir ce cauchemar soudain. Dans la cohue, on pouvait distinguer des mots comme « bombe » ; « attentat » ; « séisme » ; « mort »… la confusion et la panique étaient totales.

Les secours arrivèrent aux pieds de la tour, ajoutant au bruit présent le vacarme de leurs sirènes stridentes. Ils tentèrent de se frayer un chemin pour aider les blessés. L’affluence et l’état de frayeur des victimes s’extirpant du monument étaient tels que les accès se voyaient momentanément bloqués.

Les quelques policiers et soldats déjà présents sur le site lors de l’impact tentèrent de canaliser la foule pour en réguler le flot. En à peine plus d’une demi-heure, la grande majorité des blessés fut évacuée pour que le maximum de monde soit mis hors de danger.

Le nuage et le bruit s’étant quelque peu dissipés, un périmètre d’extrême sécurité fut installé tout autour du cratère, entre la tour Eiffel et le Champ-de-Mars. Très vite, on compta le nombre de victimes, il n’y avait qu’une cinquantaine de blessés dont six au pronostic vital engagé, aucun décès, cependant, ne serait prononcé suite à cet évènement-là.

A quelques kilomètres de là, dans un bureau de la base militaire de Villacoublay, un homme en costume sombre regardait des écrans avec grand intérêt. Sur un moniteur, des images satellites en direct de la zone de la tour Eiffel ; sur un autre, les informations en continu montrant un robot de déminage qui avance vers la crevasse ; la vue de la caméra embarquée de l’automate sur un dernier.

Il ouvrit un tiroir et saisit le téléphone qu’il contenait. Il ne composa aucun numéro. Après quelques secondes, il prit la parole :

– Monsieur le président, je prends en charge cette affaire.

Il raccrocha. Se leva. Enfila une paire de lunette noire. Saisit une arme et se dirigea vers la porte de son bureau.

Sur le lieu de l’impact, la police scientifique, la brigade de déminage et un lourd renfort de la police nationale et de sapeur-pompiers étaient arrivés et s’étaient installés en moins d’une heure. Le petit robot militaire dont la caméra était placée au bout d’un bras articulé, se tenait devant le gouffre. On apercevait, en retrait, une colonne de la BRI. Ils étaient cinq, lourdement équipés, derrière un bouclier et l’un d’entre eux tenait le dispositif de commande. La tension était à son comble. Ils attendaient l’ordre de leur chef. Le commissaire divisionnaire Oulacci, les tempes grisonnantes ; la moustache finement entretenue ; un très léger embonpoint relatif aux années de commandements laissait tout de même deviner un passé actif. Il se tenait à une vingtaine de mètres d’eux et avait dans une main un talkie-walkie.

– Qu’est-ce que c’est que ça encore ?! Bougonna-t-il au vrombissement d’un hélicoptère en approche.

Il se retourna et constata qu’un hélicoptère officiel se posait non loin derrière lui. Il comprit alors que son temps était compté. Il ne tiendrait plus les rennes très longtemps donc il s’empressa de donner un ordre.

Le bras tenant la caméra s’allongea, flash allumé, et pivota pour filmer l’intérieur de la crevasse. Le robot avança un peu plus tout en baissant son bras pour filmer sous terre.

Un bruit sismique se fit entendre sans que nul ne sache d’où cela provienne. Cela fit trembler le bras chétif de l’appareil qui recula de quelques centimètres. Deux autres battements semblables mais un peu moins forts, firent chavirer le silence angoissé. Les gens, surpris, sursautèrent en un cri. Ce fût-là, la renaissance de l’ange. Oui, déjà…

Un déchirant cri de douleur s’évada de la fosse et finit par faire frémir, à nouveau, les milliers de curieux amassés autour de la place. Le volume du battement continua de s’estomper peu à peu jusqu’à redevenir normal, silencieux. De la foule, retournée face à cet événement plus que troublant, s’élevaient de nombreuses questions. Personne ne savait ce qui se passait, pas même les autorités. Qu’est-ce qui avait explosé ? Quelque chose avait-il vraiment explosé ? Pourquoi rien n’avait réellement explosé ? Que s’était-il passé ? Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ?

La caméra robotique redescendit dans le gouffre mais ne put toujours rien observer de précis. Rivé sur l’écran de contrôle, le pilote de l’engin régla de nombreux paramètres pour tenter d’avoir un semblant de visibilité. Rien à faire. Quand tout à coup il s’écria :

– Oh Putain !

– Quoi ? !

– J’ai plus de signal, que de la neige !

Le robot se fit littéralement aspirer dans le trou comme s’il avait glissé. On l’entendit se fracasser. Sur l’écran on ne voyait plus rien du tout.

