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Mardi 11 décembre 2018, Hôtel des Bergues
L'avion du président français, Emmanuel Matton avait atterri à l'aéroport intercontinental de Cointrin à 17h10.
Le président de la Confédération, Fritz Spung, était venu en train depuis Berne.
Le conseil d'État genevois, hormis le regretté Georges Pendal, se trouvait déjà à l'hôtel des Bergues, lieu choisi pour la rencontre au sommet. Toutes les rues autour de l'hôtel était fermée à la circulation pour des questions évidentes de sécurité, créant un de ces bouchons dont Genève avait le secret.
Des projecteurs colorisaient le célèbre jet d'eau de cent-quarante mètres de haut en bleu blanc et rouge, histoire de caresser dans le sens du poil le grand voisin français. La presse hexagonale tirait à boulets rouge sur la petite république suisse.
La Mercedes du président français était escortée par huit motard et quatre voiture de police. Deux hélicoptères suivaient le parcours du convoi, sécurisé tout le long.
Il avait été décidé que le convoi passerait devant la place des Nations, descendrait au bord du lac, qu'il longerait, pour permettre au président d'apprécier la beauté du cadre, un des plus beaux au monde. Si le président serait venu de jour, il aurait pu admirer au loin le Mont-Blanc, plus haute montagne d'Europe.
- Oh, t'as vu Manu ! Le jet d'eau aux couleurs tricolores ! s'exclama Brigitte, la femme du président.
- Oui. Espérons que nos amis suisses mettent autant d'ardeur dans le fond que dans la forme...
Ils arrivèrent à l'hôtel.
Ce fut le président intérimaire du conseil d'état genevois, Jean-Pierre Lonfat, qui eut les honneurs premiers de souhaiter la bienvenue à Emmanuel Matton, suivit immédiatement du président Fritz Spung, qui salua son homologue dans un français plutôt correcte pour un Schwytzoi pure souche :
- Bienfenue en Swuiss, monssieur Matton !
Hans Pfäfi buvait un café avec Alice Noît au bar de l'hôtel des Bergues. Ils étaient tout seuls. Puisque l'hôtel était fermé à toutes personnes étrangères à la rencontre au sommet.
- Oui, t'as raison Alice , Nicolas, il est lourd, fit Hans en posant sa tasse sur la sous-tasse.
C'était de la porcelaine que jamais il n'achèterait lui-même, parce que tellement cher que ça lui fendrait le cœur s'il lui arrivait malheur. Une porcelaine si fine, si délicate, qui déposait le café sur la langue avec une infinie précaution, tellement que Hans ne savait plus si le café était vraiment aussi bon que cela ou si c'était la finesse de la porcelaine qui le lui faisait croire ? Et, le bruit qu'émettait la tasse lorsque Hans la posait sur la sous-tasse était également un bruit si délicat que l'on aurait presque dit de la musique.
Alice souriait. Elle buvait une verveine.
- Oui. On voit parfaitement où il veut en venir...
Hans la regardait, puis lui dit :
- Mais il sait pourtant que tu es en couple avec Diae ?
- Bien sûr qu'il sait...mais il tente quand même sa chance...
- Hum...
- Toi, tu étais un coureur de jupons, non ? demanda alors Alice.
Sans sarcasme, sans ironie. Elle avait envie de mieux apprendre à connaître son collègue.
- Oui.
- Je vois très tôt chez un homme quelles sont ses motivations...et, excuse-moi, mais elles se situent la plupart du temps en dessous de la ceinture...
Hans lui souriait mais devait faire un effort pour dissimuler une gêne. Lui-même avait beaucoup de motivations sous la ceinture et peinait avec celle d'au-dessus.
- Mais Hans, tu es bel homme. Tu aurais eu tort de ne pas en profiter.
- En profiter ? Quelle drôle d'idée, Alice. C'est très macho, ce que tu dis là...
- Non, c'est réaliste. Dans un sens je comprend les hommes. Vous, le sexe, c'est je rentre dedans jusqu'à ce que j'éjacule. Si c'est possible un maximum de fois, et pourquoi pas, avec un maximum de partenaires. Ce n'est dans un sens pas un mal. C'est même très naturel. Ça remonte aux origines de la vie sur terre. De la survie de l'espèce.
Hans écoutait, un peu éberlué tout de même. Il se tourna vers le bar-man :
- Une eau-minérale gazeuse, s'il vous plait !
- Mais bon...on n'est plus dans la préhistoire. Des milliers, que dis-je, des millions de couples peuvent vivre sur terre sans avoir d'enfants, l'humanité ne s'éteindra pas pour autant !
- Mais on a toujours autant envie de sexe...
- Oui.
- Alors on rentre toujours autant dedans, on éjacule toujours autant...mais on met une capote ! fit Hans en regrettant immédiatement ce qu'il venait de dire.
