Chapitre 9 : “California” - Lana Del Rey

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Ce matin-là, j’avais décidé de me lever tôt pour enchaîner quelques vagues. Depuis son arrivée ici, j’ai bien essayé d’initier Liv au surf, mais elle avait vite abandonné, préférant offrir sa peau en offrande au dieu soleil, qui la gratifierait d’un hâle doré. Je suis descendu à la cuisine et j’y ai retrouvé ma soeur, qui dégustait un petit pain noir avec un avocat et un oeuf. Elle portait un petit foulard vert dans ses cheveux. Un parfum de café flottait dans l’air. Je l’embrassai sur le front, puis je me préparai des oeufs tout en discutant avec elle.

- ¿ Todo bien, mi hermana ?

- Ça va, merci.

- Je vais surfer un peu, tu viens avec moi ? Tu pourras profiter du soleil.

- Tu vas encore surfer… ? Ok. Mmh je crois que je vais rester ici. J’ai envie de calme.

- Tout va bien ?

- Oui, à part que je viens de perdre ma grand-mère, répondit Liv sèchement.

Je me suis retourné, étonné par son ton sarcastique.

- Oulah… Heu… Ok. Je… Ne le prends pas comme ça, Liv. Je veux juste te remonter le moral.

- Je sais, Jake. Mais depuis que je suis ici, ce n’est que plage, détente, concerts et cocktails. On ne dirait pas que tu es en deuil !

- N’importe quoi, Liv ! Tu sais très bien que j’ai de la peine aussi. Mais c’est comme ça, il faut avancer !

- Oui, je sais, tu es comme ça. Tu avances. Ou plutôt, tu fuis. Comme lorsque tu es parti quand Helen t’a plaqué. Tu as fui et tu m’as laissée, là-bas, avec Granny !

Mes œufs commencèrent à brûler, et une légère odeur de roussi parvint à mes narines. Mais c’était sans importance. Ce que venait de me dire ma sœur m’avait touché au cœur.

- Tu es injuste ! Je n’ai pas fui ! On en a discuté avant, je me suis assuré que tu étais d’accord !

- Voyons, Jake ! Que voulais-tu que je fasse ? Tu avais le cœur brisé ! Alors si ça pouvais te faire du bien de partir, d’accord, je t’ai laissé partir ! Mais je suis restée derrière, toute seule, à m’occuper de Granny ! Comme je me suis occupée de toi à la mort de papa et maman !

- Non. Ne mêle pas papa et maman à ça. Je… Cállate !

- Quand penseras-tu à quelqu’un d’autre que toi, Jake ? Ok, tu vis dans un endroit formidable et tu m’as emmenée ici pour me changer les idées ! Génial ! Mais la vie n’est pas faite que de surf et de promenades sur la plage ! Regarde-toi, on dirait un adolescent, alors que tu as plus de 40 ans ! Tu n’as même pas de relation amoureuse !

Je gardais le silence, trop en colère pour dire quoi que ce soit. Si j’avais ouvert la bouche, ça aurait été pire. J’ai coupé le gaz et jeté la poêle avec les œufs cramés dans l’évier dans un fracas assourdissant. J’ai attrapé ma planche et je suis parti en claquant la porte. Monsieur Kasinski, un voisin, essaya de m’intercepter en rouspétant à propos des cris qu’il venait d’entendre et qui, selon lui, perturbaient notre quartier paisible. J’ai continué mon chemin, sans le regarder, en lâchant un “La ferme, Kasinski !” sec et définitif. Le pauvre bougre fut cloué sur place, étonné que je lui réponde si sèchement, moi qui suis habituellement poli et courtois. Monsieur Morgan, un autre voisin âgé, était assis sur son perron et avait observé la scène. Il me regardait d’un air hilare, apparemment heureux que j’aie remis Kasinski à sa place.

Je me suis dirigé vers la plage à grands pas. Je fulminais. Comment Liv pouvait-elle imaginer que le décès de Granny Margaret ne me touchait pas ? Et puis, remettre notre passé sur le tapis… C’était trop.

Arrivé à Venice Beach, j’ai laissé mon t-shirt et mes baskets sur la plage et j’ai couru dans l’eau, cherchant avidement une première vague à attraper. J’ai enchaîné plusieurs rouleaux. Mon surf était dynamique, agressif. J’avais besoin de me défouler. Puis, épuisé, je suis revenu sur la plage. J’ai planté ma planche dans le sable et je me suis assis, essayant de reprendre mon souffle. J’ai regardé l’océan un moment, et le ressac paisible des vagues m’a aidé à me calmer. J’ai alors repensé à tout ce que Liv avait dit. Je dus admettre qu’elle avait raison. Tout ce temps, à l’époque de la disparition de nos parents, et même après, elle avait été là pour moi. Elle s’est occupée de Granny, malgré sa carrière d’avocate, malgré sa solitude. Et moi, je me suis trop appuyé sur ma grande sœur, et à la première occasion, je l’ai purement et simplement abandonnée, obnubilé par ma propre souffrance. Tout ce temps, Liv a souffert, elle aussi. Et, admettons-le, je n’ai jamais vraiment été là pour elle. Un sentiment de culpabilité commença à peser sur ma poitrine. Il fallait que je retourne auprès de ma sœur et que je lui demande pardon. Elle avait besoin de moi. J’ai donc repris ma planche et je suis retourné chez moi.

Ma porte avait été défoncée. Je suis entré, le cœur battant. On aurait dit qu’un combat de catch avait eu lieu dans mon salon. Un vase brisé, mon canapé renversé, ma guitare électrique tombée de son support, brisée… Il y avait de la terre éparpillée partout. J’ai appelé Liv, fou d’inquiétude. Aucune réponse. Je l’ai cherchée partout dans la maison. La chambre, le garage, le jardin. Rien. Elle n'était pas là. Puis j’ai remarqué un détail qui m’a glacé le sang. Au sol, sous un coussin, il y avait son foulard vert. Une idée horrible s’est alors imposée dans mon cerveau : on avait enlevé ma sœur.

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