Après le repas (je vous passe le sketch du lave-vaisselle ! Je n’ai jamais ouvert pour savoir comment ça lave ! Donc je n’ai pas pu répondre à ses questions.), je le vois qui se tortille. Je sens qu'il a une question gênante. Ça m'énerve et ça m’amuse !

— Allez, accouche ! Dis-le !

— Je peux essayer ton vélo ? Celui que tu voulais me prêter ?

Mouais, en fait, je voulais pas trop… Passons. Je l'emmène dans la remise.

— Putain, il est vraiment chouette ! C'est incroyable ! Tu me montres ?

— Ben, j'sais pas ce que tu sais… C'est un VTT, un vélo tout-terrain, pour en faire partout, dans les prés, dans les bois. C'est pour ça qu'il a de gros pneus et pas de garde-boue.

— C'est sûr que c'est pas avec ça que Poulidor battra Anquetil !

— C'est qui ces types ?

— Ben, Anquetil, il a gagné le Tour de France et Poulidor, il est deuxième, comme toujours !

— Le Tour de France, ça existait déjà ? Bon, regarde, les freins ici et pour les vitesses là. Tu tournes la poignée, comme sur une moto.

— J'ai déjà fait une fois de la mobylette, avec un copain. Je connais. Je peux essayer ?

Le mongol prend le guidon avant que j'aie dit oui et commence à le sortir.

— Eh ! Attends, tu oublies ça !

Je lui tends mon casque, avec dedans les gants, les lunettes et les genouillères.

— C'est quoi ?

— Ben les protections ! On fait pas du vélo à poil ! Du reste, tu en aurais eu, tu te serais pas éraflé comme tu l'as fait !

Je lui règle et lui enfile tout ça. Il se regarde, l’air amusé.

— T’as pas un bouclier ? J’ai l’impression de partir faire un tournoi !

Il se croit drôle ! Il monte sur le vélo. Je me retiens pour ne pas le foutre par terre, car les vitesses font un bruit nul. Il va me le péter !

— Hé, faut pas croiser ! Fais gaffe !

— Je sais, t’en fais pas !

Pour savoir, le mec, il sait : très vite il a compris et il fait n’importe quoi, roulant dans le fossé, dans le pré. Il s’amuse comme un fou ! J’en reste comme deux ronds de flancs, parce qu’il maitrise super bien. J’oserai pas faire tout ça ! Après cinq minutes, il s’arrête, avec un immense sourire. Au moins, je sais comment le détendre. Je lui pique les protections et je monte à mon tour. Ce vélo, il est tout neuf. Avec l’autre, j’arrivais (bon, à peu près !) à faire de la roue arrière. Il faut que je lui montre que, moi aussi, je suis aussi bon. Ça, je suis sûr qu’il connait pas ! J’arrive à rouler sur cinq mètres ! Je m’attendais à ce qu’il applaudisse… Il me reprend le vélo, il fait trois essais et il y arrive mieux que moi. Là, il m’a scotché !

— Dis donc, le vélo, tu connais !

— J’adore ! J’en ai un et je l’ai déjà démonté complètement ! Même les roulements à billes !

Comme je ne sais pas ce que c’est, je ne suis pas trop impressionné. Enfin, si, quand même.

— Pourquoi t’as fait ça ? Nous on l’emporte chez le réparateur, pour les réglages et tout.

— Vous êtes des branques ! C’est trop fastoche. Et puis, j’aime bien savoir comment ça marche. Plus tard, je serai ingénieur ! C’est incroyable ce qu’ils font. Je veux pouvoir aussi tout inventer. Le France, La Caravelle, la DS, la télé couleur, le Concorde, le bathyscaphe, tout ça ! Tout ce qu'ils sont en train d'inventer…

J'adore ce mec ! Je ne comprends rien à ce qu’il me raconte. Jamais entendu parler de ces trucs « géniaux ». Si, la télé couleur, je connais. Je croyais juste qu'elle était née comme ça ! Si elle est pas en couleur, elle est en quoi ? J'aime sa curiosité et son enthousiasme. Moi aussi, j'ai envie d'inventer des nouveaux trucs ! Je regarde quand même : un paquebot, un avion, une voiture, un sous-marin ! Bof ! Qu’est-ce qu’il y a de nouveau ? Il va falloir que je comprenne ! Je note dans un coin ces noms. Comme je suis un peu comme lui, je lui dis :

— Moi aussi, je veux être ingénieur. En informatique.

— C’est quoi ?

J’avais oublié…

— C'est tout ce qui permet aux machines de fonctionner. Tu vois, quand on fait des recherches sur mon téléphone, quand je programme le four, tout ça, c’est de l’électronique et de l’informatique !

— Ça à l’air vachement compliqué !

— Oui, mais c’est super intéressant ! Ils n’arrêtent pas de trouver des nouveaux trucs. Mais comment elle t’est venue, ton envie d’être ingénieur ?

— Tu connais Tintin ?

— Non !

— Les aventures de Tintin !

— Ah oui ! C'est nul. Je le lisais quand j'étais minot.

— Ils viennent de publier Les bijoux de la Castafiore. Je suis d'accord, c'est nul ! Mais le journal, tu connais ?

— Moi, je ne lis pas de journal. Les parents en reçoivent, mais c'est pour leur boulot. Je crois qu'il n’y’a plus de journaux !

— Ah ! Dommage ! Moi, on me prête Tintin et Spirou. Ce que je préfère, ce sont les longues histoires, on apprend plein de choses sur plein de trucs. Il nous explique aussi toutes les nouveautés, tous les progrès. Chaque semaine, il y a une nouvelle invention.

Moi, ses revues et les peintures de Lascaux, c’est du kiff !