Chapitre 8 : Retour à Abyssombre, Partie 2
Moins d’une heure plus tard, nous étions déjà à bord de mon vaisseau sous-marin en direction d’Abyssombre. Confortablement installé dans la salle principale du pont inférieur avec Élisabelle, nous discutions des récentes attaques des rebelles atlantes sur nos avant-postes au nord du Royaume Submergé.
- Le Prince Kérès est furieux, me racontait Élisabelle sur un ton de conspiratrice. Son territoire est le plus touché, et malgré tous ses efforts il n’arrive pas encore à localiser leur cachette. Mais quand il les trouvera enfin…
- Mieux vaut pour eux qu’ils soient morts avant, ai-je achevé, sachant pertinemment que niveau cruauté, le prince Kérès n’avait rien à envier à qui que ce soit.
J’ai alors observé mon épouse Aïna, installée à l’autre bout de la pièce, le regard perdu dans la contemplation du paysage marin défilant à travers la baie vitrée du vaisseau. Son comportement n’avait toujours aucun sens pour moi… Malgré notre première conversation sans se disputer, elle avait continué à refuser avec une obstination extrêmement irritante mon bras chaque fois que je le lui ai proposé pour l’aider à descendre d’un véhicule ou les escaliers de la gare. Je n’arrivais pas à comprendre ce qu’elle voulait de plus…
Une petite toux rauque ramena mon attention sur Élisabelle. Cette dernière m’intima avec un léger signe de tête d’aller voir Aïna. J’ai secoué vigoureusement la mienne. Hors de question de continuer à me faire humilier par cette fée au caractère insupportable. Mais un nouveau hochement de tête plus insistant de la part de la baronne me poussa à me lever, non sans un bref soupir, pour aller voir mon épouse.
Cette dernière, manifestement complètement absorbée par sa contemplation, ne remarqua même pas mon arrivée lorsque je me suis placé à ses côtés. Elle ne finit par tourner la tête vers moi que lorsque je lui ai lâché d’un ton neutre :
- N’êtes-vous pas fatiguée ?
Un instant surprise par ma présence et aussi par ma question, elle finit par me répondre d’une voix gênée :
- Euh… non, ça va, merci.
J’ai haussé les sourcils d’étonnement. Après m’avoir repoussé à plusieurs reprises, voilà maintenant qu’elle me remerciait pour ma sollicitude ? La fée se plaqua aussitôt la main devant sa bouche et rougit, comme si elle regrettait d’avoir lâché ces mots. Toutefois, elle semblait plus embarrassée que méfiante à présent. L’idée m’est alors venue que c’était peut-être le bon moment pour éclaircir le malentendu de ce matin.
- Par rapport à votre question de tout à l’heure… ai-je commencé en éclaircissant la voix.
- Hum ? fit-elle sans s’engager.
- Ce n’est pas pour vous amadouer que j’agis ainsi… Je me soucie vraiment de votre bien-être…
- Oui, parce qu’il est indispensable aux plans de votre reine, ironisa-t-elle sèchement.
- Pas seulement ! ai-je rétorqué avec véhémence.
Aïna ouvrit ses grands yeux roses d’étonnement, tandis que j’ai serré les poings d’embarras devant mon émotivité soudaine. Heureusement, j’ai tout de même réussi à conserver un visage impassible.
- Vous êtes en train d’avouer que c’en est quand même une raison, reprit Aïna d’un ton inquisiteur en croisant les bras sur sa poitrine. Mais quel est l’autre ?
- Vous êtes malheureuse, je me trompe ? ai-je fini par répondre.
- Qui ne le serait pas dans ma situation ? répliqua mon épouse, avant d’ajouter d’une voix plus douce après avoir jeté un coup d’œil à Élisabelle. Enfin, j’ai tout de même la chance d’avoir des personnes bienveillantes à mes côtés.
- Élisabelle va passer quelques jours avec nous… mais quand elle rentrera, quelqu’un devra bien prendre le relais pour s’occuper de vous, lui ai-je dit avant d’ajouter d’un ton plus doux. C’est mon rôle en tant qu’époux, de toute façon.
- Quel est le rapport avec ma question ? m’interrogea Aïna, qui ne semblait manifestement pas prête à lâcher le morceau.
