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"....Cher Hans..."
Alice était assise à son tour dans le salon en cuir bleu. Hans avait prit une bière et s'était installé dans le jardin, entouré (emprisonné) par les bambous. Il voulait qu'elle lise la lettre toute seule. Tranquillement.
"...Je te dois cette lettre..."
Alice était déjà surprise. Pourquoi ce tutoiement ?
"...Le hasard a voulu que tu t'installes juste à côté de moi et de mon mari, Antonio. Ah oui! Je te tutoie. Cela t'étonne? C'est parce que, en toute sincérité, tu es quelqu'un que j'apprécie beaucoup, et je crois savoir, ou alors deviner, enfin, il me semble que toi aussi tu m'apprécies. Que le courant passe bien entre nous, comme on dit. Enfin, jusqu'à maintenant, sans doute. Malheureusement. Si nous nous serions rencontrés en d'autres circonstances, nous aurions, j'en suis sûre, put entretenir une excellente relation. D'amitié. Vraiment..."
Alice leva la tête. Et regarda droit devant elle:
- Elle est folle ! se murmura-t-elle.
Puis elle tourna la lettre, qui faisait trois pages A4 pour s'assurer d'une chose.
Oui.
C'était Elena Pericolo qui l'avait écrite cette lettre. Sa signature, parfaitement lisible clôturait la chose.
Elle ferma les boutons de sa jaquette en jeans, reprit la lecture.
« ...Mais le destin en a décidé autrement. Maintenant, cette lettre est là pour lever le voile qui t'empêches de voir.
Je ne suis pas partie en vacances avec mon mari. Nous sommes parti définitivement dans une partie du globe où tu ne pourras rien contre nous. Je n'ai pas réalisé tout ce que j'ai réalisé avec l'aide d'Antonio, pour croupir ensuite à Champdollon ! Non ! Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour que les choses changent ! Durablement ! Pour que les gens se souviennent de E comme quelqu'un qui a réussit. Qui a osé montré ce qui ne va pas ! Sans concession ! Librement et en conservant sa liberté... »
Alice leva de nouveau la tête. De nouveau elle regarda droit devant elle. Quelque chose faisait barrage en elle. Non. Ce n'était pas possible ! Malgré cette phrase d'aveux, elle voulait croire que cela n'était que du vent ! Une tentative de faire le buzz, pour penser et parler jeune. Mais Elena n'était pas jeune ! N'était pas de la génération internet ! Elle ne cherchait pas à faire le buzz ! Elena Pericolo et « E » était la même personne !
- Putain ! lâcha-t-elle.
Puis, avant de continuer la lecture, elle se leva et alla ouvrir le frigo. Et se servit une bière. La décapsula avec le décapsuleur que Hans avait laissé sur la table de la cuisine. Elle avait besoin d'un peu d'alcool pour digérer. Pour poursuivre la lecture la plus improbable et effrayante qu'il lui avait jamais été donnée de lire.
Hans, lui, sirotait sa bière sur la terrasse. Et se sentait bien. Il vivait le pire moment de sa carrière mais il se sentait bien. L'effet de la décompression, peut-être. Ce qui le frappait, c'était ce sentiment d'incapacité de réfléchir. Comme si son cerveau s'était mis en grève. Ou alors la lettre de sa voisine avait fait exploser tout les plombs de son système intellectuel. Il se laissait, en compagnie de sa Heineken, bercer par une douce fatalité. La seule chose à laquelle il arrivait à penser, par intermittence, était quel métier il pourrait faire au jour d'aujourd'hui, si il s'avérait que inspecteur de police c'était finalement pas son truc.
