Scène 12
Scène 12
Caevanne souhaitait à présent retrouver sa chambre et traversa le couloir plongé dans l’obscurité pour s’y rendre. Au moment où elle s’apprêtait à prendre l’escalier, une voix familière l’arrêta.
— Tu peux venir avec moi à la forge ? Je voudrais te parler de quelque chose d'important.
Derrière elle, l'elfe devina la silhouette de Thilas dans la pénombre. Il venait de sortir d’une des pièces adjacentes au couloir, sa chambre. Elle s'approcha et se demanda ce qu’il pouvait bien avoir à lui dire de si particulier.
— Suis-moi, c'est dehors, à côté de l’écurie.
Sans perdre de temps, la jeune elfe lui emboîta le pas et tous deux traversèrent la cuisine déserte.
Il s’arrêta devant la porte d’entrée et la fixa. Caevanne ressentit à cet instant précis une étrange vibration, un bourdonnement presque inaudible qui résonnait dans sa boîte crânienne.
Un regard sur Thilas lui confirma qu’il ne semblait pas l’avoir remarqué.
— Il ne vaut mieux pas que Jolianne m’entende parler de ça, dit-il tout bas. Elle s’énerve toujours très rapidement quand j’aborde le sujet.
La jeune elfe ne l’écoutait plus, elle essayait en vain de trouver l’origine du faible vrombissement qu’elle percevait.
— Tu sais, je pense qu’elle me cache quelque chose, poursuivit Thilas qui ne paraissait toujours pas y prêter la moindre attention.
Il ouvrit la porte d’entrée et s’engagea dans la cour baignée de lumière.
Caevanne l’entendit reprendre son explication mais sa voix était lointaine. Le sifflement ne cessait de s’intensifier. Elle posa la main sur son front.
— Quelque chose ne va pas ? lui demanda finalement Thilas.
Prise d’un vertige, l'elfe s’adossa contre l'embrasure de la porte.
— Je ne sais pas, c'est peut-être la fatigue.
Ce qu'elle ressentait la préoccupait. Jamais Caevanne n’avait éprouvé de sensation semblable à celle-là auparavant. Dévisageant Thilas, elle s’attendait à ce qu’il lui dise d’aller se reposer, qu’ils pourraient revenir plus tard mais il n'en fit rien et resta là à l'observer, le regard étrangement absent.
D'un pas hésitant, Caevanne s’engagea à son tour dans la cour.
Arrivé au niveau de l’écurie, celui-ci l’arrêta de nouveau et désigna un des grands chevaux noirs qui leur faisaient face.
— C’est pour lui qu’Ogan m’a demandé d’aller à la forge, son propriétaire dit qu’il boîte et je pense que c’est à cause de l’usure de ses fers. Il veut qu’on les lui remplace avant son départ, demain matin.
Sans s’étendre davantage en explications, Thilas se dirigea vers le fond de la cour.
Tous deux se trouvaient devant ce que Caevanne avait perçu à première vue comme un recoin sombre et abandonné de la cour.
L’espace de la forge était à peine plus grand que la cuisine, le sol y était en terre battue.
Une enclume se trouvait en son centre. Caevanne remarqua également de nombreux outils métalliques accrochés un peu partout sur le mur noirci d’une épaisse couche de suie qui les séparait de l'habitation voisine.
Thilas s’arrêta et sorti un objet de sa poche.
— Regarde, c’est ce que je voulais te montrer.
Il lui tendit une broche qu’elle examina avec curiosité. Elle était en argent, finement ouvragée. Caevanne reconnut le travail des elfes.
— C’était à ma mère, expliqua Thilas.
Son changement d’attitude n'échappa pas à la jeune elfe. Il semblait soudainement très grave.
— Je n’en ai jamais vu de comme ça, là où j’étais, souffla-t-elle. Peut-être que ça vient de l’île principale, des grandes cités elfes.
— Tu crois ? répondit-il en empoignant le maillet contre le mur. Et tu n’as jamais pu aller là-bas ?
Caevanne sentait que ce sujet était très important pour lui. Elle aurait aimé pouvoir lui en apprendre plus sur l'origine de la broche.
— Non, j’en ai simplement entendu parler.
Elle devina chez lui une légère frustration qui se volatilisa lorsqu’il reporta toute son attention sur le fer qu’il tapait à grand coup de maillet.
Le regardant travailler le métal rougeoyant, la jeune elfe se demanda quel genre de femme pouvait être sa mère. Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'ils se retrouvent séparés ?
Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua pas tout de suite Thilas s’avançer vers elle, tenant entre ses gants en cuirs les fers à cheval encore fumants.
— Voilà, je vais les donner à Ogan quand il rentrera. On ferait bien d’y aller, c’est une vraie fournaise ici.
Tous deux retrouvèrent Jolianne dans la cuisine, affairée à préparer le repas du soir. Elle remarqua leur présence et fit signe à Caevanne de venir la voir.
— J’aurai besoin de ton aide pour écailler le poisson de ce soir. Je suppose que tu sais comment t’y prendre, non ?
— Oui, bien sûr !
C’était évidemment une activité que la jeune elfe pratiquait presque tous les jours avec son père lorsqu’il rentrait de la pêche. Caevanne était ravie. Elle allait pouvoir se rendre utile.
Lorsque Thilas disparut dans le couloir, Jolianne se rapprocha discrètement d’elle et parla si bas que la jeune elfe dût se pencher pour l’entendre.
— Jai bien réfléchi à ce qu’on s’est dit tout à l’heure. J’ai beaucoup de choses à faire en ce moment mais je pense qu’on va pouvoir se débrouiller, ajouta l’humaine.
Caevanne éprouva une grande reconnaissance pour Jolianne. Résignée à rester à Albar, elle souhaitait plus que tout comprendre les discussions qu’il pouvait y avoir autour d’elle. L’humaine sembla remarquer son enthousiasme.
— Je suis contente que ça te fasse plaisir, lui-dit-elle, retiens cependant qu’il va falloir que tu te lèves un peu plus tôt que d’habitude si tu veux qu’on ait le temps de faire quelque chose !
La jeune elfe avait l’impression d’avoir retrouvé sa mère. Avant que d’autres souvenirs ne la rattrapent, elle prit l’un des poissons qui remplissaient la corbeille, s’équipa du couteau que Jolianne lui tendait et se mit au travail.
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