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Police judiciaire, boulevard Carl-Vogt, vendredi 28 septembre, 10 h 00
Hans Pfäfi avait mis un costume gris foncé, une cravate violette, et une chemise lilas claire. L'on aurait plutôt pensé, en le voyant ainsi déambuler dans les couloirs du commissariat, qu'il se rendait à un mariage, et non au briefing sur le meurtre de Jérôme Bonnetière.
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Hôtel de ville, vendredi 28 septembre, 10 h 10
L'employé quittait son poste de travail.
Depuis six mois, il officiait en temps que concepteur multimédia met réparateur informatique à la mairie de Genève.
- Salut Joeffrey ! Si gros soucis, joignable sur mon portable. Je vais chercher du matos chez Office World.
- Ok, Amir, à toute !
Il prit l'ascenseur. Au rez, il salua la téléphoniste et deux autres employés. Il s'était particulièrement bien, et rapidement, intégré à l'équipe. Jeune homme dynamique et charismatique, il avait su y faire lors de son entretien d'embauche. De la tchache, un physique avantageux, une bonne présentation, et le tour était joué.
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Hans avait suivit la filière universitaire de la police scientifique et très vite, avait rejoint la police criminelle de Zürich où il avait déjà résolu plusieurs affaires des plus délicates. Mais il voulait aller plus loin, peut-être plus haut aussi. Et vu qu'il parlait un français sans accent, dès que la possibilité d'effectuer un stage en Suisse romande s'était présentée, il avait sauté sur l'occasion.
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Amir sortait de l'hôtel de ville, les clés de sa voiture déjà en main. En tant qu'employé, il avait le privilège de bénéficier, moyennant une cotisation mensuelle de cinquante francs, d'une place de parc. Il ouvrit sa Clio et s'engouffra dans le véhicule, mit les clés dans le contact et ce qu'il vit sur son pare-brise le surprit. Un gribouillage au rouge à lèvres. Surpris mais pas fâché, il se dit même qu'il y avait peut-être bien une charmante jeune femme derrière cette « peinture » sur vitre. Il avait 22 ans, n'était pas « en couple » mais collectionnait les aventures sans lendemain. Cela lui convenait parfaitement, malgré quelque moments d'amertume. Il n'éprouvait cependant pas de plaisir particulier à cliquer sur « mettre à la corbeille » la relation avec la jeune fille devant lui, qui parfois n'arrivait pas à retenir une larme ou deux. Mais, c'était comme ça. Il était le maître à bord.
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Hans entra dans la salle de réunion principale de la brigade criminelle en compagnie de Franco Bernardi et d'une enquêtrice aux longs cheveux brun foncé, légèrement bouclé, Alice Noît. Quatre personnes les attendaient : Deux autres enquêteurs, Abdel Chentali et Nicolas Vidon, le responsable de la police scientifique, François Champs et une secrétaire responsable du P.V. Les chaises étaient disposé en demi-cercle devant un grand tableau blanc sur lequel était projeté, actuellement, la photo de Jérôme Bonnetière.
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Il alluma le moteur et fit aller le lave-glace. Les balais se chargèrent d'effacer le gribouillis. Et il fut surpris une deuxième fois. En voulant dé-serrer le frein à main, il constata qu'il avait oublié de le serrer en arrivant ce matin. Heureusement qu'il avait laissé la première engagée, sinon sa nouvelle clio se serait mise en mouvement. L'hôtel de ville se trouvait dans la vieille-ville, et la vieille-ville se trouvait en haut d'une colline. Le parking du personnel était légèrement pentu. Mais heureusement, il avait engagé la première vitesse.
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- Bonjour tout le monde, fit le procureur, debout, face à ses interlocuteurs. J'ai décidé de confier l'affaire « E », c'est comme ça que nous l'appeleront, à Hans Pfäfi. Je pense qu'il fera de l'excellent boulot, et je pense que vous êtes tous d'accord avec moi...
- Ouais, Hans c'est top, fit Alice.
- « E » n'a qu'à bien se tenir, fit Abdel.
- On est tous pour Hans le Pfäfi !, ajouta François Champs. Et tout le monde se mit à rire. Le suisse-allemand faisait l'unanimité. Son calme, sa gentillesse, sa pondération avaient tout de suite été remarqués dès sa venue à Genève, le 1er mai 2018. Et plébiscité. Il eut droit à des applaudissements.
