Partie de pêche - 2
Un chœur d'estomacs gargouillants voguait languissamment ; brisait l'immobilité d'un décor jaune, bleu, jaune et re-bleu. Les panses affaiblies poussaient des râles et tanguaient, maladroites et mal à gauche.
Soudain, l'azur dévora le sable.
Les aventuriers du fleuve béèrent ; avides, peut-être, du reflet de ciel étendu de part en part. Ce lac sans bord ni fin, comment était-il arrivé là ?
— C'est quoi, cette merde ?!
— La région a dû se taper le Fléau des Riao et la Faveur d'Aigir en même temps.
— Mais la pluie qu'il faut pour un lac de ç'te taille !
— Dans ce coin tout sec, en plus !
— Il pleut rien depuis des jours ! D'où qu'il sort ce machin ?
Sidérés, ils ne remarquèrent pas sitôt l'effluve du gibier. Shan donna du coude, nez tendu vers une maigre figure. Ario rassembla ses dernières forces et bondit sur le Yu médusé.
— Attenda, attenda, attenda ! J'a à mangea !
Le chacal se dégagea de la proie bloquée sous son bras pour concerter du regard ses compagnons d'expédition. Shei haussa les épaules.
— Bah, qu'ils nous file à bouffer, et on réfléchira après.
— J'a beaucoup vraiment à mangea ! Un peu ici, très beaucoup da chez moi ! Vous n'en besoigna pas me mangea, hm ?
— Ouais, ouais, on verra. Montre la bouffetaille.
Précédés de leur hôte contre son gré, ils longèrent le singulier lac salé aux remous vaporeux et au chant tempétueux. Il les menait, qui sait, vers ses alliés ? Mais qu'importent leur nombre : des Yu, les Dai se défont sans effort ni façon.
— Pourquoi t'parles un yu bizarre ?
— Hm ?
Shei haussa la voix.
— TU PARLES BIZARRE. POURQUOI ?
— Je... Ah ? Vous parla bizarrant, hm !
— Bah oui, on est pas Yu.
— Laisse, tous les Yu de loin sont comme ça. Y'en a pas un pour causer bien.
Cuki tira la manche du captif et pointa le lac.
— Dis, c'est quoi, ce machin ?
— Ah, ici ça la mer célesse, qu'elle a dû tomba.
Cuki battit des cils.
— C'est quoi, « mersellesse » ?
Le Yu ouvrit de grands yeux – pas assez grand pour surveiller où il marchait, car il trébucha dans la foulée.
— Vous ava remarqua el ciel a bleu, hm ?
Shei grogna, griffes sorties.
— Il nous prend pour des cons ? J'vais sérieusement lui abréger la vie, à lui.
Le Yu sursauta, se blessant au passage sur les serres d'Ario.
— Calme, Shei. Je crois qu'il est juste un peu stupide ou sonné.
— Parle, Yu.
— Eeh... J'a un peu occupa à saigna.
— T't'es griffé au bras, pas à la langue. Dis-nous : c'est quoi ce machin ?
Le maigre Yu soupira. Le déroulement de sa journée avait drôlement changé.
— El ciel a bleu parasse qu'il maintia la mer célesse. Da fois, elle tomba pour pleuva.
Shan plissa les yeux.
— T'as vu un lac dans le ciel toi, Ario ?
— J'crois pas. Sauf p'tet une fois, mais j'étais bourré.
— Si ! s'excita le Yu. D'où qu'a vienna la mer-là si pas dal ciel sinon, hm ?
Cuki s'approcha de la rive pour une rapide inspection.
— Hmm... C'est salé, ce truc.
— Et ça bouge, et ça respire.
— Une grosse bestiole ?
— Quand même pas.
— Ça la mer qu'a plu ici, je disa !
— Mais quand il pleut, c'est pas salé.
— Parasse qu'el ciel a pur, il a pas sala. La mer, elle, elle tomba suel sol impur.
Ario soupira.
— Les Yu, j'vous jure... Ils me fatiguent à toujours sortir des conneries.
— Si ! Ça vra ! Les habitannites dal Œil da Feu, ils ça voya bien, ils !
Les quatre Dai penchèrent la tête de concert, le crâne chauffé par les propos alambiqués et par l'astre du jour, qui... Ah, l'Œil de Feu, donc.
Ario inspira profondément. Shei tira sur ses cernes. Shan secoua la tête et Cuki la baissa.
Arrivés dans l'antre du Yu – une frêle bicoque de roche et de bois flotté –, ils eurent tôt fait d'oublier leur misère en engouffrant la chair grillée des créatures du grand lac salé. La soupe de salade spongieuse goulûment engloutie, Cuki décida que ce Yu-ci méritait de garder la vie.
L'homme en question pâlit face à ses réserves anéanties, mais s'écrasa au sol pour louer la clémence des Monstres sortis des contes de son enfance.