Mais Alice sourit. C'était de l'humour. Pas très fin. Mais c'était de l'humour. Et Alice savait que l'humour, comme l'amour, était quelque chose d'important. Alors elle rit. Puis elle demanda :
- Mais toi, comment tu as fait pour te ranger ? Et, excuse-moi, t'es tu vraiment rangé, ou est-ce que tu fais semblant ?
Hans but une gorgée d'Henniez verte moyennement gazeuse et s'attela à répondre :
- J'ai eu beaucoup de peine à me ranger. Je n'ai pas trompé Klara, mais, je sais, c'est complètement idiot, une partie de moi aimerais dans un sens pouvoir vivre comme dans la préhistoire...
- En fait, les hommes doivent apprendre, peut-être plus que nous les femmes, à dompter leur pulsion sexuelle...
- Oui, je crois qu'il y a de cela...
Les salutations d'usages passés, tout ce beau monde se retrouvèrent dans une salle au premier étage qui donnait sur la rade et le jet d'eau « tricolore » que l'on distinguait parfaitement du fait que nous étions en décembre et que les grands arbres de l'île Rousseau étaient dépourvus de feuillage.
Monsieur Matton était accompagné du premier ministre français Philippe Éppetinot, et du ministre des relations extérieures, Jean-Claude Poccot. Les tables de la salle étaient disposées en rectangle, et étaient recouvertes de nappes blanches. Des bouteilles d'eau minérales et des verres étaient posés à côté des petits écriteaux dorés ou était inscrit le nom de la personne sensée occuper la place. Tout le monde s'installaient dans une ambiance lourde: l'heure était grave. Personne n'avait esquissé un mot d'humour, de convivialité.
Peut-être que le président Jean-Pierre Lonfat allait y remédier, cela était dans ses cordes habituellement. Il allait justement prendre la parole lorsque il vit le président Matton saisir une enveloppe posée sur la table devant lui. Il vit celui-ci ouvrir l'enveloppe et crut tout d'un coup que son cœur allait s'arrêter. Il vit Georges Pendal mourir empoisonné par un gaz s'échappant d'une petite boule, il vit Jérôme Bonnetière succomber à l'absorption d'une dragée mortifère, et il vit le président Emmanuel Matton subir le même sort : quelque chose allait sortir de cette enveloppe qui n'avait aucune raison d'être là, et terrasser le premier homme de France ! L'équivalent d'une véritable déclaration de guerre ! Alors il parvint juste à bredouiller, complètement emmêlés et effrayés par toutes ces pensées :
- Mais monsieur Matton ! C'est quoi cette enveloppe ???
Les gardes du corps debout aux fenêtres avaient immédiatement compris au ton étrange de monsieur Lonfat, qu'un danger guettait le président Matton et que ce danger était l'enveloppe d'où celui-ci extrayait à l'instant ce qu'il contenait : une feuille de papier en format A4. Deux gardes du corps sautèrent sur la feuille, l'enveloppe et les arrachèrent des mains d'Emmanuel Matton qui sursauta. Qui ne l'aurait pas fait ? Mais tout le monde ne comprenait pas tout-à-fait ce qui se passait. Patrick Charmey n'avait rien vu et resta stoïquement assis sur son siège un grand point d'interrogation sur le visage. Sylvie Delcourt, encore psychologiquement fragile suite à l'attaque qu'elle, ou plutôt son mari avait subit, eut tellement peur qu'elle se leva en sursaut, renversant le verre d'eau qu'elle venait de se remplir, et courut dehors. Elle ne supportait plus l'idée même de la violence. Un autre garde du corps sortit et appela la police au secours. Immédiatement, six policiers armés comme s'ils partaient en guerre investirent la salle. L'un d'eux appela Hans Pfäfi sur son téléphone. Hans et Alice abandonnèrent instantanément leurs boissons et leur discussion, sortirent leurs armes en même temps qu'ils s'engagèrent dans les escaliers. Un étage. Ils seraient vite en haut. Ils arrivèrent et le capitaine les informa de la situation :
- On soupçonne une enveloppe empoisonnée !
Hans regardait autour de lui, les gens présent, puis l'enveloppe qu'un des gardes du corps avait laissé par terre, à moitié ouverte, le président Matton n'avait pas eu le temps de sortir ce qu'elle contenait.
- Qui a été en contact avec cette enveloppe, demanda Hans d'une voix forte.
Il s'adressait à toutes les personnes présentes dans la salle. Le président Lonfat se sentit légitime à répondre. C'était lui qui en premier avait remarqué l'anormalité de la présence de cette enveloppe :
- Le président Matton a pris l'enveloppe, commencé à l'ouvrir, puis ces deux gardes-corps là, il désigna un grand monsieur de couleur noir, et un plus petit, blanc, ont sauté sur le président et lui ont pris l'enveloppe, mais je ne sais pas si les deux l'on touché.