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Il sortit directement en marche avant et passa sous l'ancien portique de l'ancienne muraille de Genève, et descendit la rampe de la treille. Direction la place-Neuve. Son ordinateur de bord lui signalait une défectuosité au niveau des freins: « Votre niveau de liquide de frein est insuffisant...Veuillez faire l'appoint...Votre niveau de liquide de frein est insuffisant...Veuillez faire l'appoint... » Le message clignotait sur le tableau de bord en même qu'une voix de femme la lui dictait en permanence. Amir appuya sur le bouton qui permettait d'éteindre cette fonction.
- La voiture est neuve ! Nom de Dieu ! Quel gadget ce machin !
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- Voilà ! Entrons dans le vif du sujet. Les faits : hier matin, Jérôme Bonnetière qui travaille à l'Office Cantonale de l'emploi, reçoit des dragées d'une soi-disant admiratrice qui signe par une lettre : « E ». Monsieur Bonnetière avale une dragée et meurt deux minutes plus tard. L'autopsie opérée par le médecin légiste hier après-midi, confirme ce qu'un médecin avait déjà pronostiqué sur le lieu du crime, c'est un empoisonnement à la cyanure. Voilà pour les faits. Je ferai aujourd'hui, à la fin de cette réunion une conférence de presse sur cette affaire. Hans, je te donne la parole.
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Sa nouvelle clio, il l'avait acquise en leasing, il y a trois mois, peu de temps après avoir été engagé par la ville de Genève. Amir accéléra. Il était à mis-parcours de la place-Neuve. Il rétrograda et eut une troisième surprise en l'espace de quelque minutes. De loin la plus désagréable. En appuyant sur la pédale de frein, celle-ci n'opposa aucune résistance et fila droit jusqu'au plancher. En démissionnant totalement de son rôle premier : freiner le véhicule.
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- Tout d'abord, Franco, merci d'avoir pensé à moi. Même si ma femme, elle, ne te remercie pas. Tout le monde se mit à rire de nouveau.
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Amir eut le bon réflexe : le frein à main ! Mais celui-ci lui offrit la même résistance que la pédale : aucune !
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- Bon. Voilà. Que dire ? Où en sommes-nous ? Tout les employés de l'Office Cantonale de la Population sont encore actuellement interrogé par vos collègues. Le témoignage de Françoise Géniole nous a d'ailleurs rapidement mis sur une première piste : Elizabeth Masson, secrétaire de réception, qui a entretenu une relation intime avec la victime cet été. Relation à laquelle Jérôme Bonnetière aurait mis un terme à la fin août. Mademoiselle Géniole semble quasi convaincue qu'Elizabeth Masson est la coupable...
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Il y a des moments dans la vie où celle-ci vous met devant le fait-accompli. Amir le vivait en ce moment même. Alors que faire ? Sauter de la voiture ? Franchement, il n'en avait pas envie. En attendant, il appuya et maintenait la pression sur le klaxon. Il avait peur d'écraser un piéton. Peut-être qu'une autre solution verrait le jour à la place-Neuve. Dans 50 mètres il y serait, et si aucune voiture ne lui barrait le chemin, ce qui était tout de même fort peu probable, mais Amir essayait de positiver, il pourrait tenter de grimper sur l'esplanade centrale où trônait la statue de Henri-Dunant sur son cheval. Sa voiture en prendrait un coup, c'est sûr , mais il avait une casco complète...
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- Elizabeth Masson a-t-elle été interrogée ?, demanda Alice Noît.
- Non, pas encore. Quand elle se sera un peu remise du choc émotionnel, il serait très intéressant de l’interroger sur son été d'amour avec Jérôme Bonnetière, voir si elle aurait remarqué quelque chose, une autre femme par exemple, avec un nom commençant par « E » !
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Mais la vie, décidément, était avare de solution en cette matinée de fin septembre : un tram apparu à la droite du véhicule fou sans frein, klaxonnant à tue-tête. Il glissait tranquillement sur ses rails. J'aurai du sauter, pensa Amir.
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- Maintenant, la victime : Jérôme Bonnetière. Il faut déterrer sa vie. C'est de l'humour involontaire. Nicolas, tu t'en charges !
- Oui chef, fit l'intéressé en prenant également note.
