Chapitre 13 : Duel amical, Partie 1

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  • C’était… c’était bien mieux, déclara Élisabelle, oscillant entre incrédulité et ravissement. Aïna ma chère, tu n’as pratiquement pas marché sur les pieds de ton cavalier… et toi, Forlwey, tu as fait preuve d’une remarquable retenue dans ta façon de diriger ta cavalière. Je suis… vraiment fière de vous, mes enfants !

Nous venions d’achever une nouvelle valse… et c’était bien la première fois qu’Aïna et moi avions réussi à aller jusqu’au bout de la danse sans que ma cavalière ne perde l’équilibre.

  • Ce n’est pas non plus un exploit, rétorquai-je, exaspéré par l’émotivité de mon amie.

Nous avions suffisamment répété ce matin pour qu’Aïna connaisse déjà tous les mouvements de la valse. Tout ce qu’il restait à faire ensuite était de nous regarder dans les yeux plutôt que de surveiller nos pieds. Ainsi en nous faisant mutuellement confiance, nous pouvions enfin suivre le rythme de la mélodie. Il est vrai qu’il y avait encore du travail pour faire de la fée une danseuse correcte… mais au moins, nous progressions.

Chose étonnante : depuis qu’elle ne surveillait plus ses pieds, Aïna ne marchait plus aussi souvent sur les miens…

  • Comparé à votre niveau de ce matin… je dirais au contraire que c’en est un, objecta Élisabelle. Pour être honnête, je craignais que nous n’arrivions pas à faire de vous un couple correct…
  • Un couple de danseurs correct, tu veux dire, s’empressa de rectifier Aïna en rougissant, tandis que j’évitais son regard avec embarras.
  • …Mais il semblerait qu’il y ait de l’espoir pour ce bal, finalement ! continua Élisabelle avec ravissement, qui paraissait n’avoir pas entendu un traître mot du commentaire d’Aïna. Je suis certaine que dans trois mois, vous serez le couple le plus resplendissant de la réception donnée par Némésis !

Je ne savais pas vraiment comment réagir à cette idée. Bien sûr, il fallait que mon couple avec Aïna apparaisse comme une réussite aux yeux de la noblesse vampire, car c’était le souhait de Sa Majesté. Mais m’impliquer vraiment dans ce mariage avec Aïna… cela ne reviendrait-il pas à abandonner l’espoir d’obtenir un jour les faveurs de la reine ?

  • Comment, par Némésis, avez-vous réussi à harmoniser vos mouvements aussi vite ? voulut savoir Élisabelle, dont la voix me tira de mes pensées.
  • Eh bien en vérité… ce sont des raies qui nous ont montré comment faire, révéla Aïna avec un petit sourire.
  • Des raies ? répéta la baronne en me jetant un coup d’œil incrédule.
  • Oui. En fait, alors que nous rentrions de promenade, nous avons aperçu des raies qui nageaient en harmonie… et nous avons pensé que nous pourrions en faire autant pour la valse, si nous apprenions aussi à nous regarder plutôt que de surveiller nos mouvements.
  • Merveilleux ! s’exclama Élisabelle en tapant des mains avec enthousiasme, avant d’ajouter d’un ton intéressé. Et… y avait-il quelques bébés raies qui les suivaient ?
  • Non, ils étaient seuls… pourquoi ? s’enquit Aïna avec innocence.
  • Parce qu’Élisabelle adore les bébés raies, suis-je intervenu avant que mon amie ne finisse par embarrasser davantage mon épouse avec ses insinuations sur ses futurs « filleuls ».
  • J’adore les bébés tout court, corrigea Élisabelle en promenant son regard malicieux sur moi et mon épouse.

Elle frappa à nouveau dans ses mains pour faire signe aux musiciens de se préparer à rejouer.

  • Bien ! Puisque vous me semblez enthousiastes à l’idée de poursuivre, je vous propose de refaire quelques essais, histoire de perfectionner votre nouvelle harmonie !

