Chapitre 10 : Les affaires du domaine, Partie 2

16 minutes de lecture

  • …Trente-mille inferis pour le nouveau chargement d’esclaves à destination des mines, cita Laïus en lisant consciencieusement le long parchemin qu’il tenait dans les mains. Ainsi que deux-cent mille inferis pour l’agrandissement de l’usine numéro quatre, chargée de traiter les cristaux d’eyra destinés à la fabrication des vaisseaux.

J’ai poussé un soupir découragé. Deux jours s’étaient écoulés depuis que nous étions revenus des mines avec Aïna… Deux jours pendant lesquels j’avais à peine vu mon épouse, si ce n’est à l’heure des repas, pendant lesquels nous rivalisions d’efforts pour nous ignorer mutuellement (au grand dam d’Élisabelle qui multipliait les tentatives pour nous rapprocher).

C’était aussi le temps qu’il avait fallu à mon nouvel intendant pour prendre connaissance de toutes les affaires inhérentes à sa charge, puis de me requérir une audience. Cela devait bien faire à présent trois heures que je m’entretenais avec Laïus sur les affaires de mon domaine, et il me semblait que cette corvée ne finirait jamais. Nous avions révisé des chiffres, des estimations de productivité pour les prochains semestres… Tant de données qui, pour moi, ne voulaient rien dire, si ce n’est qu’elles se convertissaient généralement en inferis sonnants et trébuchants dans ma bourse.

  • Toutefois s’agissant de la rénovation de l’usine, votre directeur de production m’a remis un projet très intéressant de construction d’une onzième usine de traitement d’eyras, ce qui pourrait nous permettre d’accroître la productivité dans ce secteur de…
  • Rappelle-moi pourquoi est-ce que je dois écouter tout ça, déjà ? l’ai-je interrompu pour la troisième fois (j’avais encore besoin de me convaincre que cette torture était nécessaire).
  • Comme je vous l’ai dit Monseigneur, votre avis m’est nécessaire pour m’acquitter de mes tâches d’intendant de la meilleure des manières, me répondit une nouvelle fois Laïus (avec, je dois l’admettre, beaucoup plus de patience que je n’en étais capable). En prenant mes fonctions ici, j’ai consulté les derniers rapports de l’ancien intendant et j’y ai trouvé plusieurs… irrégularités qui me semblaient suffisamment importantes pour être discutées avec vous.
  • Je n’ai jamais eu à me plaindre de l’intendant précédent, et jamais il ne m’a ennuyé avec ces fichus chiffres, ai-je grommelé.
  • Loin de moi l’idée de dire du mal de mon prédécesseur, mais… Je pense, Monseigneur, que dans sa hâte à vous apporter satisfaction, il n’a pas voulu vous déranger sur des sujets qu’il savait… irritables, pour vous. Et ce faisant il a pris des décisions en votre nom qui, selon mon point de vue, n’étaient pas forcément pertinentes.
  • Tu insinue qu’il m’aurait trompé ?
  • Pas exactement… corrigea Laïus en choisissant ses mots avec soins. Je pense qu’il vous était loyal, mais qu’il n’était pas forcément suffisamment compétent pour prendre toutes ces décisions. Et de son incompétence en tant que gestionnaire d’Abyssombre, a résulté une perte de croissance pour votre domaine, ajouta-t-il après réflexion.
  • J’ai perdu de l’argent ? me suis-je exclamé en haussant un sourcil stupéfait.

D’aussi loin que je m’en souviennes, je n’avais jamais su exactement à combien s’élevait ma fortune. Toutefois je savais que j’étais immensément riche, suffisamment en tout cas pour acheter tout ce que je voulais… sauf le cœur de Némésis. Abyssombre était le domaine privé le plus important du Royaume Submergé, et seul les territoires détenus directement par les Nocturii étaient plus riches encore. En conséquence, je n’avais jamais manqué de rien, et comme la gestion quotidienne du domaine était un sujet que je trouvais mortellement ennuyant, je n’avais jamais vu la nécessité de m’y intéresser de près. J’étais un guerrier, un commandant, pas un fichu comptable ! A la place, j’avais donc chargé mon intendant de gérer les affaires quotidiennes du domaine ainsi que ma fortune, ne me contentant d’intervenir que lorsque je voulais quelque chose (comme acheter une nouvelle propriété qui m’avait plu, ou agrandir celles que j’avais déjà).

