1.2 ...pour une nouvelle vie
Il y eut tout d'abord des cris de femmes. Elles hurlaient à la mort entre deux gémissements de douleur. Puis ce fut au tour des hommes de s'exprimer, par des râles de plaisirs et des rires moqueurs. Il n'y avait pas besoin de voir pour savoir ce qu'il se passait autour de moi. Pas besoin d'être femme ou homme pour ressentir toute l'épaisse noirceur qui entourait ce lieu. Mais quel lieu ?
J'entrouvris alors les paupières, dérangée par le brusque silence qui faisait place. Etais-je inquiète pour elles ? J'étais allongée sur une pierre froide élevée comme un autel de sacrifice au milieu d'une cellule plutôt sombre, sûrement sous terre d'après l'humidité. J'avais les membres attachés avec des chaînes, du sang séché partout sur ma robe et une effroyable fracture ouverte qui me lançait dans tout l'épaule et la nuque. Mon corps tremblait de froid, ma gorge était aussi sèche qu'un désert et les deux hommes qui m'observaient, dont l'un avec un sourire goguenard, ne me disaient rien qui vaille. Alors non je n'étais pas inquiète pour les autres femmes, je laissai mon égoïsme s'épanouir et ne ressentai de la peur que pour moi. Allais-je survivre ? Allaient-ils lâcher leurs chiens des enfers sur moi pour qu'ils me dévorent ? Peut-être... peut-être valait-il mieux que cela se passe ainsi.
L'un des hommes était celui qui était venu m'enlever. Chauve, des yeux certainement aussi sombres que son âme et une peau tannée, il me faisait penser à ces types que l'on voyait dans les films, le larbin encore plus cruel que les maitres. Il tenait entre ses mains une hachette qu'il s'amusait à faire tournoyer. Elle renvoyait régulièrement des éclats de lumières qui m'empêchaient de pouvoir distinguer correctement l'autre homme. Il se trouvait dans le fond de la cellule et seule son ombre m'apparaissait. Pourtant son aura était bien plus écrasante que l'autre. Sans le voir, il me fit bien plus peur.
— Leszeck, je peux juste... gémit celui à la hachette avant de se faire interrompre.
— Non. Tu l'as déjà bien assez abîmée comme ça, répondit la silhouette d'une voix implacable.
Il semblait passablement énervé. Mes tremblements s'accentuèrent et je ne pus empêcher quelques larmes de ruisseler sur mes joues blanches.
— Mais on dirait un petite poupée ! souffla l'autre.
— Dégage. Ou je te promet que je t'arrache la gorge avec les dents !
Le grondement furieux de Leszeck me fit arrêter de respirer. Il y avait quelque chose quand il s'énervait. Quelque chose qui rampait de façon malsaine vers le meurtrier de mes parents. Ca ressemblait à un serpent de fumée noire, huileuse, qui s'écoulait avec force dans sa direction. Bientôt elle s'enroula autour du corps et quand il le respira, il sembla se tétaniser sur place. La noirceur s'en fut et le faiblard détala. Plus loin, des jappements furieux résonnèrent.
— Tu la vois déjà.
Il me sembla pouvoir respirer à nouveau. Je savais qu'il s'adressait à moi mais je n'avais pas la force de lui répondre. Et il ne sembla pas attendre que je parle.
— Tu as vu mon ombre, n'est-ce pas ?
Terrorisée, je hochai la tête. Mon menton tremblait, je tentai de retenir des sanglots pitoyables de peur d'énerver l'homme et qu'il me fasse ce qu'il avait fait subir à son confrère. Il se dissimulait toujours à ma vue bien que je me sois habituée à la faible luminosité. Que devais-je faire ? Bien que je sois immobilisée, j'avais l'impression de ne pas accomplir ce qu'il me demandait. Je ne pus guère me questionner plus sur le sujet car une femme fit irruption avec un broc d'eau et des bandages.
— Irvan te demande à l'étage, il n'a pas apprécié tes remontrances envers le changé.
Leszeck se redressa encore, il semblait culminer les deux mètres et avait une carrure aussi imposante que sa taille. La rousse sembla quant à elle, rentrer la tête dans les épaules et serrer contre elle ce qu'elle avait dans les bras comme si c'était sa vie.