Cette fois-ci, j’ai tendu la main vers Aïna avant que mon amie me le demande. Mon épouse la prit aussitôt, et nous nous sommes naturellement remis en position pour débuter une nouvelle valse dès que la mélodie reprit.

Je détestais toujours la danse… mais je devais admettre qu’avec la bonne cavalière, cela devenait presque supportable.

***

Nous nous sommes entraînés jusqu’au soir. Némésis soit louée, Élisabelle finit par s’estimer suffisamment satisfaite par nos progrès pour nous relâcher un peu avant l’heure du dîner.

La soirée fut tranquille. Aïna semblait avoir retrouvé sa bonne humeur, et elle participa avec enthousiasme à la conversation lors du repas… en particulier lorsque j’évoquais avec Élisabelle la présence du mégalodon albinos sur mon domaine.

  • Je n’ai jamais vu une créature pareille, déclarai-je. Je suis sûr que c’est lui qui a dévoré mon ancien intendant.
  • Bruce ne… ferait pas ça sans raison ! intervint aussitôt Aïna avec véhémence.
  • Qui est ce Bruce ? demanda Élisabelle.
  • Le mégalodon, lui ai-je expliqué, avant d’ajouter suite à son haussement de sourcil sceptique. Ma chère épouse parle couramment le poisson… et oui apparemment, même les requins ont des noms.
  • Bien sûr qu’ils en ont ! s’indigna Aïna. Tout comme les esclaves qui vous servent !
  • J’ai déjà saisi le concept, ai-je marmonné en levant la main pour arrêter mon épouse avant qu’elle ne se lance à nouveau dans une tirade pour défendre les droits des servilis. Mais d’après mes esclaves, mon intendant a été dévoré par un mégalodon. Et je persiste à penser que c’est bel et bien ce… Bruce, qui l’a mangé.
  • Comment pouvez-vous en être sûr ? lança mon épouse.
  • Mon instinct, répondis-je. D’ordinaire, les mégalodons évitent les habitants de mon domaine et les vaisseaux autour. Ils savent que nous sommes dangereux, et il y a suffisamment de proies dans l’océan pour qu’ils n’aient pas besoin de se risquer à nous attaquer pour se nourrir. Mais ce mégalodon-là est… différent. Il se balade sur mon domaine comme s’il lui appartenait. Je suis sûr que mon ancien intendant a simplement eu le malheur de croiser sa route alors qu’il avait faim… et Bruce a décidé de voir si la chair de vampire était à son goût.
  • Mais que diable faisait ton intendant en dehors de la bulle du domaine ? s’étonna Élisabelle.
  • Je n’en sais rien… et je m’en moque, ai-je déclaré avec un haussement d’épaule indifférent. C’était un incapable. Laïus fait déjà un bien meilleur travail en tant que remplaçant. Au final, Bruce m’a probablement rendu service… donc je n’ai pas vraiment de raison de lui en vouloir. Mais s’il continue à s’en prendre à mes serviteurs, je risque de devoir le traquer moi-même…
  • Bruce s’est sans doute senti… menacé, intervint vivement Aïna. Il a déjà eu affaire aux vampires.
  • Oh, vraiment ? ai-je relevé en levant un sourcil intrigué, teinté d’amusement.

Il était évident qu’elle voulait protéger son « ami » de ma colère, mais j’étais quand même curieux d’écouter ce qu’elle avait à dire pour me convaincre d’épargner le mégalodon…

  • Oui, confirma Aïna. Je l’ai rencontré lorsque je voulais descendre jusqu’aux mines pour aider les esclaves. Il était blessé. Je lui ai offert de le soigner et en échange, il m’a promis de m’emmener au fond de la faille. En le soignant, j’ai vu les souvenirs de l’attaque qu’il a subi… et j’ai reconnu le visage du vicomte de Clairecorail.
  • Rodrygal ?! ai-je sifflé en me redressant aussitôt, piqué au vif. C’est lui qui a attaqué le mégalodon ? Sur MES terres ?!
  • Je… je ne sais pas si l’attaque a eu lieu sur vos terres, répondit Aïna, qui avait sursauté face à la violence de ma réaction. Mais Rodrygal a effectivement tenté d’ajouter Bruce à sa collection de trophées.
  • Oh, je l’ai déjà vu, commenta Élisabelle avec un air de dégoût. Il affiche ses trophées de chasse dans son salon… c’est absolument ignoble comme pratique.