  • Eh, bien, vous n’avez pas à proprement parlé perdu de l’argent, expliqua Laïus. Abyssombre est toujours extrêmement riche, et vos bénéfices sont toujours aussi larges. Seulement… ils sont moins importants qu’ils n’auraient dû l’être si le domaine avait été mieux administré.

J’ai serré les dents d’irritation. Cet intendant avait été nommé après mon ascension en tant que Comte d’Abyssombre, après que j’ai fait exécuter l’ancien gestionnaire du domaine (un fidèle de mon père qui l’avait suivi dans la mort). Ensuite, j’avais désigné le premier esclave qui me paraissait suffisamment lèche-botte pour le remplacer, afin d’être sûr qu’il ne me poignarderait pas dans mon dos. Manifestement si sa loyauté était restée intacte, c’était sa compétence qui m’avait fait défaut… Heureusement, le mégalodon qui l’avait tué m’avait débarrassé de cette plaie.

  • C’est peut-être lui que j’aurais dû nommer intendant… ai-je murmuré avec colère.
  • Comment, Monseigneur ? demanda Laïus en haussant les sourcils.
  • Aucune importance. Où en étions-nous ?
  • L’usine de cristaux eyras, Monseigneur. Je pense que le plan de construction présente des qualités indé…
  • Fais-le, dans ce cas, l’ai-je coupé, désirant vivement accélérer le processus. Affaire suivante !
  • Je souhaiterais convoquer au château les principaux gestionnaires de votre domaine : le contremaître des mines, le directeur des usines de production, le chef de la garnison et votre responsable en relations commerciales, m’annonça alors Laïus. Si l’ancien intendant n’était pas des plus compétents, je pense aussi qu’ils n’ont pas forcément rempli leur rôle à la hauteur de vos attentes. Ce serait donc l’occasion de me présenter officiellement à eux et de leur faire comprendre que Monseigneur a l’intention de… remettre de l’ordre dans ses affaires.

Voilà ce qui arrivait quand on laissait trop de liberté aux servilis : ils commençaient à prendre leurs aises au dépend de leur maître ! Je n’étais pas connu pour ma clémence envers les erreurs de mes serviteurs, et pourtant certains se permettaient tout de même d’en faire, tout cela parce que je n’étais pas constamment sur leur dos ! Je commençais à croire qu’une collation quotidienne pour le mégalodon qui rodait autour d’Abyssombre allait très vite devenir nécessaire, si je voulais purger mon domaine de tous ces parasites…

  • Et ma présence à ce conseil est… nécessaire, j’imagine ? ai-je grommelé en reportant mon attention sur Laïus.
  • Monseigneur est libre de ne pas y assister, répondit ce dernier. Toutefois je pense qu’il serait bon que vos gestionnaires sachent que leur maître surveillent ses affaires de près… Cela les incitera à faire preuve de diligence.
  • Je pourrais aussi les faire exécuter et les remplacer par des hommes de ton choix, ai-je proposé avec un sourire ravi.
  • C’est une… proposition audacieuse, Monseigneur, convint l’intendant. Toutefois je pense qu’il serait plus difficile de leur trouver des remplaçants. Ces quatre-là sont à votre service depuis très longtemps, et ils détiennent une expérience que leurs remplaçants n’auraient probablement pas. Le temps qu’ils prennent leurs marques, nous gaspillerions un temps considérable à mettre en place les réformes que j’envisage pour augmenter la croissance du domaine. Ce serait bien plus rapide avec les gestionnaires en place, pour peu que nous parvenions à les mettre au travail.
  • … Entendu, ai-je lâché d’un ton réticent. Fixe une date, et… je verrais ce que je peux faire.

