37°6

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—Résumons, vous avez un peu de température, la gorge qui gratte… bon, une petite rhyno… Je prépare l’ordonnance ; voilà. Et sinon, vos vacances ?

—Extraordinaires. Nous étions à Djibouti. Pas la destination de rêve pour la plage et les cocotiers, mais question plongée, c’est le paradis.

—Djibouti ? Et vous avez la gorge qui gratte ?

—Oui, enfin ça fait deux mois que je suis rentré.

—Ne bougez pas, je mets des gants.

—Des gants ?

—Protocole de sécurité. Non ! Ne bougez pas ! Vous restez assis sur cette chaise, mains sur les genoux, pieds bien à plat et vous respirez tranquillement.

—Mais docteur, tout va bien, ce petit rhume, je l’ai depuis deux jours.

—Dites-donc, qui s’est tapé neuf années d’études après le bac dans cette pièce ? Vous ou moi ? Alors, les gants, le masque -trop serré ce truc-, le spray désinfectant… Ne bougez pas, je vous dis !

—Vous n’êtes ni rassurant ni drôle, vous.

— Parce que vous pensez que j’ai envie de rigoler. Dans mon métier, une négligence, c’est cinq cent mille victimes derrière. Je n’ai pas envie d’être responsable d’une pandémie. Ouvrez la bouche.

—Euh, docteur, vous êtes à trois mètres, vous n’allez pas voir grand-chose.

—Mais, il veut m’apprendre mon métier, cet olibrius !

—Restez poli.

—Mon p’tit bonhomme, sachez que mon père a fait l’Afrique et je peux vous assurer que vous n’avez pas la moindre idée de ce qui peut se cacher derrière une gorge qui gratte. Avez-vous déjà été piqué par un scolopendre ?

—Bah non.

—On ne sait jamais. Papa me racontait des histoires de bébés scolopendres qui sortaient par les globes oculaires, une horreur. Araignées, scorpions ?

—Rien de tout ça. Vous commencez à me foutre la trouille.

—La trouille ? Mais, mon vieux, à votre place, je serais mort de peur !

—Vous n’exagérez pas un peu ?

—Du tout. Vous avez bu l’eau des marécages ?

—Docteur, je ne bois pas l’eau des marécages, que ce soit en Afrique, en Auvergne ou au Danemark !

—La tentation peut être grande. Papa me racontait ; les longues chasses au zébu…

—Ah oui, quand zébu, zébu soif.

—Vous insultez Papa ?

—Désolé.

—Je disais, les longues chasses au zébu, les fauves tapis dans la savane, les miasmes et les coliques. J’en ai chié, me disait-il, et pas qu’au figuré. Ah, Papa. Les baobabs, la copulation des babouins…

—On ne s’éloigne pas du sujet, là ?

—Dites que je vous emmerde pendant qu’on y est, alors que j’essaie désespérément de vous sauver la vie.

—Docteur, j’ai 37.6 °. On a vu pire.

—Les petits ruisseaux font les grandes rivières. Qui sait si demain vous ne serez pas à 41°, agonisant sur votre lit imbibé de sueur, votre épouse gémissant à vos côtés, vos enfants quémandant un dernier baiser que vous ne pourrez leur accorder sans risquer de les contaminer, et cette foule assemblée pour vos obsèques, ce reproche lancinant courant de bouche en bouche « Docteur Pioteau, c’est le docteur Pioteau le responsable », la vindicte populaire, le déshonneur, mon suicide devant l’ordre des médecins, la longue lignée des Pioteau s’éteignant avec moi !

—Vous pleurez, docteur ? Bon, je vais peut-être m’en aller, vous me semblez fatigué.

—Oui, partez, je vous vois, au seuil de ma porte, partant contaminer le monde avec indifférence.

—Pour régler, je vois avec la secrétaire.

—N’oubliez pas l’ordonnance, quand même.

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