Chapitre Premier
Une obscurité transcendante assombrissait la pinède qu'Ejim arpentait, ahanant. Les quelques rais de lumière jaillissant d'entre les arbres étaient bien trop faibles pour lui être d'un quelconque secours. Le malheureux était grièvement blessé, revenait d'entre les morts. Ce qu'il avait vu sur le mont Atyshia, il voulait l'oublier. L'enfer. Il avait perdu des proches. Les scènes se rejouaient continûment dans sa tête, s'affairant à perpétuellement lui cantonner la ritournelle de la fatalité. On aurait dit que l'avanie s'était gravée sur ses paupières, il ne parvenait à s'en défaire, revivait au centuple le massacre. Il ne savait même pas s'il parviendrait à sortir vivant du bosquet tant il perdait de sang. Chaque perle d'hémoglobine qui l'abandonnait l'évidait un peu plus de son énergie. Il lui fallait impérativement prévenir l'Enchanteresse du grave danger qu'encourrait le royaume. La menace était imminente.
Par la grâce de Dieu, le palais se profilait enfin au loin, filtrait entre les arbres. Arborant présomptueusement ses cristaux, la forteresse était haut perchée au sommet du monticule dont le versant avait fièrement revêtu ses plus charmantes habitations.
À peine eût-il posé un pied sur le sol de Nerayda que déjà, les asters l'accueillirent, en chantant. Leur adressant un bien difficile sourire, Ejim poursuivit sa route, enhardi, s'efforçant d'atteindre la première chaumière qui se dresserait devant lui. Il se savait dépossédé de ses forces et incapable de gravir l'imposante colline.
Sa course effrénée prit fin lorsqu'il arriva une demeure en bien piètre état. Il frappa à la porte et alors, un vieillard vint lui ouvrir. Puis le jouvenceau s'évanouit.
C'est enveloppé par moult denses bandages que le jeune guerrier sortit de sa longue léthargie. Il avait mal, souffrait. Le ciel défilait au dessus de lui, les nuages se succédaient les uns aux autres. Les contemplant, Ejim mit du temps à réaliserqu'il se faisait enfait transporter en charette vers un lieu inconnu.
«Où donc m'amenez vous ?, questionna-t-il, non sans difficulté. Sa mâchoire était engourdie et sa salive était au sang.
-Chez l'enchanteresse, pardi !, répondit le doyen. Allons, reposez vous monseigneur, vous êtes souffrant, je le vois bien. N'aggravez pas votre cas.»
À ces mots, les deux hommes se turent ainsi jusqu'à leur survenue au palais magique.
Le château était gigantesque, d'une taille certainement même démesurée. De fait, ses tours semblaient fôlatrer avec les nuages, les chatouillant de toutes leurs cimes. Les façades formaient une iridescence hirsute de pierres précieuses, toutes plus scintillantes les unes que les autres.
En reconnaissant le faciès du soldat vétéran de la magicienne , les deux grands huis de topaze rose s'ouvrirent. «Soyez les bienvenus, Ejim et Willibert.», dit l'une d'entre elles.
«Merci bien !», les remercia Willibert de sa voix abîmée en pénétrant la demeure.
Le palais était somptueux et spacieux. Le péristyle dressait une immense étendue bigarrée de variés cristaux. Un palefrenier prit la première sortie en direction des écuries pour y atteler le bardot du vieil homme, laissant un majordome en redingote bleue amener les deux hommes dans la salle du trône.
«J'ai mandé mon adjoint qu'il avertisse la reine de votre venue. Les plaies sont alarmantes.», ne put-il s'empêcher de constater tristement en voyant les érubescences s'approfondir sur les pansements de l'homme meurtri.
«Mille mercis !, entama Willibert. Vous savez, je l'ai d'abord pensé mourant lorsqu'il s'est effondré sur le pallier de ma porte, j'ai alors entrepris de lui insuffler mon souffle par voie buccale. Mais, en m'approchant de lui, j'ai senti son pouls et me suis alors empressé de l'emmener chez moi au chaud, pour le bander et l'apporter à Sa majesté afin qu'elle le soigne.
-Quelle horreur, nom de Dieu ! Je l'ai échappée belle !, se plaignit l'invalide, accablé par la houleuse confession bien que soulagé.
-Vous êtes agonisant mon brave ! Cessez donc d'ergoter sur des vétilles et veuillez patienter dans le silence », le pria le vieil homme.
Ejim poussa un dernier soupir de désespoir puis se tut. Le petit groupe s'avança, foulant un sol de milles merveilleuses couleurs, transportés par la mélopée de milles oiseaux hétéroclites. Ejim quant à lui, était toujours alité dans la charrette poussée par l'homme de maison.
«J'avais oublié ô combien le castel de la reine était splendide» pensa Willibert, émerveillé. En effet, peu de gens avaient eu la chance de pénétrer le noble édifice depuis que l'Enchanteresse était entrée dans une terrible dépression dont nul n'était parvenue à l'expugner. Il fut pourtant un temps où le royaume était uni, les portes régulièrement ouvertes pour y réceptionner la plèbe. Hélas ! La reine avait fini par perdre l'amour qu'elle éprouvait jadis pour la vie. Bien que les portes n'en faisaient souvent qu'à leur tête, elle n'acceptait dès lors d'accueillir les cas de première urgence uniquement, laissant le bourg tomber en ruine au fil des années. La dernière fois que Willibert avait piétiné ce sol de joyaux polis, il n'avait que trente ans. Ce jour là, la reine lui avait décerné la légion d'honneur à lui et deux de ses amis pour avoir mis un terme à la terreur des auvais esprits qui hantaient les forêts de la contrée. Depuis, trente autres années s'étaient écoulées, et la reine s'était peu à peu laissée choir dans les langueurs de la mélancolie. Personne ne connaissait la cause de son chagrin, l'Enchanteresse parlait peu. Mais sans elle, le royaume était désoeuvré. À chaque nouveau soleil, le monde priait le ciel pour que les temps se bonifient. Sans grand succès.
