Bouffer ou être bouffé
J'étais agenouillée et prostrée dans une cellule.
Il ne faisait pas froid, ni chaud.
Ce n'était pas humide mais pas sec non plus.
Il y avait des ombres projetées partout. Mais il n'y avait pas de lumière.
J'entendais des sifflements sans que le moindre vent ne murmure.
Mes sens étaient à la fois tous sollicités bien qu'en même temps, il n'y avait rien à ressentir. Les voix dans ma tête hurlaient. Elles remplaçaient le vide laissé par l'empreinte de Leszeck. Alpha. Blanc... Elles se déchaînaient. A croire que quelque chose ici était mauvais, bien plus sombre que tout ce que j'avais bien pu vivre jusque-là. Tout ce qui était vraiment réel pour le moment était mon ventre qui grondait, ma main sur le sol.
La faim qui me tenaillait.
Je ne savais pas ce qui m'attendais et c'était peut-être ça le pire. L'attente. L'imagination. Mon esprit divaguait. Je m'imaginais toutes sortes de tortures. L'écartèlement, le tisonnier, l'arrachage de toutes les extrémités de mon corps à la pince... J'étais certaine qu'il en existait bien d'autres, des tortures inconnues. Le corps avait cette capacité à être un chef d'œuvre de sensibilité. L'esprit... l'esprit ça dépendait. A mon avis les seuls esprits qui résistaient à la torture du corps ou la torture psychologique étaient les esprits déjà brisés, ceux qui n'ont rien à perdre, ceux qu'on estime le moins dans une société "saine".
Mais ce qui était sûr, c'était que j'avais faim. Une faim dévorante.
Le temps passait, ou pas. Ça restait une valeur très floue. Des jours ? Des semaines ? Des heures ? Mais est-ce que c'était vraiment important ?
La louve hurlait pour sa pitance. Je ne ressentais que cela. Ça me bouffait de l'intérieur. C'était tellement douloureux que j'essayais de me recroqueviller sur moi-même le plus possible pour éteindre la douleur. En vain.
A un moment j'entendis des voix. Elles étaient différentes de celles que j'entendais ici. Ici dans la cellule ou ici dans ma tête. De toute façon, cela revenait au même. Je perdais la tête ou alors je l'avais déjà perdu. Maman, papa ? Arrête ! Eux... eux aussi ils l'avaient perdu. C'était, il y a très longtemps. Quand ? Arrachée. Des dents et des crocs. Oui. Du sang. Oui.
Les voix. Elles étaient presque palpables. Réelles ? Oui, elles étaient réelles. Je me redressais sur le sol et tentais de me tenir debout mais le plafond n'était pas assez haut, j'étais obligée de me pencher. Mes jambes tremblaient, j'étais affaiblie, j'étais affamée. Ça tournait autour de moi. Des loups, d'après l'odeur, commencèrent à approcher. Quand ils s'arrêtèrent devant ma cage, je pus les distinguer. Deux loups transportaient un corps, un homme je dirais. Leur visage exprimait toute la joie vicieuse qu'ils éprouvaient. Un troisième passa derrière eux. Il était dans l'ombre alors je ne le voyais pas bien. Je distinguais uniquement qu'il était de grande taille, légèrement plus imposant que les deux autres. Quand son odeur vint me chatouiller le nez, je me sentis perdre le contrôle de la louve en moi. J'avais envie de me jeter sur les barreaux et de lui écraser le cœur à mains nues. La partie logique en moi ne comprenait pas, ou ne voulait pas comprendre.
J'avais tellement faim...
Puis il s'approcha juste assez pour que je puisse le distinguer tout en restant à assez bonne distante pour que mon bras l'effleure uniquement au lieu de lui arracher la moitié du visage comme je le voulais.
— Si je pensais que tu allais survivre...
Un rire éclata. Il se tenait le ventre comme si c'était la meilleure blague du monde.
— Mais tu as l'air parfaitement adaptée. Une changée qui a grandi parmi les loups ne serait pas différentiable de toi. Leszeck a fait du bon travail, et je vois que tu as pu apprendre à te soumettre. Regardez-la, pleine de cicatrices, et je crois bien qu'il manque même des bouts ! Leszeck a beau dire, il reste un bel enfoiré aussi.
Je baissai la tête sans vraiment le quitter des yeux. J'avais envie de le tuer.
— Nous te ramenons un présent avant que tu ne montes dans l'Arène. Je suis certain que tu dois avoir faim depuis le temps.
— Com...Combien ? Combien de temps ?
— Trois semaines, nous avons eu quelques soucis de maintenance. A présent c'est réglé. Comme ton sort.
— Mon sort...
— Tais-toi. Regarde plutôt.
Les deux loups jetèrent à mes pieds un homme en sang qui souriait. L'odeur me monta au nez, j'avais faim. Je grondai.
Manger.
Il était chauve, avait des yeux à moitié fermés mais je pouvais les distinguer noirs. On lui avait arraché les dents si j'en croyais son gargouillement de mots intelligibles et entrecoupés de flots de sang.
Manger !
Non !
Oui.
Manger.
Manger !
Non...