Je n’allais donc pas y échapper… Mais peut-être était-ce là l’occasion de mettre enfin à plat nos différents pour assainir durablement notre relation. Alors plutôt que de me défiler, je me suis éclaircis la gorge avant de lui répondre en toute honnêteté :
- S’il est vrai que votre bien-être est indispensable pour mener à bien les projets de Sa Majesté, ce n’est pas la seule raison pour laquelle j’ais ainsi… Je suis aussi lassé de nos disputes quotidiennes. Je pense que ce serait mieux pour nous deux qu’on entretienne des relations au moins cordiales, et puis…
J’allais ajouter que j’avais moi-même envie d’apprendre à mieux la connaitre… mais c’eut été reconnaître l’intérêt qu’elle m’inspirait, et je ne voulais pas paraître faible. Aïna me regardait toujours avec ses grands yeux roses, attendant que je finisse ma phrase. Embarrassé, j’ai secoué la tête en lâchant :
- Rien. C’est tout.
- Ah, non ! protesta la fée en gonflant à nouveau sa joue d’un air boudeur. C’est injuste d’attiser ma curiosité et de ne même pas la satisfaire !
Elle s’était approchée un peu plus de moi… et cette proximité combinée à son expression boudeuse que je ne pouvais m’empêcher de trouver tout à fait charmante, réveilla en moi le désir que j’essayais tant bien que mal de contrôler depuis notre nuit de noce. J’ai fait aussitôt un pas en arrière pour m’éloigner d’elle, comme si son simple contact pouvait me brûler.
- C’est bon, je vous dis, ai-je jeté en m’éloignant. Je vous laisse réfléchir à ce que je viens de vous dire.
Laissant là la fée qui m’observait toujours, je suis retourné m’installer à côté d’Élisabelle.
- Alors, comment ça s’est passé ? me demanda aussitôt mon amie.
- Plutôt bien, ai-je admis.
- Donc je suppose que je peux commencer à organiser l’intronisation de mes deux futurs filleuls d’ici dix à onze mois… déclara Élisabelle en se frottant les mains d’impatience, un sourire calculateur sur le visage.
- De… D’où tires-tu cette conclusion ? me suis-je exclamé en rougissant d’indignation et d’embarras. Et comment ça, deux filleuls ?
- Oh, j’ai simplement consulté mes cartes de divination. Elles m’ont révélé que tu aurais deux héritiers mâles pour commencer…
- Pour commencer ?
- Attends-toi à une famille nombreuse, mon garçon !
J’ai grommelé une réponse qui ne m’engageait à rien, perdu dans mes pensées. Élisabelle utilisait régulièrement ses cartes en os de baleine pour « prédire l’avenir », selon un tirage et un calcul astronomique complexe qui me laissait complètement indifférent. S’il lui arrivait parfois d’avoir raison, le plus souvent ses prédictions étaient complètement erronées… Ce qui ne l’empêchait pas de balayer mes railleries en avançant qu’elle avait sans doute mal interprété les signes, sans jamais remettre en question le « pouvoir » de ses cartes.
Mais l’idée qu’elle pourrait bien avoir raison cette fois-ci me taraudait… Allais-je vraiment avoir des enfants avec Aïna ? Cela me semblait pourtant mal parti vu l’état actuel de notre relation…
***
Nous avons fini par arriver à Abyssombre environ trois heures plus tard. Le vaisseau s’arrêta devant les imposantes portes de mon domaine, perché au-dessus de la faille sous-marine à laquelle il devait son nom. J’en ai profité pour admirer avec fierté les tours et les façades sculptées du bâtiment, ainsi que l’immense pyramide de verre qui surplombait le jardin intérieur occupant le carré central du château. C’était un palais digne d’un roi… et le symbole éclatant de ma puissance.
Les deux battants s’ouvrirent alors qu’une passerelle de verre se déployait jusqu’au sas d’ouverture du vaisseau où moi, Aïna, Élisabelle et le reste des domestiques transportant nos bagages attendions. Sitôt la plateforme connectée au vaisseau, nous nous sommes dirigés vers les portes du château (j’ouvrais bien sûr la marche). Élisabelle en profita pour vanter les mérites d’Abyssombre à Aïna, qui semblait intéressée par les explications de mon amie. Manifestement, le château avait l’air de lui plaire. Un léger sourire étira mes lèvres, tandis que nous arrivions au luxueux hall d’entrée qu’Aïna contempla avec ébahissement. Les esclaves du château étaient déjà réunis en demi-cercle pour nous accueillir. Dès que j’ai franchi l’entrée, ils s’inclinèrent aussitôt devant nous en nous adressant un vibrant « Bienvenue chez vous, Monseigneur ! », puis restèrent figés en attendant mes ordres. Les ignorant complètement, je me suis tourné vers Aïna en écartant les bras d’un geste théâtrale.