Finalement, ils arrivèrent devant la porte d'entrée. Le majordome susurra quelques mots aux deux portes d'améthyste sculptées qui s'ouvrirent promptement. Alors, les hommes entrèrent dans la pièce. Aucune dame à l'horizon. L'homme en redingote bleue tenta de l'appeler pour faire remarquer sa présence. Personne ne lui rendit réponse. Où donc était passée l'Enchanteresse ? Le majordome esquissa quelques pas en direction du trône, sondant de ses yeux le décor de fond en comble, mais ne l'aperçut point. Il semblait que quelque chose ayant échappé à sa vigilance s'était produit, et il désirait savoir ce que c'était. Pour ce faire, il s'en alla interroger les deux immenses portes arquées.
«Où donc se trouve Sa majesté ?, s'enquit-il.
-Elle sommeille.
-Nom de Dieu..., s'inquiéta l'homme de maison. En quel lieu le fait-elle ?»
Mais les portes ne répondirent plus. Il réitéra quelques nouvelles fois sa question, en vain. Les portes s'étaient tues. Un frisson d'angoisse s'empara du jeune homme. Étant à la tête d'un vaste royaume, l'Enchanteresse ne dormait jamais, elle occupait toujours son trône. Si on ne l'avait pas trouvée à sa place habituelle, c'était qu'un chose inusuelle s'était produite.
À l'adresse de ses deux visiteurs, Edwin le majordome déclara :
«Quelque chose d'inhabituel a eu lieu dans la matinée. Je ne saurais vous dire ce que ce fut. Il semblerait que la reine s'en soit allée et je vais tenter de trouver une raison à cela. Si le cœur vous en dit, accompagnez mes fouilles. Sinon, vous pouvez rester ici.
-J'ai du cœur à aider la reine, répondit franchement Willibert. Toutefois, si quelque monstre rôde dans les parages, il pris une inspiration puis continua : je préfère encore garder un œil sur le jeune homme que voici. Il a sûrement un message à nous transmettre, il nous faut le rétablir au plus vite .»
Touché par la détermination du vieil homme, Edwin partit en direction du premier lieu qui lui vint en tête : la chambre de l'Enchanteresse. Cependant, à peine eût-il entamé sa course que son collègue vint à lui, la respiration saccadée et les yeux élargis de stupéfaction.
«Qu'y a t-il ?, interrogea le majordome, hagard.
-Edwin !, essaya son homologue, toujours ahanant. Il repris son souffle et poursuivit : la reine est ...eh bien elle est...partie rejoindre le firmament.
Edwin étouffa un cri d'horreur. Il n'y avait plus de place au doute à présent.
-Bonté divine ! Que va t-on devenir ? Comment cela se peut-il ? Je la croyais immortelle du haut de ses cinq cent ans !, s'écria-t-il, nerveux.
-Vous n'allez justement pas en croire vos yeux ! Une femme repose dans le lit de la reine au moment même où je vous parle.
-Une femme autre que la reine est installée dans son lit ? Mais comment donc êtes vous certain de son décès, Erik ?
-Des fées m'attendaient dans la salle, elles m'ont tout expliqué. Cette femme, c'est Sa majesté elle même qui l'a élue alors qu'elle se promenait dans l'autre monde. Cette histoire est saugrenue ! Elle vous sera mieux contée si vous daignez me suivre dans la chambre !
Alors Edwin suivit son ami jusqu'à la chambre de la défunte reine. Une femme à la chevelure de miel était effectivement endormie dans le lit de feue Sa majesté l'Enchanteresse. Une assemblée de fées s' était postée autour de la nouvelle recrue. Elles étaient de toutes les tailles, certaines étaient affublées d'ailes de libellule pendant que d'autres arboraient de sublimes ailes de papillon. Mais toutes s'étaient parées de leur plus somptueuses robes pour l'occasion. Sachant ce qui avait poussé le majordome à venir à elles, Heiana, la cheffe des fées se lança :
«Eh bien tout d'abord, bien le bonjour ! J'ai ouï dire que feue la reine ne vous en avait oncques fait part, mais la longévité de l'Enchanteresse ne peut excéder le demi-siècle. Ainsi, tous les cinq-cent ans, une nouvelle Reine doit être élue par sa prédécesserice elle-même, laquelle gît sur la couche que voici. ». Puis, d'un geste leste, elle désigna de ses deux mains l'attitrée.
«Mais jamais auparavant je ne l'ai vue, cette dame. Qui est-elle ? Et pourquoi elle ?, s'enquit-il, excedé.
-Eh bien, il semblerait qu'elle provienne de l'autre monde. Nous ne saurons vous expliquer une telle attribution mais nous devons lui faire confiance.
-Dans quelle bourbe l'Enchanteresse nous a-t-elle empêtrés, s'affola Edwin. Une femme de l'Autre monde ! Il fallait la trouver celle là ! Et sans même un message de sa part ! Elle comptait nous laisser nous démêler seuls. Nom de Dieu...
Et alors qu'il usait de mots discourtois que l'on a préféré faire dans ce récit, la jeune femme à la peau neigeuse ouvrit les yeux, reprenant peu à peu ses esprits.
«Où suis-je ? »
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