Jeudi 17 janvier 2019, l'Éléphant dans la canette, 20h30

- Mais je vais te l'expliquer, pourquoi ? s'exclamait Franco Bernardi.

Il s'adressait à Nicolas Vidon. Les deux hommes étaient attablés à l'Éléphant dans la canette, ce soir de janvier. Nicolas, sans la moindre gêne, avait convié le procureur à cette entrevue, avec choucroute garnie, dans le bistrot fétiche du jeune inspecteur. Nicolas avait alors fait part de son indignation quant à la tournure que prenait l'enquête. Il ne supportait plus Hans Pfäfi et l'exprimait clairement :

- Il n'est pas compétent, Franco. Il passe son temps au restaurant, au tea-room à manger avec l'inspectrice Noît. Les deux font des voyages en train, dorment à l'hôtel, je pense qu'ils couchent ensemble, et pendant ce temps "E" court toujours.

- Le voyage en train c'était pour interroger Ehril Renard, non ? Fils de Elena Pericolo, non ?

- Oui. Ça c'est le seul élément positif. Mais Hans ne veut pas voir les choses en face. Je ne sais pas pourquoi il est si persuadé que les Pericolo/Renard n'ont rien à cacher ?

- Il t'a mis en filature sur Ehril Renard, non ? Ça veut dire qu'il estime que le jeune homme a peut-être des choses à cacher. Et comme je viens de le dire, c'est le fils d'Elena Pericolo...

- Oui. D'accord. Mais j'aurais préféré qu'il me mette sur Elena...au lieu de m'envoyer à cent-cinquante kilomètre de là où ça se passe...

- Il a un sixième sens.

- Pardon ?!

- Hans a un sixième sens.

- Non mais on est où là ? Au cinéma ?

- Non. À l'Éléphant dans la canette. J'aurais préféré être ailleurs. Je ne sais pas ce que tu lui trouve à ce bistrot. C'est tellement serré qu'il est très difficile d'être discret dans la conversation.

- Tiens. Tu rejoins encore le Hans. Décidément, vous êtes jumeaux, ma parole.

Franco sourit et revint à son explication :

- Non. Le sixième sens est une façon de parler. J'ai lu son dossier. À Hans. Ça fait quinze ans qu'il est inspecteur à Zürich et il a démêlé bien des affaires. Plus qu'emmêlées.

- ...mais je suis tout ouï...

Le procureur avala un morceau de saucisson trempé de moutarde, puis commença son récit :

- En 2011, tout désignait August Triermann comme le meurtrier de sa femme. Celle-ci l'avait trompée avec le frère d'August, Friedrich. August, extrêmement déprimé, était à deux doigt de passer aux aveux pour en finir avec la pression qu'il subissait. Une seule personne le soutenait : Hans Pfäfi ! Et Hans, par je ne sais quel miracle, sixième sens ?, découvrit finalement le pot-aux-roses. Le psychisme de Friedrich n'était pas des plus sains. Jalousie maladive vis-à-vis de son grand frère. Quasi haine. Jusqu'à lui lui avouer avec un plaisir non-dissimulé qu'il avait couché avec sa femme. Mais là où Hans a fait très fort, c'est qu'il a deviné que Friedrich n'aimait pas particulièrement Arlika, la femme d'August, mais que son but véritable était d'atteindre son frère là où ça fait mal. Et Hans était sûr d'emblée que c'était Friedrich qui avait tenu la tête d'Arlika sous l'eau du lac des quatre-cantons jusqu'à ce que mort s'ensuive. Dans le but de détruire son frère, lui ôtant celle qu'il aimait, malgré son infidélité, puis, en parvenant à le faire accuser du crime , l'envoyant en prison par la même occasion. Mais Hans était là. Trouvant le détail que personne ne cherchait : un stylo tombé de la poche de Friedrich dans un bosquet près du lieu du meurtre. Avec de magnifiques empreintes de Friedrich Triermann dessus.

Nicolas avait écouté attentivement l'histoire que Franco Bernardi lui avait contée. Il sourit. Était presque sous le charme. Mais n'en démordait toutefois pas :

- Ce n'est pas ce "sixième sens" (il mima des parenthèses des mains) qui va me faire croire qu'Elena Pericolo n'a rien à faire avec l'affaire "E" !

Franco soupira :

- Eh mais, Nicolas ! Hans, c'est ton chef ! Et puis. Que fais-tu encore ici ? Tu devrais être à Sion !

Nicolas avala la dernière gorgée de bière. Et dans un soupir bien sonore, posa sa canette sur la table.