110
Jeudi 7 mars 2019
Éloïse Ébeine passa la tête à travers le cadre de la porte du QG de l'affaire « E » au cinquième étage du commissariat du boulevard Carl-Vogt.
- Bonjour ! fit-elle.
- Bonjour, lui répondit Hans. Entrez seulement et asseyez-vous.
Tout le monde était là. Alice, debout, un café à la main. Nicolas, assis au bureau, devant l'écran d'ordi. Abdel, qui venait de déposer un doux baisé sur les lèvres d'Éloïse Ébeine. Et Hans évidemment, qui ne pouvait dissimuler un certain scepticisme. Depuis quand faisait-on intervenir un quidam sur une enquête policière.
Pour Nicolas, c'était clair comme de l'eau de roche. Abdel, amoureux transi de l'étudiante en science politique, voyait ce qu'il avait envie de voir : sa copine qui trouvait la réponse derrière laquelle toute l'équipe courait depuis plus de cinq mois.
Les réflexions, analyses et conclusion, au jour d'aujourd'hui, sur l'affaire « E », de la jeune femme étaient extrêmement intéressantes et pertinentes selon Abdel. Et il avait encouragé la jeune femme à venir au commissariat les exposer.
- Nous vous écoutons, fit l'inspecteur suisse-allemand.
Éloïse souriait. Un peu gênée tout de même. Abdel avait dû sacrément insister pour qu'elle se retrouve ici. Elle lui avait dit qu'il était fou. Mais pour finir, vu qu'elle se passionnait pour cette affaire, et qu'elle était secrètement assez certaine de la valeur de son analyse, elle avait finit par accepter.
Elle se lança:
- Oui. Alors. Voici ce que je pense. Il y a une personne qui se dégage selon moi dans cette histoire. Une personne qui peut tout-a-fait plausiblement être « E »...
Tout le monde était tout d'un coup comme suspendu aux lèvres de mademoiselle Ébeine. Même Nicolas qui jusqu'ici s'était montré distant et avait jaugé de manière ostentatoire le physique d'Éloïse. Jamais il ne pourrait envisager quoi que ce soit avec elle. Il n'en revenait pas comment Abdel avait pu tomber si bas.
- Cette personne est Elena Pericolo.
Hans demeura stoïque, tandis que Nicolas oublia ses considérations sur la plastique de l'étudiante, et se redressa sur son siège de bureau.
- Et qu'est ce qui vous a amené à cette conclusion ? demanda Alice en déposant son gobelet de café vide sur une étagère.
- C'est relativement simple et logique.
Un : son fils Ehril Renard a postulé pour le poste de responsable multi-média à l'Hôtel-de-Ville. Le poste lui échappe. S'ensuit le meurtre de Jérôme Bonnetière, responsable de l'office de l'emploi, et directement responsable de l'engagement du jeune Amir Bendi. Attentat sur ce même Amir Bendi.
Deux : Bonnetière est tué avec une amande contenant du cyanure. Elena est chimiste. Elle sait confectionner une arme à base de cyanure.
Trois : la douane de Certoux se trouve non loin de là où elle habite.
Quatre :Elle est amie avec Elizabeth Page et est par conséquent sans doute très au courant de ce qui se passe au gouvernement.
Cinq : La société protectrice des animaux se trouve très près de son domicile à Sézenove.
Bref, beaucoup de liens entre la prof de chimie et les agissements de « E ».
Nicolas tapa tranquillement dans les mains, espérant initier un applaudissement général. Il jeta même un œil, qui semblait empreint d'un véritable respect, sur Éloïse. Mais il n'y eut pas d'applaudissements. Chacun savait que Hans allait mal le prendre. Celui-ci dit à la jeune femme :
- Eh ben...écoutez ! C'est intéressant. Vos remarques sont intéressantes. J'en prend note. Nous verrons ce que nous pourrons en tirer...
Alice sourit.
Abdel réagit :
- Mais chef, c'est plus qu'intéressant...je pense qu'il faudrait mettre Elena Pericolo sous surveillance...
Nicolas ajouta, le regard brillant :
- Tout-a-fait ! Je m'en occupe, chef, si vous le voulez-bien,
Hans temporisa les ardeurs. Il avait plein de respect pour la copine de Abdel, mais ne voulait pas s'avouer battu :
- Nous verrons, nous verrons. En tout cas merci beaucoup mademoiselle Ébeine.
Il se tourna vers Abdel et lui pria de bien vouloir raccompagner la jeune étudiante.
Dix minutes plus tard, après un débrief sec, en gros statu-quo par rapport à la voisine de Hans, Nicolas, debout, près de la porte s'adressa à Abdel :
- Alors je rejoins ta copine sur tout ce qu'elle a dit.
Puis il ajouta, l'air presque dégoûté :
- Mais alors, quel thon !
Et sur ce, il tourna les talons et sortit du bureau.
Alice était sans voix. Ou presque :
- Quel con ! lâcha-t-elle.
Abdel demeurait silencieux. Calme. Un petit sourire sur les lèvres. Il finit pas dire, tout-a-fait sereinement à une Alice encore outrée:
- Éloïse, je l'aime. Point.
Alice avait les yeux grands ouverts, le regard ahuri. Elle balbutia , admirative:
- ...eehh been !...en voilà une parole magnifique... !
Annotations
Versions