- Bienvenue dans ma… notre demeure, lui dis-je, pensant lui faire plaisir en mentionnant que ce foyer était aussi le sien désormais.
Son expression se referma aussitôt et elle baissa immédiatement les yeux sur le parquet lustré.
- Cet endroit n’est pas une maison, pour moi, répliqua-t-elle, refusant obstinément de croiser mon regard.
J’ai serré les dents en retenant à grand peine un grondement irrité. La voilà qui recommençait de nouveau à changer d’humeur en un éclair ! Élisabelle elle-même poussa un soupir découragé alors qu’elle était en train de confier sa cape à un esclave. Elle commença alors à monter les marches du grand escalier principal en annonçant à la ronde :
- Je vais me reposer un peu avant le dîner. Je vous conseille d’en faire de même.
Nul besoin de l’accompagner, elle connaissait ce château aussi bien (si ce n’est même mieux) que moi. Mais ne désirant pas rester seul avec Aïna de peur que son comportement ne finisse par user le reste de ma patience, j’ai alors ordonné d’une voix sèche :
- Laïus, conduis la comtesse à ses appartements.
- Bien, Monseigneur, répondit ce dernier en s’inclinant devant moi, avant de se tourner vers ma femme. Si Madame veut bien se donner la peine de me suivre…
- Bien entendu, répondit cette dernière avec un bref sourire en lui emboîtant le pas dans le grand escalier alors qu’Élisabelle avait déjà disparu.
Je les ai suivis du regard jusqu’à ce qu’ils disparaissent, puis je me suis alors aperçu qu’aussi bien les esclaves d’Abyssombre que ceux que nous avions emmenés avec nous n’avaient pas bougé d’un poil, attendant mes ordres.
- Disparaissez, ai-je grommelé.
Je n’eus pas besoin de le répéter. Tous ici savaient qu’il était dangereux de ne pas exécuter mes ordres à la seconde. En un clin d’œil, la centaine d’esclaves qui encombrait le hall s’était évanouie dans les couloirs d’Abyssombre, me laissant seul tandis que les portes de ma demeure se refermaient derrière moi avec un claquement sinistre. Ce n’était pas le retour triomphal que j’avais envisagé quelques jours plus tôt lorsque j’étais parti répondre à la convocation de la reine…
Désabusé, j’ai traversé l’escalier pour m’enfoncer dans l’un des couloirs de ma demeure, laissant mes pas me guider vers la bibliothèque. J’appréciais tout particulièrement cette pièce (non pas pour la lecture, car je n’avais que faire des livres… ça c’était la lubie de ma belle-mère) parce qu’elle montrait d’un côté le décor marin entourant Abyssombre, et de l’autre mon jardin intérieur. Une fois arrivé, je me suis laissé tomber dans le premier fauteuil à ma portée, plongé dans mes pensées. Je ne sais à vrai dire combien de temps je suis resté ainsi à contempler le plafond, en réfléchissant à comment allais-je supporter ma nouvelle vie d’homme marié avec une épouse qui me détestait et ne s’en cachait pas. Si au moins elle avait été esclave, cette relation ne m’aurait pas causé de tels maux de tête…
Alors que je tournais la tête pour observer le jardin intérieur, je me suis soudain aperçu que ce dernier n’était pas vide. Ma femme s’y trouvait, près de la fontaine qui en occupait le centre. Elle examinait les haies de roses écarlates et les arbustes taillées qui remplissaient le jardin avec un plaisir évident. Je me suis levé du fauteuil pour l’observer un peu plus, stupéfait par son changement d’humeur. C’était comme si la nature qui l’entourait lui avait redonné le sourire… un sourire épanoui que je ne lui avais encore jamais vu.
J’aurais pu rester ainsi à l’observer dans l’ombre encore longtemps, mais sa vulnérabilité ainsi affichée attisait à nouveau mon désir. J’avais envie de me rapprocher d’elle, de l’observer de plus près…
Ni une, ni deux, je me suis changé en essaim de chauve-souris pour foncer à travers le couloirs et arriver à l’arche ogival qui donnait sur le jardin. J’ai alors repris forme humaine pour jeter un discret coup d’œil à ma femme depuis le pilier derrière lequel j’étais caché.
