L’heure H
À l’heure fatidique, Léopold, la bouche asséchée et le doigt sur la gâchette, ressentit un fulgurant malaise au moment même où son index devait enfoncer la touche rouge. Sa vision se troubla. Une faiblesse musculaire brutale s’empara de son bras droit et le paralysa. En un geste réflexe, il réussit tout de même à l’activer à l’aide du majeur de sa main gauche, mais avec un léger décalage de quelques secondes. Un décalage fatal. Ainsi, seul un missile sur trois atteignit le monstre.
La prédiction des détracteurs se confirma. Deux morceaux encore bien trop gros se séparèrent chacun de leur côté et entamèrent une course folle vers deux lieux méconnus. Tous les pronostics étaient remis en jeu. Une angoisse insoutenable montait de derrière les écrans connectés. Les caméras n’étaient plus braquées sous les bons angles pour les suivre alors sans images à l’appui, les journalistes pariaient sur d’hypothétiques trajectoires tout en implorant qu’elles ne se rapprochent point d’eux.
Léopold, allongé sur le sol, les jambes en l’air, se lamentait d’avoir failli à sa mission. Ses collègues tentaient de le réconforter. Il les écoutait d’une oreille distraite parmi le brouhaha des commentateurs du monde entier qui improvisaient tant bien que mal et pestaient sur le fait que la menace ait doublé. Quand parvinrent les images, il était trop tard. Les énormes météorites avaient terminé leur course. L'un se précipita en plein océan atlantique et l’autre au milieu du lac méditerrané. Le premier provoqua un tsunami astronomique et le deuxième un tremblement de terre titanesque.
Ce nouveau Big-Bang bouleversa la planète bleue pour toujours. Rien à voir avec le premier qui avait permis l’émergence de la vie à partir d’un état de matière dense et chaude. L’atmosphère était certes devenue dense et chaude, mais la vie n’était plus. L’impact fut tel qu’il perturba l’axe de rotation de la Terre. Celui-ci opéra une franche inclinaison ce qui à terme allait stopper sa propre giration. Ainsi, dans l’indifférence la plus totale, la Terre allait réduire la voilure et personne ne pourrait y remédier. Les quelques survivants des premières heures, que de violents vertiges assaillaient, ne se doutèrent de rien.
L’explosion souffla le bâtiment dans lequel se trouvait Léopold. Sa dernière pensée fut de croire qu’il survivrait à ce cataclysme et qu’il pourrait, un jour, palper du bout de ses doigts frêles cette roche diabolique. En réalité, il avait déclenché le retour de l’âge des ténèbres, le triomphe de la nature dévastatrice sur l’humain. Grâce à lui, la planète connaissait un moment d’exaltation intense. Sa surface se réchauffait très vite, car le magma en son centre, ébranlé par les récentes secousses, cherchait à jaillir par n’importe quelle faille. Des éruptions volcaniques se déclenchaient un peu partout. En même temps, une déferlante océanique submergeait des territoires insoupçonnés. Des bourrasques dansaient en tout sens. Bref, l’eau, l’air, la terre et le feu se retrouvaient à l’unisson.
Embarqué dans la tourmente, le jet privé d’Akir Babi fut foudroyé lors d’un orage causé par ce paroxysme joyeux des quatre éléments. On se demande où il pensait bien aller. Ce fut certainement la dernière bonne décision qu’il prit en concertation avec lui-même.
De son côté, Yvonne entreprit d’observer le firmament grâce à sa longue vue. Ce qu’elle vit à travers le prisme de son verre grossisseur était d’une taille si démesurée qu’elle fut prise de panique et une crise cardiaque l’emporta malencontreusement par-dessus la balustrade de son balcon.
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