— Alors tu le reconnais ? C'est le changé que nous avions envoyé chez toi. Il s'est vanté d'avoir créé une véritable boucherie.
Je tremblai de rage. Irvan l'attisait avec joie, il se nourrissait de ma haine comme d'un met rare.
— Tu as le choix à présent. Il ne peut pas se déplacer, nous lui avons sectionné les tendons. Tu as le choix entre le bouffer ou être bouffée. Crois-moi, tu ne tiendras pas une seule seconde dans l'Arène si tu n'as pas le ventre plein et repris des forces. Je serais fort déçu si tu ne faisais pas partie des cinq gagnants. Mais peut-être que cela voudrait mieux pour toi.
Il se recula et commença à s'éloigner avec ses loups. Juste avant que je ne puisse plus l'apercevoir par l'interstice des barreaux, il s'arrêta et se tourna légèrement vers moi.
— La seule question que tu dois te poser, Maxime : est-ce que tu veux vivre ?
Ils me laissèrent seule avec le corps décharné du changé qui avait assassiné mes parents. La part prédatrice en moi ne voulait que le déchiqueter. Lentement. Afin qu'il sente ses chairs se détacher peu à peu de lui pour venir nourrir la bête. Je penchais la tête en l'observant.
J'avais envie de vomir.
J'avais faim.
Il souriait en me regardant. Son corps était avachi au sol, tremblant. Il était faible, bien loin de celui qui me déchirait l'épaule, qui me forçait à regarder mes parents se faire dévorer par les loups. Je n'avais aucune idée de ce qu'il avait fait pour en arriver là.
Je perdis les pédales quand il me fit des gestes obscènes avec sa langue. Je passai le bras au travers des barreaux et plantai mes ongles dans sa langue. Il hurla et essaya de me faire lâcher prise en poussant mes bras. Cependant la situation c'était inversée depuis la dernière fois que nous nous étions vus. C'était moi la dominante et lui la vieille bête blessée. Sans remords, je lui arrachai la langue à mains nues. L'organe résista d'abord, ce n'était pas le muscle le plus puissant du corps humain pour rien, puis il y eu un déchirement au fond de la gorge. J'entendis la chair se séparer en deux en un bruit visqueux tout comme je le sentis à travers mes doigts quand je pu tirer sur la dernière partie reliée. Et je ne parlai même pas de son cri horrible mais au combien satisfaisant pour moi. C'était comme un orchestre en communion avec la douleur qui jouait le plus beau Requiem à mes oreilles.
Son sourire affreux n'étirait plus son visage. Enfin.
Je regardais la langue que j'avais dans mon poing. On ne dirait pas comme ça mais c'était "vachement" grand. Elle avait dû s'arracher depuis le fond de sa gorge. Il s'étoufferait avec son sang.
La louve n'était pas repue. Elle avait faim. J'avais faim.
Mais manger la langue de cet assassin... Sûrement pas. J'allai le saigner comme un porc d'abord et même si cela me rebutait, j'allais le manger tant qu'il sera encore chaud. J'étais une louve à présent, et les loups mangaient les moutons.
Il essaya de gigoter pour se reculer mais je le maintins rapidement par la gorge. Je laissai une entaille avec une griffe sur sa carotide, juste assez profonde pour que le sang coule régulièrement mais pas assez pour que cela le tue rapidement. Je fis de même avec son haine, sa cuisse, son ventre. Je plantai mes griffes comme les lames de couteaux et lui laissais un trou dans sa peau d'où le sang s'échappait. Les effluves métalliques de la mort et de la pourriture se dissipèrent rapidement dans l'air, lui donnant une connotation plus... particulière dirons-nous.
Manger.
Patience.
J'attendis, impassible, assise au sol. Quand l'hémoglobine atteignit le mur du fond de ma cellule, je décidai qu'il était temps. Je revins vers lui et enfonçai de toute mes forces ma mains dans son ventre à travers une blessure que je lui avais fait, la peau s'ouvrit sous la pression. Je lui déchirai les boyaux de l'intérieur, lui broyai le foie, lui lacérai les poumons. Et enfin, j’atteignis son cœur affolé, qui se battait grâce à l'adrénaline pour tenir encore un peu.
Je regardai droit dans les yeux cet être abject. Cette proie.
J'étais douée.
Faim.
Il y eu un moment de flottement, où il sembla apparaître dans ses yeux aussi vide que les abysses des enfers une supplique, une prière. Je ne lui laissai pas le temps de rejoindre la douce torpeur que sa folie lui avait donné et lui arrachai son organe vital.
Faim.
Aussitôt je plantai mes crocs à l'intérieur. Dès qu'il fut finit, je voulus me jeter sur le corps pour le manger comme une petite fille mangerait son hamburger : à pleines dents. Les barreaux m'en empêchèrent. Je disloquai donc son corps, je brisai ses os, arrachais la tête, pour faire passer le tronc et les jambes dans ma cellule.
Je n'en fis qu'une bouchée.
Quand je m'endormis dans le sang par terre une pensée me traversa.
Mon avenir ne me faisait plus peur.
J'étais prête pour l'Arène.
J'allais vivre.
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