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Les transport publique genevois s'était doté de nouveaux méga-trams à bas plancher, air conditionné, écrans de télévision embarqués, des trams hyper luxueux et surtout...hyper long.... ! Amir n'avait pas besoin de faire de grand calcul: il allait s'encastrer dans le tram. Qui n'en finissait pas de passer devant l’œil d'Amir, qui se disait tout de même, qu'il n'allait pas mourir. Sa clio était bourré d'airbags, et il était attachée. Heureusement, qu'ils avaient inventés la petite sonnerie qui vous indiquait que vous n'aviez pas bouclé la ceinture de sécurité.
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- Maintenant comme je le disais hier à notre chef, préparez-vous à une deuxième victime... Tout le monde le regardait. Un gros questionnement sur le visage. Mais c'est le procureur générale qui répondit :
- Quand quelqu'un vous laisse un indice, mais que cet indice est incapable de vous aider à résoudre l'affaire, il y aura un deuxième indice....avec un deuxième cadavre...c'est comme ça qu'il me l'a dit hier, dit-il en montrant du doigt Hans, admiratif.
- Joliment dit, fit Alice Noît.
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Amir vit les gens dans le tram qui criaient, et puis dans un immense fracas, la clio s'encastra comme prévu dans le tram qui ne s'en émut guère. Il traîna la petite voiture jusqu'à l'arrêt « Place-Neuve », cinquante mètres plus loin, avant de s'immobiliser. Le son de trompette du klaxon de la clio, interrompu par l'énorme bruit du choc, suivit du cri métallique désespéré de la clio grattant le bitume, serait un événement sonore , musicale presque (on était à la place-Neuve, haut lieu de la vie musicale genevoise) qui resterait dans la mémoire des témoins de l'accident.
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- Voilà. Maintenant pour la conférence de presse, Franco, ne parle pas de « E », dit Hans. Il faut éviter une publicité qui pourrait beaucoup plaire à son auteur, ou auteure !!? Pour ce qui est de la question de l'identité sexuelle du meurtrier , nous pouvons pour l'instant privilégié le sexe féminin sans pour autant écarter le masculin. Voilà. Alice Noît travaillera avec moi. Et cet après-midi, Nicolas, nous t'accompagneront chez Eliah Bonnetière, l'épouse du directeur de l'office cantonal de l'emploi pour débuter ta biographie de Jérôme Bonnetière. Des questions ?
Tout était clair et limpide pour tout le monde.
- Alors la séance est levée ! Au boulot !
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Des passants étaient déjà sur leur portable. Pour appeler l'ambulance, les pompiers. Peut-être fallait-il désincarcérer le malheureux, ou les malheureux. On n'avait pas eu le temps de voir combien de personne était à bord de ce qui restait de la clio : un amas de tôle et de plastique. Tous les airbags avaient fonctionné et gisaient maintenant, dégonflés, inertes comme des corps sans vies. On s'inquiétait également des passagers du tram. Quelques uns étaient assis sur un banc du parc des bastions. Le café du parc leurs avaient fourni du papier ménage pour épancher le sang de leurs blessures. Légères. Quelques coupures suites à des chutes dans le tram.
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Il était 11h50 lorsque Hans, Alice et Nicolas sortirent du commissariat et tombèrent sur un gigantesque bouchon. Les voitures circulaient au pas s'il n'étaient pas tout simplement à l'arrêt.
- C'est quoi ce bordel, dit Hans en soupirant.
- C'est Genève !, répondit Alice. Hans rit.
- Je mangerai bien un Mcdo, dit-il.
- Moi aussi, fit Alice, impressionnée par la file de voitures dont on ne voyait pas la fin.
- Qu'est ce qui se passe ?, demanda Nicolas à un passant, un jeune homme, la casquette à l'envers, un skate board accroché derrière son sac à dos.
- Une voiture est entrée dans un tram à la place Neuve, j't'explique pas le bordel.
Alice avait eut une idée :
- On y va à vélo, s'écria-t-elle. Hans et Nicolas hésitèrent.
- Le Mcdo le plus proche est aux Acacias. En vélo ça fait deux minutes, insista-t-elle.
Les deux hommes acquiescèrent et tous revinrent au commissariat où des vélos étaient à disposition de tout un chacun. La nouvelle tendance de toute entreprise. Offrir la possibilité d'utiliser des petites reines pour les petits trajets en ville.
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