Je n’avais aucune intention d’assister à cette réunion, qui s’annonçait aussi longue et ennuyeuse que celle-ci (surtout si je ne pouvais pas faire exécuter au moins un de ces imbéciles en guise d’avertissement). Cependant Laïus n’avait pas tort : ma présence donnerait du poids à son intronisation en tant qu’intendant. Elle l’aiderait à affirmer son autorité face à ces gestionnaires qui, laissés pratiquement libres pendant des siècles sous son prédécesseur, n’avaient sûrement pas l’intention de rendre cette autonomie sans lutter. Mais la justesse des propos de Laïus ne m’empêchait pas de soupirer intérieurement de désespoir…

  • Autre chose ? demandai-je à mon intendant avec impatience.

Le regard de Laïus se fit hésitant, mais il désigna néanmoins une enveloppe posée sur la pile de documents qu’il m’avait apporté (le détails des chiffres sur la productivité du domaine, ainsi qu’un « résumé » des réformes que mon nouvel intendant avait l’intention d’implanter, et pour lesquelles il me demandait mon accord).

  • Le contremaître nous a envoyé un message ce matin pour nous informer que les esclaves rescapés se sont tous remis au travail sans aucun souci, m’indiqua-t-il alors que je prenais la lettre, intrigué. Selon lui, votre magie a été tellement efficace qu’il n’y a plus aucun risque d’effondrement dans cette galerie. Il envisage de la rouvrir après avoir fait consolider tous les tunnels du secteur.

Laïus marqua une pause, avant d’ajouter d’un ton plus prudent :

  • Le contremaître a également remarqué que tous les esclaves qui ont été soignés par la Comtesse semblent plus… vigoureux qu’avant. Selon lui, la différence entre eux et les autres esclaves devient de plus en plus notable quand on regarde leur productivité. Il a pensé que vous aimeriez… le savoir.

Je n’ai pas répondu tout de suite, le regard fixé sur la lettre, tentant tant bien que mal de juguler l’irritation que je sentais naître en moi.

  • Laisse-moi, ai-je ordonné à Laïus. Nous en avons assez fait pour aujourd’hui. Je vais lire tes documents et je te dirais ce que j’en pense.

Laïus s’inclina sans protester, puis quitta la pièce en refermant soigneusement la porte derrière lui. Enfin seul, je me suis levé de mon bureau pour aller contempler le paysage marin à travers la fenêtre à côté, réfléchissant à la lettre du contremaître.

Cette soudaine vigueur des esclaves rescapés était sans nul doute liée au sang qu’Aïna leur avait donné. J’en connaissais la richesse, après tout, car moi aussi j’y avais goûté… Sa magie avait certes soigné les blessures des mineurs, mais jusqu’à preuve du contraire Aïna n’était pas capable d’amplifier les capacités de ceux qu’elle soignait. En revanche, son sang avait ce pouvoir.

La force d’un vampire pouvait varier en fonction de la qualité du sang dont il se nourrissait : un vampire mal nourri ne fonctionnerait jamais à son plein potentiel, quand paradoxalement un vampire qui se nourrissait d’un sang riche pouvait développer ses propres capacités au-delà de son potentiel actuel. Mais il fallait généralement s’abreuver continuellement de sang riche pour parvenir à évoluer ainsi. Pour les vampires nobles, nous avions l’embarras du choix s’agissant du sang que nous consommions. Les servilis, eux, prenaient ce que nous leur laissions : du sang de basse qualité, souvent rationné et coupé avec des substituts par soucis d’économie (toutefois certains esclaves, comme les gladiateurs ou les shinobis, recevaient du sang de qualité supérieure à cause des charges qu’ils assumaient). Nul doute que pour les servilis sauvés par Aïna, son sang devait être le plus riche qu’ils aient jamais goûté. Mais que l’effet galvanisant du sang de fée les ait aussi rapidement transformés… ce n’était pas banal.