« ...Je l'ai dit dans mes missives, mon intention n'était pas toujours de tuer. Le motard aurait très bien put survivre. De même que pour Félicien Dumas. Nathalie Luck aurait très bien s'en tirer avec quelques égratignures ! Quelque part, j'ai la nette impression que des forces au-dessus de nos forces se sont misent en branle, on fait que...Cela peut paraître fou, barge, j'en suis consciente, mais je crois que le hasard n'existe pas et que si ces personnes sont mortes, elles ne l'ont pas été pour rien. Mais pour appuyer plus fortement encore ce que j'ai voulu exprimer depuis fin septembre 2018. Nos dirigeants ne peuvent pas, continuellement, manquer d'éthique, faire comme cela leur plaît, au nez et à la barbe de la population indigène... »
Alice but une bonne gorgée de bière. Elle aimait beaucoup Hans. Même jusqu'au point où elle avait pu s'imaginer aller loin avec lui dans la vie, et cela la peinait terriblement de savoir qu'il allait être la risée des médias, de la population, des collègues. Que il vivait là un échec retentissant. Elle aussi, Nicolas et Abdel aussi. Mais dans une moindre mesure. Hans était le chef. C'était donc vers lui que tous les regards allaient converger. Et Nicolas allait pouvoir prendre sa revanche. Il avait à plusieurs reprise relancé Hans sur les éléments troublants qui pointaient dans la direction Elena Pericolo.
« ...Ah, il faut quand même que je te dise, j'ai d'ailleurs failli t'envoyer à l'époque une missive à ce sujet. Non, je ne me suis pas inspiré du film d'horreur anglais, je ne me rappelle d'ailleurs pas de son nom. Sauf pour l'attaque au jumelles. Effectivement j'ai repris cette idée. Il y a longtemps, en zappant un soir devant la télévision, je suis tombée sur l'extrait du film où les deux femmes reçoivent cette paire de jumelle truquée, et , je m'en suis inspirée. Mais je n'ai jamais vu le film en son entier, et apparemment, j'ai bien fait. J'ai lu dans la Tribune que tout le monde s'accordait à dire que c'était un navet !... »
Et reprendre l'agriculture ? Prendre une ferme, des animaux ? Il serait plus avec ses enfants, qui seraient enchantés. C'est génial une ferme pour les enfants. Avec des poules, des cochons et des vaches. Il y avait d'ailleurs une ferme à reprendre à Amriswil. Hans finissait sa bière et se voyait déjà en tenue de fermier sur son tracteur. Et son père qui vivait toujours à Zürich avec maman serait si fier de voir son fils reprendre le flambeau. Même qu'il n'arrêtait pas de dire qu'il acceptait la décision de son fils de se lancer dans la police, Hans sentait très bien la déception qui se dissimulait derrière.
« ...je suis extrêmement heureuse de la tournure des événements. Jean Walder et Freuli Abgunz sont au gouvernement, et ils vont faire de l'excellent boulot. J'en suis persuadée. Il était extrêmement important que moi et mon mari ne soient pas capturés. Pour que dans l'esprit des gens, la révolution soit perçue comme réellement possible ! Qu'il est possible de passer outre les morales, de pouvoir exprimer sans détour les problèmes. Et d'aller à la pêche aux solutions. Aux véritables solutions, et pas les semblants de solutions n'existant que pour donner encore plus de privilèges à ceux qui en sont déjà largement pourvus... »
Alice finit d'un coup sa bière. Elle trouvait la lecture un brin déprimante. Et fascinante. Déprimante parce que l'échec de l'enquête était évidemment total. Mais vraiment total. Fascinante parce que la folie d'Elena Pericolo, l'était, fascinante. Elle et son mari avait tué des gens, rendus aveugle un prof de français, innocent, mais cela lui semblait tout-à-fait acceptable, la seule chose importante étant sa mission : faire comprendre au gouvernement genevois que leur manière de gérer la politique de l'emploi était erratique. Et ceci par la manière forte. Sans le moindre scrupule. Et estimant même que des forces divines avalisaient sa démarche. « E » était une psychopathe quelque peu atypique !
