La vie est éphémère mais l'art est éternel

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Les années passèrent, et je continuais les victimes, pour le bien de mon art. Chaque œuvre que je couchais sur le papier, me rapprochant un peu plus de la beauté absolue. J'avais créé un réseau. Les simples meurtres ne me suffisaient plus. Il me fallait quelque chose de plus beau, de plus sublime, oui, quelque chose de plus resplendissant encore, pour m'approcher de mon but ultime: un art éternel, que jamais personne ne pourrait oublier.

Mon organisation était fondée sur de bonnes bases, je faisais confiance à chaque membre de celle-ci, nous formions comme une famille. Nous multipliions les attentats, et nous posions des bombes dans des tunnels, faisant exploser des trains et des convois, pour l'art. Bien sûr, les personnes que j'avais enrôlées ne savaient pas que l'on faisait tout cela dans l'unique but de nourrir mon imagination... Non, je leur avais fait croire par de beaux discours que je voulais renverser le gouvernement. Aussi, nous ne visions que des personnes en lien avec l' État, et les victimes innocentes pouvaient bien se sacrifier pour la "bonne cause".

Mais, chaque jour, je ne pouvais m'empêcher de pleurer, je ne savais pas pourquoi...

Une sorte de vide s'installait en moi. Je ne ressentais plus rien, ni la haine, ni la joie, ni la tristesse... Les larmes que je faisais couler chaque jour ne me faisaient pas sombrer dans la folie, non, ce qui me rendait fou, c'était la peur de me faire happer par le vide de mon cœur avant d'atteindre mon but.

Seulement, je tournais en rond, toutes mes œuvres commençaient à se ressembler, à perdre de la couleur et de la valeur à mes yeux. Elles me paraissaient fades. Sans aucun signe de vie, sans aucune volonté. Juste de la peinture lancée au hasard sur du papier, des ratés. Il lui en fallait plus, mon art ne devait pas s'arrêter là, pas maintenant. Et dans mon malheur, je ne pouvais me résigner à faire mon chemin tout seul en abandonnant mes compagnons. Mais mon art, lui, ne demandait que ça, et le vide, me ramenant à ma réalité de malade, me rappelait que mes jours étaient comptés...

Une haine intarissable envers les autres me poussait à me surpasser, pour prouver la supériorité de mon art. Et puis après tout, compagnons ou non, ils vivaient tous à mes crochets. Je pouvais prendre n'importe qui comme modèle, tuer la personne que je souhaitais pour en faire un magnifique tableau... Ce monde était le mien, rien qu'à moi. La vie de chacune des personnes qui se trouvaient sur cette Terre était mienne, pour le bien de mon art, pour le bien des yeux, qui las de voir tout le temps la même chose, ont envie d'être surpris par un incroyable renouveau. Oui, c'est cela et seulement cela qui mérite le nom d’œuvre d'art. Et quand ce renouveau que j'apporterais submergera le monde d'une vague d'émerveillement, je peindrais, oui, je peindrais. Je peindrais le monde, son paysage, ses horizons, teintés de sang, teintés de pleurs, oui, ce sera grandiose ! Je peux déjà entendre les cris lointains de mes futures victimes... Il faut qu'elles comprennent, oui, il faut qu'elles se donnent tout entièrement à mon art, sans aucune trace de repentance, de refus avant le passage d'être humain à œuvre d'art. Ce serait une peinture empreinte de joie. Qui ne rêverait pas d'y figurer ?

La vie est éphémère, mais l'art est éternel...

Trahison, ce fut le titre de cette prochaine œuvre, empreinte d'allégresse, de joie... J'avais organisé un banquet en l'honneur de tous les membres de la dite organisation, et j'avais empoisonné leur nourriture... Oui, ils étaient morts le sourire aux lèvres, la pensée ailleurs... Le silence qui avait suivi le banquet était plus qu'apaisant. Alors j'ai peint, oui, j'ai peint la scène du mieux que je pouvais, les visages déformés par l'alcool et l'expression joviale qui en émanait. Les positions saugrenues de certains, gisant au sol, inertes, sans aucun souffle de vie, mais aussi la colère dans les yeux de ceux qui avaient compris, mais trop tard. Sous la lumière vacillante des chandeliers, mon pinceau courait le long de la toile, dessinant des formes inconnues, des courbes étranges, des couleurs sombres, des faciès horrifiants, oui, je le pensais aussi, ils n'avaient pas apprécié mon art. Ce n'était pas encore ça. IL ME FAUT PLUS DE modèles ! TOUJOURS PLUS ! JE VEUX PEINDRE LE MONDE ENTIER, DONNER UNE NOUVELLE EXPRESSION, UNE NOUVELLE INTERPRÉTATION, OUI, MOI SEUL PEUT Y ARRIVER!

Un filet de sang coulait le long de ma bouche, et j'avais des difficultés respiratoires... Je faisais une crise. Mais, envahi par la folie et la joie, je ne m'en rendais pas compte, et m'évanouis, sans un bruit...

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