Journal d'un survivant
Extrait du journal d'un survivant
An - 532 de la Nouvelle Ère, 2092 de l'Ancienne Ère (estimation)
Et voilà. Ça y est. Les alarmes ont sonné, on a dû s'enterrer. Les enfants ne comprennent pas, ils veulent remonter à la surface, jouer sur leurs consoles ou dans le jardin. On est là depuis trois jours et ils s'ennuient déjà. Je ne sais pas trop comment leur annoncer qu'ils vont sans doute y passer toute leur vie. J essaye de voir le bon côté des choses : il n'ira plus à l'école. On écoute la radio, tous les soirs, pour voir ce qu'ils nous disent. Rien de nouveau, comme on pouvait s'y attendre. De ne surtout pas paniquer, que tout va bien se passer. Qu'ils vont essayer de construire des tunnels pour relier tous les abris entre eux. Je sais pas trop comment ils vont faire. On a calculé, avec C, et on en a pour vingt ans de provisions, si on fait un peu attention. Ça a l'air beaucoup, dit comme ça, mais en fait c'est rien, vingt ans. Hier soir, j'ai compris que ça voulait dire que les enfants crèveront sans doute de faim avant leurs trente ans. C'est pas vieux. Et ça, c'est dans le plus optimiste des scénarios, si rien de plus grave ne se passe.
Au début, C comprenait pas pourquoi je construisais le bunker. C'était moche, dans le jardin, qu'elle disait. Que j'étais parano. Faut dire que ça nous a quand même couté une blinde à faire, ce truc, entre le prix des plans et celui des matériaux, alors qu'on était même pas vraiment sûrs d'en avoir vraiment besoin. Heureusement que je l'ai fait, mine de rien. C'est la première fois que j'écoutais le gouvernement, et je regrette pas. On serait bien dans la merde si j'en avais fait qu'à ma tête, comme d'habitude. J'y croyais pas, en plus. Mais bon, ça nous permettait de pas payer les impôts pendant quelques temps, alors j'en ai profité. Et puis H pouvait nous avoir des réductions, avec son boulot. Alors on a passé des heures à construire, on a stocké, et maintenant on est là.
Ça gronde, là-haut. C'est sans doute les bombes, encore. Ça fait quelques jours qu'elles tombent, maintenant. Au début, on savait pas trop si c'était les terroristes ou si ces cons se visaient entre eux. Tu me diras, on sait toujours pas. Y en a peut-être un qui a éternué et appuyé sur le bouton sans faire exprès. C'est quand même bêta qu'on puisse pas savoir où ça va tomber. Ça a touché plusieurs centrales, il paraît. Depuis le temps que je dis qu'il faut qu'on se mette au solaire, putain. Quand c'était juste les bombes, ils disaient à la télé que c'était rien, qu'il fallait pas paniquer (encore), qu'on échappait de peu aux radiations. Mon cul. Elles ont fait demi-tour en voyant la maison, c'est ça ? Bande de connards. Mais quand ça a été les centrales, alors là tout le monde a pété un câble. Ils pouvaient plus nous faire croire. Alors ils nous ont dit de nous cacher, ceux qui pouvaient, que l'air arrêterait vite d'être toxique. Pas besoin d'être ingénieur moléculaire pour savoir qu'ils nous disent de la merde. J'ai regardé sur internet, en plus : les bombes sont beaucoup plus nocives que les centrales. Je sais pas trop ce qu'ils voulaient nous faire croire.Il nous faudra à peu près 500 ans pour pouvoir refoutre un pied dehors. Génial.
J'aimerais bien me convaincre que je suis pas en colère, juste inquiet pour ma famille. Mais c'est pas vrai. Enfin, si. Disons que je suis en colère de devoir être inquiet. S'ils s'étaient bougé le fion avant, s'ils nous avaient dit la vérité, on en serait pas là, j'en suis sûr. Les politiques de mes deux sous-estiment le pouvoir des peuples pour arrêter les guerres, je suis sûr. Enfin, c'est pas trop le sujet, hein ? C arrête pas de pleurer. Je peux pas vraiment lui en vouloir. Elle sait pas trop quel avenir on a offert aux gamins. Je sais pas non plus. J. fais la gueule, la plupart du temps. Ça lui passera, comme à tous les adolescents. Un jour, plus tard, il comprendra que tous les adultes sont pas là pour l'emmerder. Y a bien que M. qui est content. Lui, il a hâte que l'armée de zombies arrive. Il a pris sa carabine à air comprimé pour défendre sa mère, au cas où les morts-vivants débarquent dans le bunker. Pauvre gosse. J'ose pas lui dire que son pauvre jouet nous sauvera de que dalle. A la place, je lui ai promis qu'on sortirait voir, un jour, quand on risquera plus de se faire transformer. J'ai un peu honte, parce qu'il attend que ça. J'aimerais bien retrouver l'innocence des gosses.
J'avoue que je sais même pas pourquoi j'ai commencé à écrire dans ce carnet. Peut-être pour passer le temps. C'est vrai que c'est long, ici. Je sais même plus si, dehors, c'est le jour ou la nuit. Ma montre me dit qu'il est 14h, mais après tout, elle est peut-être complètement foutue. C'est peut-être aussi pour que les enfants, quand je serais plus là, puissent lire tout ce qu'il s'est passé, d'un autre point de vue que le leur, tronqué. Désolé, mes amours. Faites pas attention aux gros mots. Et ne mangez pas trop, il faut se restreindre, souvenez-vous. Où alors, c'est peut-être au cas où je meurs et où quelqu'un ouvre le bunker. Si c'est le cas, ne leur faites pas de mal. Qui que vous soyez, si vous lisez ceci, sauvez mes garçons. Prenez tout ce que vous voulez, mais je vous en supplie, sauvez mes garçons.
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