« Tu ne penses pas que tu es ridicule, à te cacher ainsi dans ta propre demeure ? » me tança vertement une petite voix dans ma tête.
« Silence », ai-je grommelé, tout à ma contemplation de la jeune fée, qui était à présent en train de défaire ses tresses, libérant ainsi ses cheveux blond vénitien qui tombèrent en cascade sur ses épaules.
Aïna s’approcha à nouveau d’une haie de roses, se défaisant de ses chaussures dès que ses pieds foulèrent l’herbe fraîche. Le contact parut lui faire plaisir, car elle laissa échapper un petit rire cristallin qui fit frémir mes muscles. Puis elle s’agenouilla au centre du carré vert, et inspira en fermant les yeux avec ravissement le parfum des plantes qui l’entouraient. J’ai observé ce visage détendu, apaisé… Sans que je ne me l’explique, j’ai senti mon cœur battre de plus en plus fort.
Soudain, quatre ailes translucides jaillirent dans son dos. J’ai écarquillé les yeux de surprise. Leur étrange membrane semblait refléter de manière éclatante la lumière du jardin, comme si des centaines de petits diamants étincelants étaient accrochés à ses ailes. Fasciné par cette lumière vibrante, j’ai lentement quitté ma cachette. Avant même que je ne comprenne ce que je faisais, je m’étais à nouveau transformé en essaim de chauve-souris aussi silencieuses qu’une chouette pour traverser le jardin. J’ai repris forme humaine juste derrière mon épouse qui, les yeux fermés et bercée par la tranquillité du jardin, n’avait même pas senti mon arrivée. A moins d’un mètre de moi, les ailes brillantes et délicates d’Aïna battaient doucement, dévoilant la silhouette vulnérable de leur propriétaire. Comment des ailes aussi fragiles pouvaient supporter le poids d’une personne entière dans les airs ?
Toujours émerveillé par la façon dont ses ailes reflétaient la lumière, j’ai alors tendu mes doigts… jusqu’à effleurer l’une d’entre elles. Aïna sursauta aussitôt et se retourna d’un bond, les joues rouges de surprise et d’embarras. Ses ailes disparurent aussitôt.
- C’est moi, l’ai-je rassuré en levant les mains pour l’apaiser. Pas besoin de sursauter comme ça.
Mais je ne peux retenir un petit sourire en observant l’expression à la fois effarouchée et contrariée sur son visage. Ce mélange combiné à la vulnérabilité qu’elle affichait ne manquait pas de charme à mes yeux… Cependant je ne pus en profiter davantage car en un instant, la fée se recomposa un masque de méfiance. Se relevant en s’éloignant de quelques pas, elle me demanda alors d’un ton sec :
- Que faites-vous ?
Son ton était clairement sur la défensive. Je l’avais pris en défaut alors qu’elle avait délaissé son habituelle armure d’indifférence, et elle se sentait menacée. J’ai compris qu’il valait mieux éviter de la taquiner davantage, sans quoi elle risquait de s’enfuir de nouveau… Et ce n’était pas ce que je voulais.
- Je n’avais encore jamais vu d’ailes de fées. J’étais juste curieux, ai-je reconnu. Elles sont si fines et transparentes… J’ai l’impression qu’un simple coup de vent pourrait les briser.
L’expression de la fée se détendit.
- Elles sont en effet d’une grande fragilité, même si pas à ce point, admit-elle. Voilà pourquoi j’ai sursauté en sentant vos doigts s’en approcher. Je dois en prendre grand soin, si je ne veux pas définitivement les perdre…
Elle jeta alors un regard attristé à la végétation autour d’elle.
- -Moi qui adore virevolter au milieu des oiseaux, des papillons, des libellules… continua-t-elle en faisant apparaître ses ailes, comme si ces souvenirs lui donnaient envie de s’envoler.
- Oui c’est ça ! l’ai-je coupé d’un ton triomphant tout en admirant ses ailes translucides qui, curieusement, s’étaient mises à vibrer davantage dans son dos. Elles ressemblent à des ailes de libellule, mais en bien plus grand.
Je m’en suis aussitôt voulu. Pour une fois qu’elle semblait se laisser aller à me confier des choses sur elle, je venais de l’interrompre ! Mais un petit sourire indulgent étira les lèvres de mon interlocutrice.