Ou alors l'électronique. Devenir réparateur de smartphone, d'ordinateur. Apporter sa contribution à l'environnement en évitant que des objets encore tout-à-fait utilisable finissent à la poubelle. Il avait toujours été intéressé par l'électricité, il avait d'ailleurs faillit devenir électricien, et les appareils électronique.
«...et je dois dire que je suis particulièrement heureuse d'écrire cette lettre et de pouvoir la donner à toi, et non pas à un inconnu. Oui, parce que je t'aime beaucoup... »
Alice crut qu'elle allait tomber du canapé. Elena Pericolo allait-t-elle se déclarer amoureuse de Hans ? De mieux en mieux. Hans allait-il pouvoir repartir en Thurgovie en faisant deux malheureuse. L'assassin qu'il recherchait et elle-même.
Elle arrivait au bout de la lettre :
« ...je pense que, inconsciemment, tu m'as protégée parce que, toujours inconsciemment évidemment, tu savais ma démarche juste ! C'est une bénédiction que tu sois arrivé à Genève à ce moment précis, que Franco Bernardi notre procureur, t'ai confié l'affaire. Je sais que, cela se sentait, Nicolas Vidon avait des soupçons sur moi. Et tu as écarté ces soupçons. Sans doute qu'un autre inspecteur m'aurait arrêté avant noël, mais Dieu soit loué, c'est toi qui a été là. Et m'a permit de toucher, d'atteindre la perfection. Oui. Je l'ai régulièrement sous-entendu, des forces au-dessus de nous, régissent et intervienne parfois dans nos affaires d'êtres humains aveuglé par notre cupidité, égoïsme...et je dois dire que moi-même et mon mari Antonio avons à plusieurs reprise été soufflés et encouragé par le succès bien au-delà de nos attentes qui s'exprimait, je pense en particulier à Nathalie Luck, à travers nos actions.
Voilà ! De là où je me trouve désormais en compagnie d'Antonio, je pense à toi. Avec gratitude et, mais oui, petit pincement au cœur...et je me permets de t'embrasser et de te souhaiter le meilleure pour ta magnifique femme et tes adorables enfants. Je garde un excellent souvenir de notre moment passé ensemble au mois de mars.
Adieu Hans ! Tu resteras toujours dans mon cœur !
Elena Pericolo
....et Antonio Pericolo !
P.S : Ne soit pas triste ! Une des raisons de mon départ était que , si j'étais resté, j'aurais dû, à un moment donné, t'éliminer. Il en a été question avec Antonio. Devine comment on avait prévu de faire? En empoisonnant les pommes que mon fils t'envoyait. Avec une aiguille très fine, on injectait du poison dans le fruit. En petite dose, à plusieurs reprise. Résultat : tu serais mort d'une crise cardiaque ! À vrai dire, nous l'avons fait à deux reprises, mais apparemment sans succès. Tu ne consommais pas toujours les fruits et légumes que nous t'apportions ?....et puis, on a pensé qu'il valait mieux....partir. Loin !
Alice laissa la lettre glisser des mains et tomber sur le sol, puis elle se coucha, étira ses jambes dans le salon en cuir bleu, et regarda le plafond. Puis, après un court instant, elle les ferma. Inspira profondément et expira bruyamment. Elle comprenait l'expression d'abattement de Hans. Elle-même l'était, maintenant. Abattue.
Elle expira de nouveau, bruyamment, puis se leva et sortit. Elle trouva Hans dans la chaise-longue, les yeux fermés. Le soleil passait à travers les bambous, éclairait en cisaillement son visage. Il l'avait entendu et ouvrit les yeux. Il la regardait, elle le regardait. Il se leva, mais demeurait muet. Alice aussi. Aucun des deux ne savait quoi dire. Et n'avait envie de dire quoi que ce soit. Alors Alice s'avança et ils se prirent dans les bras. Longuement, ils se serrèrent. Tendrement. Alice l'embrassa sur la joue, et Hans fit de même : un doux baisé sur la joue. Ils savaient tous les deux que l'aventure s'arrêtait là.
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