Chapitre 54 : “Conselho (Ao Vivo)” - Samba De Raiz
Little Dume Beach, une fin d’après-midi de septembre. Le soleil se couchait doucement sur l’océan, embrasant le ciel de mille couleurs. Sur la plage, décorée de bougies et de fleurs, devant une assemblée réunie pour l’occasion, un mariage allait être célébré. En face du maître de cérémonie, les futurs mariés étaient prêts. Lui était grand et sportif, elle menue et aux longs cheveux magnifiques. La cérémonie pouvait commencer.
- Nous sommes ici pour célébrer l’union d’ Aretha Carolina Johnson et Jacob Esteban Turner. Mais je pense qu’ils préfèrent que nous les appelions Ari et Jake.
Petit rire amusé parmi les assistants. La cérémonie continua, tantôt émouvante, tantôt plus solennelle. Certains invités, émus, sortirent les mouchoirs. Un homme, assis dans le fond, le visage caché par un chapeau blanc, baissa la tête et chercha quelque chose dans sa poche. Et puis, enfin, cette phrase fut prononcée : “Si quelqu’un s’oppose à cette union, qu’il le dise maintenant ou se taise à jamais”. A ce moment-là, l’homme au chapeau se leva d’un bond, en hurlant “Je m’y oppose !”. Il sortit un pistolet de sa poche et visa les mariés. Son chapeau tomba et découvrit le visage d’Alejandro Vidal, ravagé de cicatrices, le crâne parsemé de touffes de cheveux éparses. Il tira et la balle atteignit le marié, qui s’effondra. Les assistants du mariage, la mariée, et même le ministre officiant sortirent une arme et mirent en joue l’assaillant.
- FBI, lâchez votre arme ! hurla le faux prêtre.
Surpris, Vidal lâcha son arme et regarda autour de lui, éberlué. Il tenta de fuir en se faufilant parmi les convives factices. Mais c’était trop tard, il était cerné. Un agent saisit ses poignets pour lui mettre les menottes, lui récitant les droits Miranda.
Ari, dans sa robe de mariée factice, s’agenouilla auprès du marié, qui se relevait péniblement.
- Ça va, agent Murdock ?
- Ouais, répondit l’agent qui jouait le rôle de Jake. Heureusement que j’avais mon gilet pare-balles.
Jake - le vrai, cette fois - se précipita en se faufilant vers Ari.
- Hey… Ça va ? Tu n’es pas blessée ?
- Tout va bien, ne t’inquiète pas, le rassura-t-elle. Notre plan a fonctionné !
- C’est dingue ! Il a mordu à l’hameçon !
- Il faut dire qu’on y a mis les moyens, répondit l’agent Purnell, dans sa toge de prêtre. Et sans votre aide, la vôtre et celle du chef Williams, nous n’y serions sans doute jamais arrivés.
Après la descente à l’hacienda, il avait été clair qu’une taupe avait prévenu Vidal, qui avait pu s’enfuir. Lorsque Robbie avait été découvert, il avait avoué et avait impliqué plusieurs personnes haut-placées, dont le chef adjoint du LAPD, Al Whitechurch. Il avait été directement mis à disposition des Affaires Internes. Mais pour une raison mystérieuse, il semblait intouchable. Il n’allait pas se laisser faire. Il argua qu’aucune preuve ne pouvait le mettre en cause, hormis le témoignage d’un flic ripoux, qui au final ne pèserait pas lourd dans la balance. Il avait donc été mis de côté en attendant que la lumière soit faite sur cette affaire, et c’est le chef Williams qui avait été nommé Chef Adjoint par intérim. Mais ce n’était pas suffisant. Si les allégations concernant Al Whitechurch s’avéraient vraies, il fallait le confondre.
Pour découvrir si Vidal et Whitechurch étaient liés, Williams avait décidé de faire appel au FBI. Cela tombait bien, car ils cherchaient depuis un moment à mettre la main sur Vidal et stopper définitivement les activités de Los Machetes. Ils avaient un agent infiltré depuis un moment au sein du gang, Marcelo Garilla. Il fut informé de l’association de la section criminelle du LAPD avec le FBI et reçut de nouveaux ordres. Il devait garder les yeux ouverts et tenir l’Agence et la Criminelle au courant du moindre signe de faiblesse de Vidal. C’était un agent d’élite, qui avait réussi à gagner la confiance du chef de gang, devenant ainsi l’un de ses hommes de confiance. Il avait assisté depuis le début à la chute de son empire, qui avait commencé avec le contrat qu’il avait passé avec Gloria Rockwell. Les sicarios avaient du mal a accepter des ordres venant, en fait, d’une femme. Ca ne se serait jamais passé comme cela du temps d’Eduardo Vidal. Ils se disaient que le Jefe montrait des signes de faiblesse en suivant les ordres de Gloria. Puis, un tueur en série avait commencé à s’en prendre aux membres du gang, ce qui provoqua de nouvelles scissions en son sein. Il ne faisait plus bon être un Machete.