- Il n'y a que moi qui a touché l'enveloppe, monsieur, intervint le grand noir.
Hans réfléchissait en regardant fixement par terre, puis il annonça :
- Alors, si je résume, ont touché l'enveloppe, le président Matton, le garde corps ! C'est tout ! Tout le monde est d'accord avec ça ?
Il regarda de nouveau tout le monde. Aucun n'objectèrent.
- Bien ! Personne ne touche à cette enveloppe, personne ne sort de cette salle, jusqu'à l'arrivée de la police scientifique !
Il se tourna vers Alice :
- Tu peux appeler François, s'il te plait ?
Toute l'équipe de la police scientifique débarqua dans l'hôtel des Bergues, un quart d'heure plus tard, avec tout le matériel nécessaire. François Champs entra dans la salle et très rapidement dédramatisa la situation. Visiblement personne ne ressentait le moindre malaise, ni le président Matton, ni le gardes-corps qui avait touché l'enveloppe, ni qui que ce soit d'autre. Aucune odeur particulière n'était perceptible, donc très vraisemblablement, l'enveloppe ne contenait pas d'autre chose qu'une lettre. Un des policiers scientifique passa une machine sophistiquée sur l'enveloppe, une machine capable de détecter le moindre produit chimique suspect, et cette machine resta muette. Pas le moindre bip annonçant un danger chimique quelconque !
- Bon ! Écoutez ! Je propose, si Hans Pfäfi est d'accord, que puisque ce que contient cette enveloppe lui est destiné, qu'il nous dise ce qu'elle contient ?
Hans acquiesça. François Champs s'accroupit pour ramasser l'enveloppe, puis la tendit au président, qui était, d'après son expression générale, ahuri par la tournure des événements. Voire fâché. Néanmoins, il finit ce qu'il y a maintenant une demi-heure il avait commencé : ouvrit l'enveloppe et en extraire...une lettre ! Une feuille de papier, format A4 plié en deux. Le président la déplia l'air dubitatif. Cette histoire était un peu rocambolesque, pensait-il. Tout ce remue-ménage pour une simple lettre, ces suisses exagéraient, sans aucun doute. Il regarda ce qui était écrit sur la page : quelques phrases, plutôt courtes, en gros caractère puisqu'il y avait de la place. Hans Pfäfi intervint :
- Monsieur le président, pourriez-vous nous lire la lettre, à voix haute, s'il vous plait ?
Emmanuel Matton regarda Hans l'air un peu surpris. Cet homme était assez directif tout de même, et cela ne lui plût guère. Mais il obtempéra tout de même :
- Oui, bien sûr. Alors voyons...
Il toussa légèrement puis se lança dans la lecture :
Monsieur le président de la république française, Emmanuel Matton. Dernièrement, vous avez tenu le langage suivant à un jeune chômeur qui se plaignait de ne pas parvenir à trouver du travail : « Je traverse la rue, je vous en trouve du travail ! ». Je tiens immédiatement à vous signaler mon entière approbation ! C'est exactement le même discours que je tiendrai face à quelqu'un qui cherche du travail. Mes enfants en premier. Car, exprimé un peu différemment, qui veut travailler, trouve du travail ! Mais... ...car il y a un mais, monsieur le président. Lorsque dans notre région genevoise, un français veut appliquer votre conseil, votre maxime, eh bien, en traversant la rue, il traverse la frontière par la même occasion.... !!!!!????.....ce que je ne peux en aucun cas admettre ni approuver !
Bon retour chez vous !
E
L'avion décollait et à son bord, le président français ne décolérait pas :
- Non mais, Brigitte ! Jamais vu ça ! Des incompétents !
Il insista. Parce que il n'arrivait pas à obtenir la validation de sa femme :
- Des in-con-pétents ! Tu m'entends, Brigitte !
Sa femme regardait la montre qu'elle avait reçue du conseil d'État genevois. Une Rolex absolument magnifique. Puis elle ouvrit la boîte du chocolatier Rohr, prit un praliné et le mit dans la bouche où elle le laissa fondre. Absolument délicieux.
- Des in-CON-PÉTANTS ! Brigitte, tu comprends ?
Elle répondit à son mari :
- Oui, j'ai compris Manu. Des cons qui pètent...tu veux pas un chocolat, fit-elle en tendant la boîte au président.
Celui-ci soupira, prit un chocolat, et s'avoua qu'il était rudement bon, en regardant par la fenêtre les lumières de la ville du bout du lac qui s'éloignaient en se jurant toutefois que l'on ne l'y reprendrait plus. Il ne retournerait plus jamais à Genève quoi qu'il arrive. La prochaine fois, s'il y en aurait une, il ferait un skype.
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