L’homme en costume sombre et lunettes noires sortit de l’hélicoptère et s’approcha du commissaire divisionnaire. Il avait le teint blafard et les traits tirés. Il marchait à une cadence militaire, fixant toujours son objectif d’un regard froid. C’était un homme austère, glaçant. Le chef de la BRI l’interpella :

– Colonel Bréguint… !

– Oulacci, laissez faire les professionnels !

Il adressa un ordre aux hommes descendus à sa suite de l’hélicoptère :

– Faites une première approche physique. Envoyez une « flash » en prévention.

– Bien mon colonel !

Les soldats évoluèrent en binômes vers le gouffre avec grande précaution. Plus les soldats avançaient, plus la foule retenait son souffle. Tous les yeux étaient rivés sur la scène.

Prêt à l’assaut, le groupe s’arrêta, en arc de cercle, à quelques mètres de la zone d’impact. Une grenade de type « flash » fut lancée par l’artificier. Lancée parfaitement, l’objet de forme cylindrique vint se placer directement dans le gouffre sans rebondir. Elle explosa trois secondes après, produisant une lumière aveuglante. Les militaires se resserrèrent rapidement autour du trou. Au même moment, le bitume se souleva dans un grondement gigantesque, produisant un nouveau nuage de poussière. Les soldats furent projetés à quelques mètres de là. Un nouveau vent de panique s’empara de la foule de curieux, la faisant fuir un peu plus encore.

L’être ailé jaillit du bitume d’un bond surprenant. Ses jambes puissantes et ruisselantes de sang peinaient à le maintenir debout. Ses ailes, écarlates et terreuses, l’encombraient plus qu’autre chose. Son corps, lacéré et marqué par l’impact le faisait souffrir. Son visage sanguinolent et boueux, stupéfia ses assaillants. Malgré son état second, il tenta de s’envoler.

Les soldats, eux, se relevèrent aussi vite que possible, leurs armes braquées sur l’ange et attendirent de nouveaux ordres. Le colonel Bréguint resta de marbre, inébranlable. Il fixa avec attention l’ange et s’avança, vers le gouffre, contre le vent dégagé par le battement d’ailes. Des rafales d’assaut militaire se firent entendre. Les balles de fusils fusèrent vers leur cible. L’officier, voyant les munitions impacter son corps et en ressortir sans engendrer de réaction particulière, sourcilla d’une façon peu commune à ses habitudes de militaire sûr de lui.[jt9] Après cette première salve, il réclama un « cessez-le-feu » immédiat. L’ange était totalement sonné. Ses oreilles ne percevaient qu’un bourdonnement. Sa vision perturbée par la grenade « flash », il ne distinguait que des silhouettes floues qui gigotaient dans tous les sens. Plus celle du colonel s’approchait, plus l’ange prenait de l’altitude. Ne prêtant guère attention au grand homme en costume noir, il se retourna face à la tour Eiffel. L’instant d’avant, on aurait pourtant cru qu’ils se regardaient l’un l’autre.

La tour, qu’il ne pouvait que deviner, lui semblait vertigineusement belle et d’une grandeur colossale. Presque au point d’en rejoindre le ciel ! Elle évoquait à l’ange le trône de Dieu mais de couleur brune. Toujours sonné, porté par ses ailes, il arriva lentement au troisième étage. Il tendit les bras pour saisir les barrières métalliques, se hissa sur une plate-forme, reprit un instant son souffle et arracha un grillage de sécurité d’une facilité quelque peu déconcertante. Une fois entré, il était totalement hors d’atteinte, du moins pour l’instant.

Au troisième étage, personne. Pas un son. Juste le vent. Le sang sur son corps avait partiellement séché durant son ascension et les plaies ne semblaient déjà plus si graves. Cela était dû à la « renaissance ». Lorsqu’un être envoyé sur terre se voit accorder une « renaissance » tous les maux ayant fait s’arrêter le cœur s’effaçent peu à peu ; « same player shoot again » en quelque sorte. Mais pour que le corps soit intégralement remis de ses blessures, il faut attendre quelques heures.

Un ange n’est pas mortel, mais il peut tout de même être blessé et renvoyé au Paradis ou en Enfer. Après cette entrée pour le moins fracassante, il s’assit et fit face au soleil couchant. L’ange se sentait exténué. Plus ses yeux se fermaient, plus le soleil disparaissait à l’horizon. Ou bien était-ce le contraire ? Après tous les rebondissements de l’après-midi, le temps, comme le disait Saint-Pierre, s’enfuyait…

Une fois ses paupières totalement closes, visions de flammes et bruits de crépitements lui revinrent. Cependant, la fatigue le terrassait tellement qu’il se vit, tout-de-même, rapidement conquis par les bras de Morphée. Plongé dans un sommeil sans songe, alors qu’habituellement il passait son temps à rêver éveillé, l’ange était au calme et se reposait. Au sol, le monde avait peur mais scandait férocement le contraire. Non loin de là, dans la cathédrale de Notre-Dame, une toute autre scène se jouait…

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