C’est aussi Marcelo qui avait annoncé à Vidal que ses comptes avaient été vidés. La réaction d’El Niño avait donné des signes évidents de la fin imminente de gang. Vidal avait perdu son sang froid, jusqu’à complètement perdre la raison et bouter le feu à une ancienne raffinerie de pétrole. Garilla avait alors pensé que Vidal avait péri dans l’incendie.
Mais d’autres témoignages, dont celui de Manolo Cervantes, apprirent aux agents que Vidal avait plusieurs points de chute en cas de coup dur, et qu’il avait survécu. Heureusement, Garilla était resté en contact avec les derniers fidèles de Vidal, et il put retrouver sa trace. Après sa chute dans les flammes, la rage qui l'animait lui avait donné la force de se déplacer hors de danger. Il avait réussi à fuir et avait été recueilli par les sicarios restés à son service. Ils l’avaient caché dans une petite maison de Boyle Heights, et un médecin, ami de sa famille, l’avait soigné. Toute sa prestance et sa beauté avaient disparu, dévorées par le feu, ne laissant de lui qu’un monstre défiguré et assoiffé de vengeance. Son apparence reflétait maintenant la noirceur de son âme. Il fallut plusieurs mois avant qu’il puisse seulement se lever de son lit. Et pendant tout ce temps, Marcelo avait gardé un œil sur lui, patiemment, simulant une fidélité à toute épreuve envers Alejandro Vidal, mais diffusant des informations précieuses à l’Agence. Vidal ne pouvait pas encore être arrêté. Il fallait encore prouver ses contacts avec Whitechurch.
Il avait été assez vite mis en évidence que Vidal voudrait se venger de Jake Turner, qui avait détourné son argent. Argent qui, évidemment, avait été récupéré par l’Agence. Turner avait collaboré, mais il avait risqué des problèmes. D’autant que, même si le FBI savait pertinemment qu’il n’avait pas agi seul, Turner n’avait pas lâché le morceau. Pas moyen d’obtenir le nom de celui ou celle qui l’avait aidé. Vince Morgan avait aussi été inquiété, car il avait aidé Jake dans son enquête pour retrouver sa sœur, n’hésitant pas à s’éloigner très largement des limites que lui imposaient la loi. Si le Chef Williams et l’inspecteur Ari Johnson n’étaient intervenus, argumentant le fait que Turner et Morgan avaient joué un rôle important dans la chute de l’empire Vidal, ils auraient écopé d’une condamnation. Un accord fut alors conclu. Si l’Agence mettait la main sur Vidal, aucune charge ne serait retenue contre eux, à condition qu’ils restent à l’écart de cette affaire. Dans le cas contraire, ils seraient arrêtés sur le champ.
L’idée qui provoqua la chute fatale d’Alejandro Vidal, et par extension de Al Whitechurch, vint de l’inspecteur Johnson. Elle savait que Vidal les haïssait, elle et Turner. Elle se doutait aussi que Whitechurch l’aiderait à les faire taire définitivement. Si on pouvait prouver que Whitechurch utiliserait ses passes-droits pour aider Vidal à les atteindre, c’était bingo. Deux pour le prix d’un.
Il était maintenant connu que Ari et Jake étaient ensemble. Peut-être qu’un mariage en grande pompe, annoncé dans la presse, attirerait leur attention. Une cérémonie seulement accessible par les forces de police. L’Agence veillerait aussi à ce que Whitechurch ait vent de la nouvelle.
Tout s'était déroulé comme prévu. Garilla avait intercepté un appel de Whitechurch à Vidal. Il lui avait parlé du mariage. Whitechurch lui ferait parvenir un laisser-passer, un document accessible aux forces de police, auquel il avait toujours accès. Garilla détenait un enregistrement de l’appel, et une copie du mail contenant ledit document.
