L'impatient médium

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        Il y a cette fille intriguante à l'entraînement que je n'arrive pas à cerner. S'il lui arrive de s'amuser et d'éclater de rire pendant un exercice, elle est le plus souvent silencieuse, à l'écoute de ses interlocuteurs mais d'un calme presque déprimant. Quelle expression sur son visage ? Je ne saurais la décrire. Morose, triste, peut-être la preuve d'un profond chagrin, d'une blessure qui a mal cicatrisé. Ou bien, un vide sentimental alarmant, le néant émotionnel, comme une espèce d'immortalité : sans signe de vie, ni signe de mort. Je sens qu'elle se perd très souvent dans la réflexion. Elle semble ressasser encore et encore de vieux souvenirs, des scénarios préparés dans sa tête mais qui ont mal tourné, des désirs qui lui paraissent inatteignables. Si elle savait quelle chance elle a d'être en vie ! Que l'existence-même des Hommes est incroyable ! Elle oublierait ce pourquoi elle est malheureuse.

        Je crois qu'elle n'est pas à sa place dans sa famille. Jeudi dernier, elle nous voit nous disputer avec mon père. Rien de bien méchant. Il est en colère parce que j'ai déchiré mon tee-shirt de sport, les petits tracas de la vie quotidienne. Mais lorsqu'elle sort de la voiture et qu'elle lance un timide « Bonjour » pour essayer de me sortir de cette situation banale, je vois sa mine se décomposer sur place. Elle attrape rapidement ses affaires et rentre dans le gymnase en vitesse, prenant soin de vérifier que notre discussion ne tourne pas au drame. Je ne comprends pas tout de suite ce qui l'affecte autant.

        Nous allons nous préparer. Elle me fixe toute la durée de l'entraînement. Je ne sais plus où me mettre, ça en devient gênant. Je ne saisis toujours pas ce qui la met dans cet état, mais je ne m'inquiète pas pour autant, c'est une fille complexe, avec un caractère complexe, qui peut rendre n'importe quelle situation complexe. Bref, j'essaye d'arrêter d'être perplexe et j'attends patiemment la fin de la séance pour qu'elle reparte chez elle et qu'elle oublie tout ça.

        Il est presque 20h. Alors que nous nous étirons, je la sens ailleurs. Rien d'inhabituel à vrai dire. Simplement, cette fois c'est moi qui la fixe. Je tente de la percer à jour, mais je n'y parviens pas. Impossible d'en savoir plus sur elle.

        Le coach me fait quelques réflexions sur mon jeu de jambes et mon service. Je rétorque que c'est mon tee-shirt déchiré qui m'a fait perdre le dernier match. Il réplique « Heureusement que ton père n'est pas là, ça ne lui aurait pas fait plaisir d'entendre ça ». La mystérieuse lève soudainement la tête dans ma direction tandis que tout le monde rit. Son regard brisé m'analyse de la tête aux pieds, puis s'arrrête sur mon mollet pendant plusieurs secondes. Ses lèvres sourient à l'envers alors je jette un coup d'oeil rapide là où elle a posé ses yeux ; je remarque un bleu.

        Je comprends soudainement ce qui se trame... Je crois que son père la bat. Ca expliquerait sa réaction face à la dispute. Puis ce bleu qui la déstabilise tant... C'est sûr ! Elle n'a pas eu une enfance agréable.

        Je souris timidement, ne sachant comment réagir alors qu'elle me regarde maintenant dans les yeux.

        Je suis sorti de la salle mal à l'aise, elle est repartie brisée, et j'ai compris que la meilleure façon de connaître les gens, c'est de lire les traits de leur visage.


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