J’aurais dû immédiatement faire part de cette découverte intrigante à la reine, qui aurait été assurément très intéressée par cette nouvelle… Cependant cette idée m’a à peine effleuré l’esprit. Furieux, je ne pouvais m’empêcher de serrer les dents et les poings à l’idée que ses pitoyables servilis aient pu profiter ainsi du corps de mon épouse…

J’ai baissé les yeux vers la passerelle de verre reliant les portes de mon château à mon vaisseau, fixant les profondes abysses sous-marine en direction des mines (que je ne pouvais bien évidemment pas voir à cette distance), à une dizaine de kilomètres sous mes pieds. Et si je faisais aménager un grand bassin sous la rampe de verre pour y installer le mégalodon qui m’avait débarrassé de mon incompétent d’intendant… et que j’y faisais ensuite jeter tous les esclaves coupables de l’altruisme de mon épouse ? C’était terriblement tentant… Mais j’entendais déjà siffler à mes oreilles les récriminations indignées d’Aïna, ainsi que les réprimandes que cela me vaudrait auprès d’Élisabelle.

On frappa soudain à l’entrée, m’arrachant à ma contemplation. C’est alors que j’ai ressenti grâce à mon sixième sens la présence d’Aïna, juste derrière la porte de mon bureau. Mon cœur fit aussitôt un bond dans ma poitrine. Stupéfait par son apparition impromptue alors que je pensais justement à elle, j’ai crus un instant que la fée avait capté mes pensées et s’était précipitée ici pour me dire tout le bien qu’elle pensait de mon idée d’aménager un bassin à mégalodon pour y jeter mes esclaves récalcitrants… Puis je me suis rappelé que jusqu’à preuve du contraire, les fées ne pouvaient pas lire dans les pensées. Si tel était le cas, mon épouse n’aurait probablement pas osé se dresser si souvent contre ma volonté, sachant les trésors de cruauté que mon esprit renfermait…

Pourquoi était-elle là ? Je l’ignorais. J’avais beau avoir levé sa punition sous l’influence d’Élisabelle, je n’aurais jamais imaginé qu’elle se présenterait d’elle-même devant moi ! D’ordinaire, elle m’évitait comme la peste. Sans doute voulait-elle encore se plaindre de quelque chose… Je me suis un temps laissé tenter par la possibilité de l’ignorer ou de la renvoyer purement et simplement. J’en avais assez de ses plaintes incessantes, et j’étais encore passablement irrité par son don de sang aux mineurs rescapés. Mais je devais avouer que ma curiosité était piquée…

Prenant une inspiration, je me suis tourné à nouveau vers la fenêtre en croisant les mains dans mon dos, prenant soin de paraître le plus naturel possible. Hors de question de la laisser voir autre chose que mon indifférence.

  • Entrez ! ai-je lancé d’une voix sèche.

J’entendis la porte s’ouvrir, puis les pas légers de mon épouse qui pénètra dans mon bureau.

  • La porte, ai-je lâché avec impatience.

Je m’attendais presque à l’entendre répliquer « fermez-là vous-même ! », mais à ma grande surprise elle obtempéra docilement avant de faire quelques pas hésitants dans ma direction. J’avais beau garder les yeux résolument fixés sur l’océan et demeurer parfaitement immobile en lui tournant le dos, je sentais sa présence et son regard fixé sur ma nuque, à moins de deux mètres derrière moi. Comme le silence s’éternisait, j’ai fini par l’interroger directement :

  • Que voulez-vous ?

Je l’ai entendu déglutir, puis inspirer profondément.

  • Je suis venue clarifier un malentendu, répondit-elle. Le matin de notre départ pour Abyssombre, Judith a eu des paroles qui vous ont fâché… mais c'est parce que vous les avez mal interprétées, s’empressa-t-elle d’ajouter.
  • Hum ? Vraiment ? ai-je ironisé en feignant l’étonnement.

Comme d’habitude, c’était toujours de ma faute, avec elle. C’était moi qui avait mal interprété les paroles de cette stupide servante, et donc moi qui était responsable de son soudain changement d’humeur qui l’avait conduit à dédaigner le bras amical que je lui proposais…

Peut-être que le projet de bassin pour le mégalodon méritait d’être reconsidéré… Je pourrais commencer par y jeter cette petite servilis de Jurith, histoire de donner une leçon à mon épouse.

