Dernier Fragment
Et un jour, miraculeusement, la sœur se réveilla. Les choses avaient presque instantanément repris leur cours, lorsqu'elle comprit où ils étaient : un lieu protégé et paisible rien qu'à eux. Elle demeura aveugle et ce, jusqu'à la fin de son existence mais elle s'en accoutuma. Grâce à sa volonté et les encouragements de son frère. Et sa main non plus, ne repoussa pas, comme ils l’espéraient. Ils grandissaient et comprenaient que c'était impossible
La fillette rapporta à son frère qu'au cours de sa longue sieste, elle y avait fait un long songe mais refusait obstinément de le détailler. Selon elle, c'était un monde où elle semblait passer son temps à se faire la guerre à elle et aux autres, un point c'est tout.
Pour subvenir à leur besoin, le garçon rédigeait des leçons à des enfants du voisinage pour leur apprendre à lire et à écrire et avec l'argent gagné sur ces cours, la fillette partait acheter des ingrédients pour composer des gâteaux énormes, parce qu'aveuglée, elle ne réalisait pas les quantités utilisées. Ils se régalaient rien que tous les deux, sans les parents ou quiconque pour les arrêter.
Ils découvrirent le goût de l’eau minérale. Douce mais sans saveur, celle-ci ne leur faisait aucun mal et ils apprenaient chaque jour à l’apprécier, pour prendre soin d’eux, loin des jus de raisin.
Le frère cousait des vêtements assez grands pour leurs corps devenus matures, la sœur tentait d'en faire pour son frère, du mieux qu'elle pouvait pour lui faire plaisir. Ils étaient heureux et n'avaient besoin de rien de plus. Parfois, ils pleuraient parce qu'ils se rappelaient des années gaspillés dans une bouteille pour l'un, derrière des ronces pour l'autre.
Elle pleurait parce que tout le monde la trouverait hideuse, aveugle et manchote. Que privée de la vue, elle ne pouvait pas regarder les jolies choses qu’écrivait et dessinait son grand-frère mais par-dessus tout, elle ne voyait pas son ravissant visage à lui, devenu adulte. Son physique à elle importait peu, sa cécité gâchait tout selon elle. La jeune fille souffrait également de la douleur d'une main manquante, qui lui faisait toujours revivre la barbarie et lui rendait la vie moins simple. Comme celle-ci n’avait pas été pansée au bon moment, elle était couverte de vilaines autres cicatrices. Manger lui était éprouvant, elle pensait ne pas le mériter quand paradoxalement, cuisiner lui apportait tant de satisfaction et de bonheur.
Lui, se retenait de hurler de désespoir et de honte à chaque instant parce qu'il avait laissé sa sœur seule et il se trouvait laid, comme des bouts de lui manquaient partout sur son corps. Et par dessus-tout, le goût amer au fond de sa gorge, à force de n'avoir bu que du jus de raisin lui voilait l'éclat des choses. Tout était gris, amer et terne. C’était comme s’il était mort et vivant en même temps. Et sans réussir à mettre des mots sur cet étrange casse-tête lui qui enseignait pourtant aux enfants à s'exprimer le sentiment d'impuissance sous-jacent le faisait enrager.
Mais ils mangeaient de délicieux gâteaux, inventaient toutes sortes de jeux. cousaient des vêtements pour se protéger du froid. La sœur imaginait toutes sortes d'histoires et poèmes pour son frère. Ceux-ci étalent accompagnés des compositions musicales du frère, qui adorait jouer de la guitare et à la flûte, présentes dans la maison. Ainsi c'était moins dur. La douleur de ces épreuves du passé s'estompait le temps d'une trêve et ils apprirent à vivre avec. La maison semblait posséder tout ce dont ils rêvaient. Des instruments de musique et des carnets de dessins pour le frère. Des cahiers d’écriture, des livres et une cuisinière pour la sœur.
Devenus adultes sans le réaliser sciemment, ils n'éprouvaient pas le besoin de découvrir le monde d'ailleurs, qui leur avait fait trop de mal et pensaient se suffir à eux-mêmes.
Était venu le moment où les gens du village, désireux de connaître ces personnages qui ne quittaient presque jamais la maison en brique rouge près de la forêt, et frappèrent à la porte de cette bâtisse communément appelée la Maison des Rêves, comme elle possédait tous ce dont les individus y pénétrant convoitaient. Elle n'ouvrait pas ses portes à n'importe qui et voir ces individus y être entrés sans difficulté attisait leur curiosité.
Entre-temps, le grand frère enseigna à sa sœur l'art de voir le monde, sans ses yeux, à développer ses autres sens, parce qu'ils étaient bien présents et d'une grande aide, à prendre son temps, parce qu'une main, ce n'était pas toujours pratique. Avec les pâtisseries qu'elle confectionnait, le goût acerbe devenait un peu plus sucré et doux pour le frère. Les trous sur son corps persistaient et il n'y avait rien à y faire. Un soir, son frère lui avait fait une confidence : il pensait que ces trous seraient à jamais présents mais avec tout l'amour qu'elle lui offrait, au quotidien, il arrivait parfois à les combler. La nourriture demeurait problématique pour la sœur mais son frère patientait et la félicitait pour chaque bouchée en plus qu’elle apprenait à avaler.
Adultes lucides, encore un peu enfants, pour toujours, ils comprirent que le monde les appelait et se devaient donc d'aller à sa rencontre. C'était ici qu'ils étalent parvenus à renaître.
Ils étaient d'ici, quoi qu’il en soit.
La sœur avait peur, le frère était terrifié, mais ils s'en allèrent, main dans la main, comme tout ce qu’ils entreprenaient depuis le début de leur vie. Et au contact chaud et doux de leur main, ils comprirent que si un jour, c'était trop dur, ils pourraient toujours se réfugier dans ce nid et que l'un pour l'autre, ils seraient présents, pour toujours et à jamais.
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