Bien sûr, Élisabelle ne méprisait pas la chasse en elle-même ; c’était un sport que les nosferatus désoeuvrés aimaient à pratiquer pour passer le temps, et il était toujours utile de rappeler à la faune du Royaume Submergé qui étaient ses maîtres. Néanmoins elle considérait que décorer son salon avec les têtes de ses proies était d’un goût déplorable… Surtout qu’apparemment, la passion de Rodrygal pour ses “trophées” frisait l'obsession.

De mon côté, je me suis forcé à rester calme. Il n’y avait aucun moyen de prouver que Rodrygal avait chassé sur mes terres, et le mégalodon ne m’appartenait pas ; je ne pouvais donc pas accuser mon rival d’avoir violé ma propriété. En revanche, il semblait désirer ardemment la tête de ce mégalodon albinos… et ça, je pouvais faire en sorte de le lui refuser.

  • Si vous croisez une nouvelle fois votre ami, Bruce… dites-lui qu’il est libre de rester sur mes terres du moment qu’il n’attaque plus mes serviteurs, déclarai-je à l’intention d’Aïna. Je m’assurerai également qu’il ne soit pas pris pour cible par mes gens. Rodrygal n’osera pas le pourchasser si près de mon domaine.
  • Je… je penserai à le lui dire, répondit mon épouse, qui semblait hésiter entre étonnement et gratitude. Merci pour Bruce…
  • S’il s’agit d’énerver Rodrygal, je suis toujours ravi d’aider… ai-je répliqué d’un ton pince-sans-rire.
  • Oh, s’il vous voyait danser ensemble, je suis certaine que Rodrygal n’en dormirait plus de la nuit, glissa Élisabelle avec un sourire malicieux.

Ni moi ni Aïna n’avons répondu, trop occupés que nous étions à éviter le regard de l’autre.

***

Nous avons continué nos leçons de danse le lendemain matin, et une nouvelle fois, Élisabelle se montra enthousiaste en constatant nos progrès.

  • Je pense que nous pourrons bientôt commencer une danse plus complexe ! s’exclama-t-elle, ravie.

Je me suis alors séparé de mon épouse pour lui permettre de se rafraîchir. Une petite table avec des rafraîchissements avait été installée près de la piste pour, selon les mots d’Élisabelle, nous « encourager » à intensifier nos efforts.

  • Cette fois-ci, vous avez presque réussi à éviter mes pieds, l’ai-je félicité, non sans ironie.
  • Qui vous dit que je n’ai pas décidé d’être clémente avec vos bottes ? répliqua Aïna sur le même ton, avant de reposer sa tasse après s’être désaltérée.

J’ai émis un petit rire amusé, et mon épouse se permit un sourire en coin.

  • Nous reprendrons cet après-midi ! annonça alors Élisabelle, qui s’approchait de nous.
  • Oh ! je crains que ça ne soit pas possible, répondit Aïna avec une grimace gênée à l’intention de la baronne. Pardonne-moi, Élisabelle… mais j’ai une réunion importante avec Laïus et les autres responsables du domaine cet après-midi. Je dois leur présenter ma nouvelle réforme, alors je peux difficilement manquer ce rendez-vous…
  • Absurde, ai-je commenté. Vous êtes la comtesse. Il vous suffit de les convoquer un nouveau jour, et ils n’auront pas d’autres choix que de s’incliner.

Aïna parut s’indigner devant ma remarque.