  • Oui, poursuivit justement cette dernière. Elle ne parlait pas de vous. Elle ne se permettrait jamais une telle chose, elle me l’a assuré.
  • De qui parlait-elle dans ce cas ? me suis-je enquis en me tournant lentement vers elle, tout en imaginant dans ma tête la profondeur et la largeur du bassin nécessaires pour accueillir un mégalodon adulte.
  • Elle parlait de Monsieur Aleyran. . . Enfin, le comte de Solaguna, rectifia Aïna. Elle l'a vu me sourire, quand nous l'avons croisé, lors de notre promenade à Adamas, comme elle nous accompagnait…

Le bassin et le mégalodon furent aussitôt relégués aux oubliettes de mon subconscient, tandis que j’ai mobilisé des trésors de maîtrise pour rester impassible devant la fée, alors que les rouages de mon esprit tournaient à plein régime. Élisabelle s’était bien gardée de me raconter cette rencontre…

  • Tiens donc, ai-je lâché en faisant un pas en avant, plongeant mon regard dans le sien. Et. . . Pourquoi est-ce que cet homme vous souriait, au juste ?
  • Eh bien. . . J'ai soigné un esclave qu'il venait de racheter à son cruel maître, m’expliqua ma naïve petite épouse. Il m’a donc exprimé son admiration et sa gratitude face à mon geste… même si je trouve que ça n’a absolument rien d’admirable, s’empressa-t-elle de préciser en reculant pour maintenir la distance entre nous, distance que je comblais au fur et à mesure qu’elle reculait. Je veux dire. . . C’est tout à fait normal pour moi de venir en aide à ceux qui en ont besoin. C'est la norme, sur Gaïa.

Un sentiment d’indignation, de colère et de jalou… d’agacement, m’envahit. Mes soupçons du mariage étaient confirmés : après m’avoir pris la place qui me revenait de droit auprès de Némésis, Jorenn essayait donc maintenant de me voler mon épouse. Et bien entendu cette dernière, naïve et mignonne petite sauvageonne, ne se doutait de rien !

  • Que ce soit bien clair. . . ai-je dit en avançant encore, la contraignant à reculer jusqu'à se retrouver piégée contre la porte.

Le regard qu’Aïna me jeta lorsqu’elle réalisa qu’elle était coincée entre la porte et moi embrasa mes sens. Malgré le défi et l’assurance que je lisais dans ses yeux, elle ne pouvait cacher l’éclat de peur qui y brillait également. Ainsi acculée et à ma merci, elle me faisait l’effet d’une proie qu’un chasseur comme moi ne pouvait que convoiter : une proie d’apparence vulnérable, avec un caractère indomptable… et qui était terriblement désirable.

Subjugué, j’ai passé un doigt sur la tresse qui partait de sa tempe pour s’enrouler en chignon en bas de son crâne. Sa respiration s’est accélérée, et la mienne aussi. Cette intimité que nous partagions actuellement… nous n’avions jamais été aussi proche depuis notre nuit de noce catastrophique, et cette proximité était pour moi autant un délice qu’un poison. Incapable de résister plus longtemps, je me suis alors penché sur elle afin de lui susurrer à l’oreille :

  • Je dois être le seul homme qui compte pour vous.

J’ai senti son corps frémir, tandis que les battements de son cœur redoublaient d’intensité, augmentant encore plus le désir que je ressentais pour elle. Aïna leva alors lentement les yeux vers moi, nos visages se trouvant soudain à moins de dix centimètres l’un de l’autre. Les joues rouges d’embarras, elle me répondit néanmoins d’une voix claire et sans sourciller :

  • J’ai beau ne pas reconnaître notre prétendue union, je ne suis pas ce genre de personnes. Par ailleurs, j’ai réfléchi et, moi non plus, je ne veux plus qu'on se dispute. J’aimerais. . . qu'on trouve un terrain d'entente. Ça peut sembler difficile, au vu de toutes nos différences et de notre opposition sur bien des sujets, mais. . . On peut au moins essayer, ajouta-t-elle en m’adressant un petit sourire empli d’espoir.

Stupéfait, j’ai reculé de quelques pas en clignant des yeux avec incrédulité. Aïna venait-elle vraiment de me proposer une trêve ? Après m’avoir autant défié, elle voulait à présent trouver un terrain d’entente ? J’avais du mal à y croire, après le mépris avec lequel elle avait rejeté mes précédentes tentatives de rapprochement… Cependant une partie de moi désirait tout de même que sa démarche soit sincère.

