— Jeune prince, murmura doucement le valet de chambre à l'oreille de l'endormi. Je suis vraiment désolé de mettre un terme à votre sommeil, mais votre père m'a sommé de venir vous réveiller.

Le soleil avait déjà bien entamé sa course dans le ciel, réchauffant la pièce en dépit des rideaux tirés. La lumière se rua dans la chambre alors que le serviteur ouvrait les rideaux avec empressement, frappant les yeux encore clos du jeune homme. Par réflexe, le prince fit volte face pour se protéger de l'astre lumineux qui tentait à son tour de le sortir du lit. Cependant, il savait que le valet de chambre ne quitterait pas son chevet tant qu'il ne serait pas debout.

Après quelques minutes d'un silence harmonieux, le prince s'assit nonchalamment sur son lit tout en repoussant la couverture qui l'avait tenu au chaud toute la nuit. Satisfait, le serviteur lui offrit un gentil sourire qui eut comme effet d’adoucir le jeune homme. Il se dirigea vers la porte tout en saluant son maître.

— Je m'en vais en cuisine pour que votre petit déjeuner soit prêt à votre arrivée. Bon réveil, mon prince.

— Appelez moi Nova, marmonna-t-il alors que la porte se refermait derrière le valet.

Il faisait cette demande presque tous les jours mais elle n’était jamais acceptée par les serviteurs, trop effrayés d’être surpris par le roi.

Assis en tailleur dans un lit beaucoup trop grand pour lui, le jeune homme porta ses mains à son visage pour délicatement frotter ses yeux qui cherchaient encore à s'habituer à la lumière du jour. Son matelas aux draps si doux et aux incalculables coussins l'appelait encore, il avait du mal à résister à la tentation de retourner dans ses bras moelleux.

Son regard fatigué finit par croiser celui de son reflet dans l'énorme miroir qui servait de porte à sa garde robe. Après un moment à essayer de retirer les chaussettes qui entouraient ses piques, il remarqua quelque chose qu'il avait réussi à oublier le temps d'une nuit.

— Oh non... C'est pas vrai, finit-il par geindre.

Il s’extirpa difficilement de son lit pour marcher d'un pas peu assuré jusqu'à son armoire démesurée et se positionna bien face à son miroir. Malgré sa nonchalance matinale, Nova se tenait déjà droit comme un i, comme on lui avait appris pendant toute son enfance. Sa main se leva jusqu'à son front pour se glisser sur l'une des cornes qui en sortaient. Depuis quelques mois, cette corne rebelle, au dessus de son oeil gauche, avait prit le malin plaisir à grandir bien plus rapidement que les autres, créant une asymétrie disgracieuse. Nova savait que la différence de taille n'était ni négligeable ni habituelle et cela l'attristait considérablement.

En tant que Rose, Nova avait une ligne de cornes, appelées piques, qui commençaient à pousser au début de la puberté. Elles s'alignaient tel un diadème naturel. Cependant, en temps normal, les piques des Roses faisaient toutes la même taille et dépassaient rarement les deux ou trois centimètres de long. Les cornes de Nova respectaient ces règles, sauf une. La petite couverture de tissus rembourré qui l’entourait était trouée.

Agacé, il la jeta par terre et fit de même pour les autres. Voilà une bien mauvaise nouvelle pour le prince, il devrait encore se faire remarquer auprès du couturier pour éviter d’égorger ses coussins. C’était dans ce genre de moment que Nova rêvait d’être un de ses serviteurs ou un homme du peuple : les Nénuphars n’avaient pas de cornes sur le front susceptibles de les ridiculiser par un petit problème de croissance.

— Le peuple n’a pas à se soucier de ce genre de détail, de toute façon...

Poussant un profond soupir pour ravaler ses pensées tristes, le prince se détourna de son reflet. Il se dirigea vers la petite salle de bain séparée de sa chambre par une petite porte en bois sombre. A l’intérieur de cette pièce, il y avait une baignoire toujours rempli par l’eau de la veille. Des serviteurs viendraient se charger de le vider en cours de journée. Nova s’approcha de la bassine pour y glisser ses mains et commencer à se rincer le visage. Bien qu’il entrait dans la vingtaine, le prince n’avait toujours pas un seul poil sur le menton. Sa peau était si douce et les traits de son visage si fins, il était trop féminin au goût de son père qui n’hésitait jamais à lui rappeler en se moquant de sa faible carrure.

Machinalement, il se releva et porta son attention sur les habits soigneusement préparés : un pantalon noir brodé de fils d'or pour l'illuminer de quelques motifs floraux discrets, une ceinture trop richement garnie, une chemise blanche en soie et une tunique arborant ce rouge si éclatant, couleur de la famille royale. Nova retira sa chemise de nuit. Il commença à enfiler ses vêtements avec une certaine lenteur. Le prince aimait ses vêtements, leur douceur et la qualité de textile incomparable, mais lorsqu’il les mettait, il ne se sentait pas bien. Malgré ce sentiment de mal être, ses vêtements lui allaient comme un gant en s’ajustant parfaitement à son corps.

Le jeune homme s’approcha finalement du petit miroir présent au dessus d’une coiffeuse. Il attrapa son peigne pour brosser ses cheveux couleur neige. Sa coupe carrée épousait la courbe de sa mâchoire tandis que sa franche venait se glisser entre ses cornes et en cachait même certaines. Nova eut d’ailleurs quelques difficulté à défaire les noeuds autour de ses piques.

Lorsqu’il se considéra présentable, Nova attrapa un petit bracelet qu’il attacha à son poignet tout en quittant la salle de bain et se dirigea vers la porte de sa chambre. Là, il enfila des bottes de cuir puis sortit.

Les couloirs du château étaient impressionnant par leur hauteur. Faits de marbre, les murs étaient incrustés de différentes décorations représentant des roses et portaient des tableaux des meilleurs peintres des anciennes générations. Nova observa un moment ce qui lui faisait face en accompagnant son regard d'un air chagriné. Un jour, se sentirait-il vraiment chez lui dans ce château qui lui paraissait si étranger ?