- C’est vrai, acquiesça-t-elle en levant les yeux pour croiser mon regard.
J’ai regardé ce petit sourire, et ces yeux brillants qui m’envisageaient sans haine, méfiance ou mépris. Est-ce qu’elle venait vraiment de me sourire, à moi ? J’ai alors senti les battements de mon cœur s’accélérer encore plus, et mon désir pour elle gronder à nouveau… Néanmoins je me suis forcé à conserver un visage impassible.
- Je suis surprise de votre proximité avec la nature, entre votre magie et votre beau jardin, avoua-t-elle soudain en détournant les yeux. Mais laisser pousser ces plantes librement sans interférer dans leur croissance aurait été préférable, sans compter qu’une plus grande diversité de couleurs aurait été plus agréable à la vue…
J’ai claqué la langue avec impatience. Bien entendu, il ne fallait pas plus de deux minutes à ma chère épouse pour transformer une conversation anodine en une leçon de vie. Maintenant, elle allait me dire comment entretenir mon jardin ! M’obligeant à garder patience, j’ai rétorqué avec calme :
- Si j’avais mis des fleurs d’autres couleurs que le rouge, je n’aurais pas l’illusion de mares de sang depuis les fenêtres des étages supérieurs. N’aurait-ce pas été dommage ?
A vrai dire, j’appréciais surtout la couleur écarlate, et les plantes qui se trouvaient ici me fascinaient par leur beauté à la fois délicate, piquante… et parfois même mortelle. J’appréciais la nature… mais je savais qu’elle pouvait être aussi belle que cruelle, et ce jardin à mes yeux reflétait parfaitement cette dualité. Cependant il aurait été inutile d’expliquer cela à ma chère épouse, laquelle me prenait déjà pour un monstre sans délicatesse. Autant lui donner la preuve supplémentaire que je n’étais qu’un barbare sans respect…
Aïna ne perçut même pas l’ironie de mes propos. Elle plaqua sa main sur sa bouche pour étouffer un hoquet horrifié… très théâtrale à mon avis.
- Même la nature est détournée à des fins malsaines avec vous ! s’indigna-t-elle.
- Vous êtes entourée de plantes carnivores, vénéneuses ou épineuses, si ce n’est pas les trois à la fois… ai-je répliqué en poussant un peu plus loin ma pique, quelque peu amusé de la voir s’enflammer aussi facilement. Qu’espériez-vous d’autre ?
A ma grande surprise, son expression s’adoucit aussitôt, comme si j’avais soulevé un point intéressant.
- Ce que vous dites n’est pas faux, reconnut-elle.
« Vraiment ? » me suis-je étonné.
- Mais il n’empêche que tous ces végétaux sont beaux à leur façon et ont tous leurs propriétés bienfaitrices, plus spécialement en médecine. Certains ont même de nobles significations, ajouta-t-elle avec un sourire attendri.
- Lesquelles ? lui ai-je demandé en haussant un sourcil.
Aïna s’approcha d’une haie de roses.
- Eh bien… Par exemple, ces roses rouges représentent l’amour passionné, m’expliqua-t-elle en caressant l’une des fleurs du bout des doigts.
Je l’ai observé un instant penchée ainsi, les cheveux défaits coulant librement sur ses épaules, ses pieds nus foulant l’herbe et ses ailes vibrant doucement dans son dos.
- L’amour passionné, répétai-je doucement.
Nos regards se sont alors croisés… puis nous avons aussitôt détourné les yeux, aussi gênés l’un que l’autre. S’en fut apparemment trop pour la fée, qui fit disparaître ses ailes de libellules et s’enfuit aussitôt en remontant l’allée jusqu’à l’arc ogival marquant l’entrée du jardin. Je m’aperçus alors qu’elle était toujours pieds nus.
- Vos chaussures ! lui ai-je crié en les ramassant, mais la fée ignora ma remarque et se mit à courir jusqu’à disparaître sous l’arche d’acier.
J’ai continué à observer l’endroit où elle avait disparu, ses souliers délicats dans ma main. Je me suis alors rappelé les légendes sur le peuple des fées. On disait qu’elles étaient des divinités protectrices de la nature… capables d’éteindre les incendies menaçant les forêts, tout comme d’allumer le brasier de la passion dans les cœurs des hommes qui croisent leurs regards.
Une légende ridicule… qu’à cet instant précis, j’étais prêt à croire sans hésiter.
A suivre...
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