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Un attroupement de curieux observait, tenu à l'écart derrière un ruban plastique, les voitures de police qui se succédaient devant le bâtiment. Le quartier, situé juste derrière la gare était complètement bouché.
Deux policiers firent signe à Hans et lui indiquèrent où il pouvait parquer sa voiture. Il s'extirpa difficilement de son véhicule. L'espace entre le mur et l'autre voiture de police banalisée étant le minimum syndical de ce qu'il lui fallait pour garer sa BMW X6. Il longea une ambulance jaune, portes arrières grandes ouvertes, et monta les marches du bâtiment deux par deux. Ne sachant toujours pas où aller, il questionna un agent, en présentant sa carte :
- Inspecteur Hans Pfäfi, ça s'est passé où ?
- Oui, alors vous continuez par là et c'est la première à droite. Vous verrez, c'est marqué : Office cantonal de l'emploi...
Suivant les indications de l'agent, il pénétra dans le hall trente secondes plus. Avenant et spacieux. Plein de gens avaient été rassemblés dans ce qui devait être la grande salle d'attente du milieu. Certains semblaient choqués, il y en avait même qui pleuraient. D'autres n'avaient pas l'air bien perturbés, assis sur des canapés brun foncé sans dossier, absorbés par leur smartphone qu'ils balayaient de la main à intervalle régulier. Hans devinait que ce devait être les employés. Mais il ne savait toujours pas où est-ce que l'événement avait eu lieu. Il dut s'adresser une deuxième fois à un agent qui lui indiqua le deuxième étage. Hans prit l'ascenseur en compagnie de deux hommes qui discutaient. Très ouvertement.
- Il n'y a pas de sang, ça atténue les réactions, fit l'un.
- Ouais... L'empoisonnement c'est moins spectaculaire, fit l'autre.
Hans se permit d'intervenir :
- C'est un empoisonnement ?
- Ouais, au cyanure apparemment...
Le 2ème niveau était un grand bureau sans mur où tout le monde pouvait voir ce que faisait son voisin. La nouvelle tendance en terme d'organisation du travail.
Donc, ce matin là aux environs de 9h10, Françoise Géniole avait vu Jérôme Bonnetière, chef du service cantonal de l'emploi, recevoir par courrier, un petit paquet contenant des dragées au sucre rose. Jérôme Bonnetière était un fort bel et charismatique homme de 42 ans, qui faisait du sport tout ce qu'il faut pour avoir un corps tout ce qu'il y a de plus désirable. Et il avait beaucoup de succès auprès de la gent féminine. On ne dira pas qu'il avait couché avec toutes les femmes du 2ème niveau mais...en tout cas avec Françoise Géniole. Elle l'avait vu ouvrir le paquet. Et s'était abstenue, heureusement pour elle, lorsqu'il lui avait proposé d'en goûter. Jérôme en avait avalé une, puis elle avait assisté, terrifiée, incrédule, à la mort de son ex-amant de chef. Et cela avait été dégoûtant à voir. Il s'était écroulé, la bave dégoulinante sur son menton. Cela avait été dégradant de voir cet homme d'ordinaire si bien mis, si agréable et séduisant se rouler par terre comme un chien. Puis rester ainsi, prostré, le visage figé, méconnaissable. Mort ! Mais la quinzaine de personne qui travaillait également au niveau 2 n'avait rien compris. Car ils n'avaient pas vu le paquet de dragées, et n'avaient pas non plus vu leur chef en ingurgiter. On appela un docteur aux haut-parleurs. Coup de chance, un certain docteur Fuluel se trouvait au rez. Auprès du corps de monsieur Bonnetière, mademoiselle Géniole lui avait conté toute l'histoire et lui avait lancé un : « N'y touchez pas ! », en pointant du doigt la boîte qui contenait les dragées. Le docteur Fuluel établit alors son premier diagnostique : empoisonnement au cyanure ! Et cet info se répandit comme une traînée de poudre dans tout l'Office Cantonale de l'emploi.