  • Je veux que cette réforme soit implantée le plus tôt possible, rétorqua-t-elle. C’est un sujet que je ne prends pas à la légère.
  • Vous ne devriez pas prendre non plus votre statut à la légère, répliquai-je en haussant les sourcils. Ce sont des esclaves ; ils doivent apprendre à réagir à votre humeur, et non l’inverse.
  • Quelle merveilleuse idée, réagit Aïna en esquissant un sourire malicieux. Dans ce cas, j'imagine que nous pourrions convenir ensemble d’une nouvelle date, histoire que vous puissiez assister à cette réunion avec moi…

Mon sang ne fit qu’un tour.

  • Néanmoins il est vrai qu’en tant que membre de la noblesse, vous devez veiller à respecter vos engagements, ai-je admis en hochant vivement la tête.
  • Je savais que vous comprendriez, acquiesça mon épouse d’un air satisfait. Dans ce cas si vous voulez bien m’excuser, je vais devoir vous laisser afin de revoir ma présentation avec Laïus.
  • Mais… et le déjeuner ? s’enquit Élisabelle, surprise.
  • Je n'aurai pas le temps de manger si je veux répéter correctement ma présentation ! répondit Aïna qui traversait déjà la salle d’un pas rapide.

Elle nous salua d’un petit geste de la main et ajouta juste avant de disparaître dans le couloir :

  • Je vous verrai tous les deux au dîner !

Élisabelle et moi avons échangé un regard.

  • Eh bien puisque ta cavalière a d’autres plans pour le reste de la journée… que dirais-tu si nous nous amusions tous les deux, mon garçon ? me proposa mon amie.
  • Qu’as-tu en tête ? ai-je relevé en haussant un sourcil intrigué.
  • Cela fait un moment que toi et moi n’avons pas croisé le fer, non ? poursuivit Élisabelle avec un petit sourire en coin. Que dirais-tu d’un petit duel amical… histoire de te récompenser de la bonne volonté que tu as mise dans ces leçons de danse ?

J’ai éclaté de rire. Élisabelle avait beau être une nosferatu, cela faisait effectivement un moment qu’elle et moi n’avions pas croisé le fer… et il y avait une bonne raison à cela :

Déjà, parce que mon amie n’aimait pas vraiment se salir les mains. Ensuite, parce que j’étais rapidement devenu un maître dans l’art de la guerre : si la diplomatie était le domaine d’Élisabelle… moi j’excellais dans celui de la violence. Un combat entre nous n’aurait pas plus de sens que si je défiais Élisabelle à un concours d’éloquence : le vainqueur était connu d’avance.

  • Qu’y-a-t-il de si drôle, mon garçon ? s’enquit Élisabelle, qui demeurait impassible face à mon hilarité.
  • Oh, excuse-moi, ai-je répondu avec amusement. Je ne pensais pas que tu étais sérieuse. Élisabelle, j’ai bien trop de respect pour toi… et je ne suis plus un gamin. Je ne veux pas prendre le risque de te blesser si je ne maîtrise pas suffisamment ma force. Si nous allions plutôt prendre le thé dans le…

Le visage de la baronne se durcit, interrompant net le reste de ma phrase.

  • Oh, alors comme ça tu as peur de me blesser ? ironisa-t-elle d’une voix glaciale. Très bien, mon garçon… Retrouve-moi à l’arène de ton grand-père dans dix minutes… le temps pour moi de mettre une tenue plus appropriée pour te donner une nouvelle leçon : comment respecter tes aînés.

Élisabelle se dissipa ensuite en une nuée de chauve-souris et disparut dans le couloir. J’ai fixé l’encadrement de la porte, étonnée par sa soudaine susceptibilité. La baronne de Véresbaba avait toujours déclaré que la violence était l’apanage des esclaves ; que les nobles devaient se contenter de l’ordonner et non de l’utiliser, sauf quand ils devaient se défendre. Elle tolérait les duels entre nobles, car ils permettaient justement aux nosferatus d’éprouver leur puissance et de contrôler leur tempérament… Toutefois cela faisait bien des siècles que je ne l’avais plus vu se battre elle-même. Et voilà maintenant qu’elle voulait m’affronter en duel ?

Quelle mouche l’avait piquée ?

A suivre...

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