  • Oui, ai-je acquiescé. On pourrait essayer. . .
  • Bien, approuva immédiatement Aïna, avant d’enchainer comme si elle avait peur que je ne change d’avis. Voilà ce que je vous propose : je vous promets de me comporter comme vos usages l’exigent, à condition que Judith ne soit pas punie, puisqu'elle ne vous désignait pas avec ses mots, et que plus aucun de vos esclaves ne soit abandonné à son sort ou mal nourri. Sommes-nous d'accord ?

Bien sûr, les esclaves… avec Aïna, on en revenait toujours à eux. Sa capacité à se soucier autant du bien-être de ces misérables insectes était aussi stupéfiante qu’irritante.

  • Tss ! Pour que vous ne respectiez pas une fois de plus votre parole ? ai-je répondu en croisant les bras.

Aïna allait sûrement répliquer que c’était encore une fois de ma faute, que je l’avais poussé à enfreindre sa parole… Mais à ma grande surprise, la fée baissa la tête d’un air contrit :

-Je me suis précipitée, l'autre fois, admit-elle. Parce que des vies étaient en jeu et aussi, parce que. . . je pensais que votre promesse n'avait aucune valeur pour vous. . . Mais je suis trompée, reconnut-elle en plongeant son regard dans le mien. Je vous ai mal jugé, sur ce coup, je l’admets.

J’en suis resté sans voix. C’était bien la première fois qu’Aïna admettait ses torts devant moi. Au nom de Némésis, que diable lui arrivait-il aujourd’hui ? Avait-on enlevé mon épouse pour la remplacer par un sosie plus docile ? A ce stade, j’étais prêt à envisager toutes les hypothèses pour expliquer son soudain changement d’humeur…

  • Maintenant que je sais que vous n'êtes pas du genre à rompre votre propre parole, je tiendrai aussi la mienne, s’empressa-t-elle d’enchainer. Je vous le promets.

Je l’ai fixé pendant de longues secondes, me demandant si je devais accéder à sa requête. D’un côté, j’avais déjà allégé sa punition à la demande d’Élisabelle, et j’étais toujours énervé contre elle suite à son escapade aux mines. J’estimais donc légitimement avoir été plus que généreux avec mon épouse vu les circonstances. Mais d’un autre côté, Aïna semblait cette fois-ci sincère dans son désir de coopérer avec moi… et si je voulais en faire une épouse correcte digne d’être présentée devant la reine dans trois mois, sa bonne volonté serait essentielle.

« En plus, elle verra que tu n’as pas que des mauvais côtés… » me glissa une petite voix dans mon esprit.

J’ai esquissé un sourire satisfait. Oui, tout compte fait, c’était une excellente idée !

  • Leur sort dépend de vous… ai-je finalement lâché, indiquant par-là que je scruterai très attentivement ses efforts pour se conformer à mes attentes.

Je m’attendais à voir son visage s’assombrir sous la gravité de la responsabilité que je venais de placer sur ses épaules. Il n’en fut rien. Un sourire de pure joie illumina son visage, tandis qu’elle s’exclamait en joignant les mains sur sa poitrine :

  • Merci ! Merci de me donner cette chance !

Son bonheur était à la fois stupéfiant et éblouissant. Et l’idée que c’était moi le responsable de sa joie me remplissait d’un sentiment chaleureux… que j’avais encore du mal à définir. Une pensée fugace me traversa l’esprit : était-ce cela que les créatures de la Surface ressentaient, quand le soleil caressait leur visage ?

« Le bassin à mégalodon peut attendre… » me suis-je dit après un instant de réflexion, tout en détournant les yeux avec une pointe d’embarras.

Mon regard tomba alors sur la pile de documents que Laïus avait déposés sur mon bureau, et une idée me vint brusquement. Voilà l’occasion parfaite d’éprouver la bonne volonté de ma chère épouse…

  • Je devrais vous apprendre à gérer le domaine… lui déclarais-je d’un ton neutre, qui masquait parfaitement le sourire diabolique que j’esquissais intérieurement.

A suivre...

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Guillaume Houël ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0