Franco Bernardi était le de procureur générale de la police judiciaire genevoise. Âgé de 52 ans, de corpulence forte, taille moyenne, il soignait son apparence. Toujours le bon mariage de la cravate, la chemise et le costume. Sans oublier les chaussures. Son visage rond et souriant lui attirait une sympathie quasi unanime. Ses cheveux toujours coiffés en arrière, gominés, lui donnait cependant, avec son accent italien du Tessin, un petit air de parrain maffieux d'Italie. C'est ce à quoi avait pensé Hans Pfäfi, dès qu'il l'avait rencontré pour la première fois, il y a 5 mois.
- Salut Hans, dit Franco Bernardi. Il était debout à côté du bureau de Françoise Géniole. Et tenait un papier à sa main gantée de caoutchouc .
- Je te laisse examiner le corps, après, je te montre ça, dit-il en agitant le papier.
Hans s'accroupit et ausculta Jérôme Bonnetière. Les yeux encore ouverts fixaient le plafond, l'air étonné de cette fin de vie prématurée, déçu de ne pas avoir put vivre plein d'autres expériences.
- En combien de temps il est mort ?, questionna Hans.
Frank qui venait d'ingurgiter un chewing-gum, il était en train d'essayer d'arrêter de fumer, s'assit sur une chaise de bureau.
- Entre 20 et 30 secondes, d'après mademoiselle Géniole.
- Mais comment peut-on être sûr qu'il s'agit d'un empoisonnement au cyanure. ?
- D'après le docteur, ce qui crée le lien entre sa mort et l'absorption de la dragée, c'est les lèvres bleues.
Hans voyait maintenant qu'effectivement la bouche du malheureux avait une teinte légèrement bleutée qu'il n'avait pas remarquée au premier abord.
- L'effet de la cyanure est l'empêchement de respirer et mademoiselle Géniole est formelle, Jérôme Bonnetière a mangé la dragée, et 2 à 3 secondes après, il a commencé à tousser, ses mains plaquées sur sa poitrine, cherchant désespérément de l'air, avant de s'écrouler, comme si ses « jambes s'étaient volatilisées », elle a utilisée cette expression...
- « ses jambes s'étaient volatilisées » ?
- Tu comprends cette expression ?
Hans sourit.
- Oui ! - Vraiment, on ne dirait pas que tu viens de suisse-allemande! Ton accent, tu n'en n'as pas, et tu comprends des expressions comme... « ses jambes s'étaient volatilisées » !? ...
- Enfant, , j'ai passé toutes mes vacances d'été à Montreux chez mon oncle. J'ai fait du français à l'école...et je suis très doué pour les langues...
- Surdoué, Hans !
Celui-ci ne répondit pas au compliment de Frank. Il en avait fini avec le corps de monsieur Bonnetière, s'était levé, s'étira.
- Et maintenant, le papier, dit-il en souriant à son chef.
Frank lui tendit l'objet quémandé. C'était une petite carte en papier cartonné, 120 gramme/m2, de couleur rose, sur laquelle était écrite, en caractère d'imprimerie, dans un cadre pré-imprimé en forme de cœur, la phrase suivant :
De l'une de vos admiratrice... Devinez laquelle...
Voici un indice:
E
Hans relut la phrase trois fois, puis regarda dans le vide quelques instants, comme pour se détacher de la matière, et peut-être ainsi saisir l'insaisissable, lire entre les lignes. Puis, il ferma les yeux trois secondes, et les ouvrit.
- Ce ne sera pas la seule victime, dit-il d'un ton neutre et posé.
Frank stoppa sa mastication.
- Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?
- Quand on vous donne un indice, c'est pour vous aider à trouver. Je ne pense pas, qu'avec les éléments que nous avons à l'heure actuelle, nous puissions résoudre cette énigme, et trouver qui est le meurtrier de Jérôme Bonnetière. Donc, on va nous donner un deuxième indice...avec un deuxième cadavre.
Frank, toujours assis, se frappa la cuisse de sa main droite en s'exclamant :
- SHERLOCK HOLMES ! Tu es le nouveau Sherlock Holmes. Tu es surdoué et je te confie l'affaire. L'affaire « E » !
Puis, plus doucement :
- Tu sais ce que ça peux signifier pour toi, et ta famille. Tu peux refuser, mais franchement, ça m'embêterait...
- J'accepte, répondit Hans, le sourire en coin.
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