Au temps des royaumes volants...
L'histoire que je vais vous conter, Majesté, prend place il y a de cela plusieurs siècles, au temps des royaumes volants. Autrefois, comme vous le savez sûrement si vous n'êtes pas trop ignorant, les pays nageaient dans les airs comme les baleines dans les océans. Si certains étaient vastes, d'autres n'étaient guère plus grands que des îles.
L'un de ces petits royaumes s'appelait Perce-Neige, comme la frêle fleur qui s'épanouie à la fin de l'hiver. Du reste, le climat du minuscule pays correspondait bien à son nom : froid quelques jours par an, glacial la plupart du temps. C'est dans ce bon vieux royaume de Perce-Neige, aujourd'hui disparu, que commence, Majesté, cette grande épopée...
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Grimirg évita de justesse une flèche ; le projectile siffla à son oreille puis termina sa course dans le tronc d'un vieux chêne. Le claquement familier d'une corde d'arc, derrière lui, lui apprit que son poursuivant venait de décocher une seconde flèche. Il plongea donc en avant, glissant sur le tapis de feuilles. Sa vitesse et son poids le firent rouler sur quelques mètres, avant qu'il parvienne à se relever et reprendre sa course folle à travers les bois. Le soleil couchant embrasait les arbres et accentuait les couleurs flamboyantes de leurs feuillages. On aurait pu se croire au beau milieu d'un incendie. Cependant, à l'est, les ombres rampaient déjà. Branches mortes, racines et pierres disparaissaient progressivement, compliquant la fuite de Grimirg.
"Voyons le bon côté des choses", pensa-t-il. "Si j'y vois moins bien, l'archer aussi..."
Comme pour le contredire, une troisième flèche se ficha à un cheveu de sa botte, manquant le faire trébucher.
"Vindiou, si je me carapate pas plus vite, je vais finir embroché !"
Grimirg accéléra. Son coeur tambourinait douloureusement contre sa cage thoracique, ses poumons le brûlaient, sa vision devenait floue, mais il continua de courir. Les flèches sifflaient autour de lui, certaines le frôlèrent, une l'atteignit même à l'épaule - ce fut à peine si Grimirg le sentit. Il sautait par-dessus les ronces et les broussailles, louvoyaient entre les troncs et les rochers, sans jamais se retourner ni ralentir. Le jour n'était guère plus qu'une trace lumineuse, la nuit avait envahi la forêt et, pourtant, les flèches ne cessaient de le poursuivre.
"Plus vite, idiot !" hurlait son esprit.
"On est au maximum, crétin !" répliquèrent ses jambes.
Un mouvement sur la droite de Grimirg attira soudain son attention. Un ricanement familier résonna. Sans hésiter, il bifurqua dans cette direction. Une ombre gigantesque et glaciale se dressa brusquement devant lui et le submergea. Le froid mordant le heurta, son coeur cessa de battre. Tout devint noir et silencieux.
Un demi-instant plus tard, l'archer s'arrêta. Ses yeux phosphorescents fouillèrent les bois, à l'affût du moindre mouvement. Ses longues oreilles pivotèrent d'un côté, de l'autre, en quête d'un bruit, même infime. Au bout d'un moment, l'archer jura.
- Toldrune va me tuer...
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