Comme prévu, Vidal s’était présenté à la cérémonie et avait été arrêté avec le document en sa possession. Au même moment, deux agents se présentaient au domicile de Whitechurch pour l’arrêter.
***
Le soleil se couchait doucement sur Venice Beach, répandant sa chaude lumière sur les vagues de l’océan. Des mouettes riaient bruyamment au loin et une brise légère, agréable, rafraîchissait l’air après cette journée qui avait été chaude. Le ciel, d’un orange vif, se perdait dans un dégradé filant vers le bleu de Prusse, parsemé d’étoiles. Ari et Jake profitaient de l’ambiance paisible, ensemble, assis sur un banc. Jake avait passé son bras autour des épaules de Ari. Vidal et Whitechurch étaient en prison. Le couple pouvait enfin se retrouver sans craindre un nouveau rebondissement.
- Ta soeur est bien arrivée à Londres ? demanda Ari.
- Ouais, répondit Jake. Elle avait hâte de reprendre le boulot. J’espère que ça va aller.
Johnson posa sa tête sur l’épaule de son homme.
- Liv est bien plus forte que tu le crois. Elle s’en sortira, crois-moi.
Ils se turent un instant, laissant le murmure des vagues apaiser leurs âmes. Puis, Ari se releva, l’air content.
- Tiens, j’ai oublié de te dire… J’ai eu des nouvelles de Pedro.
- Pedro…? Ah, le protégé de Gloria qui s’était fait tirer dessus ?
- Oui. Il est sorti de l’hôpital. Il est venu me trouver pour me dire qu’il ne m’en voulait plus. Il a compris que je n’étais pas responsable de ce qui est arrivé à son frère. Il a appris toute la vérité.
- Et comment prend-il le fait que Victor était un tueur en série ?
- Et bien… il est secoué, évidemment. Il lui faudra du temps pour s’en remettre. Mais… je l’ai senti… plutôt confiant. Il m’a dit que maintenant, son frère était en paix. Il était accompagné d’une très jolie fille. Elle est infirmière. C’est elle qui s’en est occupée quand il était dans le coma. Je crois… Je crois que tout ira bien pour lui.
Jake la regarda, un léger sourire en coin.
- Ça a l’air de te soulager.
- Il a beaucoup souffert. C’est un garçon honnête et gentil. Il s’est retrouvé au milieu de tout ça malgré lui.
L’homme posa un baiser sur le front de Ari.
- Tu es une bonne personne, Aretha Johnson.
- Pitié, arrête de m’appeler comme ça…
Le portable de Jake se mit à sonner. Il le regarda, émit un grognement et ne décrocha pas.
- C’est qui ? demanda Ari.
- Bah, c’est Vince. Il m’a proposé de m’associer avec lui. Il veut ouvrir une agence de détective privé et il pense que je suis taillé pour le métier.
- Mais c’est génial ! Pourquoi tu ne lui réponds pas ?
- Je lui ai dit que je devais y réfléchir… J’ai d’autres projets en tête en ce moment. Mais il me harcèle pour que je lui réponde.
- D’autres projets ? A quoi tu penses ?
Jake regarda Ari avec beaucoup de douceur. Il détailla son visage, ses grands yeux noisettes, ses longs cheveux bouclés…
- Et bien… Cette histoire de mariage factice… j’avoue… que ça m’a donné des idées…
Ari écarquilla les yeux. Elle ne s’attendait pas à ça.
- Est-ce que… Est-ce que tu es en train de… ?
Jake lui adressa un sourire en coin pour toute réponse.
- Ok, continua-t-elle. Un vrai mariage, sérieusement ? Oh, Jake... J’ai des milliards de raisons de te dire non. Mon boulot qui me bouffe presque tout mon temps libre… Mon passé, mes failles, mon sale caractère…
- Je sais tout ça, répondit Jake d’un murmure. Je veux juste passer le reste de ma vie avec toi.
Elle le regarda, les yeux brillants d’émotion.
- … Mais j’ai une bonne raison de te dire oui. C’est que... je suis folle de toi. Je suis folle amoureuse de tout ce que tu es.
Jake resserra doucement son étreinte et leurs lèvres s’unirent, tandis que les mouettes virevoltaient en riant au-dessus de leurs têtes, comme pour célébrer leur amour.
FIN
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