— C'est une femelle qu'il envoit maintenant ? Il veut que je fasse un massacre ?
— Lech... couina la pauvre fille.
— Tais-toi. Fais ce pourquoi tu es là, mais attention, une égratignure de plus et c'est ton joli visage qui perdra de sa valeur. Me suis-je bien fait comprendre ?
Elle hocha de la tête en déglutissant et se colla contre le mur alors qu'il passait. Je ne le regardais pas, je n'en avais pas le droitm me semblait-il.
Quand il fut parti, la femme se détendit et s'approcha de moi. Elle sembla reprendre du poil de la bête et se mit au travail. D'abord elle me donna un peu d'eau, ce qui sembla apaiser la brûlure qui me tiraillait la gorge. Puis elle entreprit de me retirer les chaînes. J'eus alors une bouffée d'espoir qui me fit chanceler. J'allais partir ? Retrouver le ciel et être libérée de cet endroit de malheur ? Un simple grognement de la part de la femme me dissuada de faire quoi que ce soit. Elle n'était pas là pour me venir en aide. Personne ne viendrait en aide à quelqu'un dans un état aussi pitoyable que moi. Vu la fièvre que j'avais, je devais surement avoir perdu énormément de sang et mon mouvement brusque n'avait fait que rouvrir les croutes immondes qui me saturaient l'épaule.
La femme râla. Elle prit un linge et nettoya la blessure. Je couinais de temps à autres dès qu'elle appuyait trop fort. Plusieurs fois elle retroussa sa lèvre supérieure en m'ordonnant de bien me tenir. Au bout d'un moment elle finit par soupirer.
— Il va falloir te déshabiller, la nouvelle. Le tissus m'empêche de dégager ta blessure.
Effarée, je la regardai sans bouger. Je n'allais certainement pas me mettre nue dans un froid pareil ? Elle voulait ma mort ! Je refusai catégoriquement d'un signe de tête. Il en était absolument hors de question.
— Tu crois que tu as le choix ? Ce n'est pas parce que je suis une femme que tu ne dois pas m'obéir !
Elle plaqua sa main dans ma nuque et serra très fort. Je rejetai la tête en arrière dans un reflexe et mon visage se tordit de douleur. Pourquoi n'avait-elle pas mal ? De l'autre main elle m'arracha la robe. Les morceaux de tissus qui s'étaient mélangés avec la croute et avaient à présent séchés, se détachèrent d'un coup. Je criais sur le coup alors que la brûlure se fit à nouveau présente, le sang se remit à couler. La femme se contenta de jeter au loin le reste de la robe qui s'échoua au sol. Elle claqua de la langue dans un air réprobateur et se mit à poser son linge mouillé sur ma blessure. Je ne fis plus un mouvement, le froid se faisait encore plus présent avec le contraste du sang chaud sur mon ventre et l'eau dans mon dos.
— Eh bien ! Il ne t'a pas loupé. Redresse la tête et tiens moi ça, dit-elle en plaçant un autre linge dans mon cou.
Je ne vis pas ce qu'elle fit ensuite. Mais il me semblait qu'elle tâtait doucement puis elle appuya brusquement sur mon épaule en bougeant le bras. J'eus un haut-le-cœur tellement la douleur se fit vive et emplissait mon crâne de pulsions douloureuses. Elle plaçait ensuite un pansement large qu'elle enroulait autour de l'épaule.
— Bon, ça devrait tenir. Maintenant comme tu t'appelles ?
Je la regardai avec des yeux ronds. Elle trouvait ça vraiment normal de ne pas me recoudre ? Que le sang imbibe déjà le pansement ? Mais avais-je de quoi me plaindre ? J'étais encore en vie et qu'à cela ne tienne, je comptais bien le rester aussi longtemps que possible. Quand j'ouvris la banche, la peau de mes lèvres craquelât, je me passais le bout de la langue et récupérais une goutte d'hémoglobine. D'ici peu j'en aurais plus à mes pieds que dans mes veines.
— Maxime, répondis-je d'une petite voix cassée.
— Prends les affaires devant la grille et enfile-les. On nous attend, Maxime.
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