L'Absent
Il n'est jamais venu, le Talent. Pas même un frôlement, une ombre sur le pas de ma porte. Juste un grand vide, béant et moqueur, là où aurait dû flamboyer son aura.
Combien de nuits blanches passées à guetter sa venue ! À espérer la brûlure délicieuse de son baiser, la morsure céruléenne qui marquerait mon front du sceau des élus...
Mais rien. Rien que le silence, dense et compact comme un linceul. Et moi prostré comme un Pierrot lunaire, un lamentable pantin désarticulé.
"Pitié, Seigneur Talent !", ai-je sangloté, genoux à terre et mains en coupes. "Pose ton doigt de feu sur mes lèvres, dénoue ma langue de plomb ! Fais de moi ton humble servant, ton instrument de chair et de verbe !"
Mais seul l'écho ricanant de mes suppliques ricochait aux murs de mon antre. Une pluie de cendres pour toute réponse à mes prières...
Seigneur, où étais-Tu quand je T'implorais ? Quand je dressais Ton autel de mes mains tremblantes, parant Ta couche de mes plus belles images ?
Peut-être riais-Tu, tapi dans quelque recoin obscur. T'amusant de ma foi ridicule, de mes élans mystiques vers un firmament vide.
Ou peut-être n'as-Tu jamais existé. Cruelle idole façonnée par mes fantasmes, brume insaisissable née des limbes de mon désir...
Ta sublime absence aura hanté ma vie. Mes rêves de grandeur se sont fracassés sur Ton indifférence, ont pourri lentement, tels des fruits secs au soleil de la frustration.
L'encre a séché dans mes veines à T'attendre, mes idées se sont racornies comme de vieux parchemins. La feuille est restée vierge, inviolée, narguant mes velléités d'y graver Ta marque.
Vois ce que Tu as fait de moi, Seigneur Fantôme ! Une loque, une ombre me consumant de l'intérieur, brûlant d'un feu qui jamais ne sera poème...
Mes ambitions se sont muées en regrets, mes élans en chape de plomb. Je n'aurais été qu'un avorton solennel, un bâtard des Muses rampant loin de leur Olympe.
Toi le grand Absent, moi le grand Vide... Deux ombres s'épousant dans un pas de deux grotesque, sur l'immense piste du renoncement.
Je T'en veux à mort, Tu sais. Pour cette vocation ratée, ces fulgurances nées mortes. Pour mes nuits hantées de chefs-d'œuvre fantômes et ces matins en gueule de bois, rongé d'impuissance.
Assassin de mes rêves, voleur de ma grandeur ! À cause de Toi, j'aurais été cet éternel nourrisson tétant le sein creux de la médiocrité.
Puisse mon cri T'atteindre, où que Tu sois ! Sache ma douleur, mon deuil infini de moi-même. Mes mots épars comme autant de crachats à la face de Ton ciel trop haut, trop blanc.
Je ne guérirai jamais de Toi, Tu sais. Même Ton absence m'aura été une Muse. Ma plaie ouverte, mon stigmate glorieux.
Aimer le Talent, fût-ce en pure perte, en dépit du vide et du silence. Telle aura été ma pauvre victoire d'homme, mon chant secret et solitaire.
Malgré tout, envers et contre Toi, j'aurais été Poète...
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