Ario ne l'écoutait déjà plus et le força sur ses jambes.
— Qu'est-ce qu'on fait, alors ? On regarde jusqu'où va le lac ?
Les Riaon se raidirent, pelage ébouriffé.
— Euh... Ça... ça a l'air d'être la même chose pendant un bail, non ? On voulait voir le bout de la Rivière : le voilà ! C'est un lac sans bords ! Mission accomplie, on peut rentrer. N'est-ce pas...?
— Ça m'intrigue, quand même ! Ça m'intrigue !
— Shan, tu te souviens du gros poisson ?
— Oui, oui ?
— Il grandirait comment ici, d'après toi ?
— Grand comme beaucoup beaucoup de repas !
Le Yu sursauta et retomba au sol quand Shei frappa du poing.
— Tête de Rok ! C'est pas la question !
— C'est quoi la question ?
— Comment on se défend depuis notre petite planche ?
— En parlant de ça, j'ai encore de la place pour graver des aventures, donc on doit continuer !
— Oublie, tu dessineras le trajet du retour.
— Non, je réserve l'autre côté, pour ça.
Cuki laissa échapper un gémissement bruyant. Ario lui tapota l'épaule avec un rire espiègle.
— Nous, on avance, mais libre à toi de faire demi-tour.
— Avec quoi...?
— Hmm... Tes pieds ? T'avais pas l'air de trop aimer l'eau de toute façon.
— L'EAU NOUS DÉRANGE PAS, intervint Shei. Et marcher prendra des plombes.
— Flotter aussi, hein ! L'eau, elle coule que dans un sens. C'est comme ça, l'eau !
Cuki leva un regard suppliant vers Ario.
— Tu... T'espérais qu'on trouve un moyen quand on arriverait au bout...
— Oui, mais il nous reste à trouver le bout du bout.
L'once s'effondra, liquéfié, pour ne pas dire flaqueux.
— On dirait un très très long cauchemar...
*
— C'est nul.
— Tu peux développer ?
— C'est de la merde.
Ario étouffa un petit rire.
— Tss, tss, tss. Que dirait ta mère ?
— Elle dirait « Chuis canée, venez pas m'emmerder. »
— Oh ? Mais je l'ai vue y'a pas trois cycles.
— Ouais, ben c'était y'a trois cycles. C'est périmé.
— Bon, bon ! Les zigotos ! Vous serrez au lieu de vous chamailler ?
Au pilier de la cahute yu – seule structure à la ronde –, les aventuriers nouèrent une corde de tiges, de cheveux, de poils, de cuir, d'algues et de kælm. Tout ce qui traînait à portée.
Grommelants, renâclants, les Riaon prirent place dans le canot du désastre. Nulle inquiétude, d'après les Rokiann : arrimés en sécurité, ils testeraient les eaux.
— Mais... on a même pas besoin de tous monter...
— Oui, ben si on décide de partir sans vous, vous aurez l'air malins.
— On a déjà l'air...
Cuki soupira, et suivit ces détraqués sur le chemin des gifles salées.
— Vous voyez ? Ça secoue pas trop, le canot tient le coup. On est bien !
Ario chantonnait. Mais la lionne grondait.
— Le courant nous a quand même poussés loin.
Conciliant, le chacal tira sur la corde pour rejoindre la plage.
Le cri du Yu leur parvint depuis sa cabane effondré. Ario pesta. Cuki se recroquevilla. Shan serra les dents. Shei rama.
Mais rien n'y fit : le frêle pilier avait rejoint les flots et l'embarcation s'éloignait vers l'horizon. Les quatre cœurs à bord se sentaient déjà sombrer vers les abysses.
*
— QUEL COUILLON ! ON VA DEVOIR NAGER MAINTENANT !
— Mais… Mais qu'est-ce que je fous dans un étang sans bord au bout du monde ? J'étais juste parti cueillir des baies à la base, moi...
L'once épouvanté ne cherchait plus à empêcher ses lèvres de trembler. Shan elle-même avait perdu de sa gaieté.
— Kararaya savait. Il savait que c'était méga-dangereux, c'est pour ça qu'il est pas monté ! Il s'est pas sacrifié du tout en fait, il nous a envoyé vers la ruine ! La ruiiiine ! Sur le canot de la RUINE !
Ario lui asséna une calotte.
— Calme-toi, Shan ! S'il savait, il nous aurait arrêtés.
Cuki sanglota. Shan l'imita.
— C'est pi-hire que la fois où je me suis pissé dessus devant Roya-ha-haaaan !
Un clapotis. La lycaon planta ses griffes dans le dos de la créature dentée. Ario l'observa, et elle s'essuya les yeux.
— Quoi ? Je peux chialer et surveiller.
— Vous allez la fermer ? Plongez pousser la coque si vous avez l'énergie de gueuler.
Shan ne se fit pas plus prier et rejoignit la houle. Ario, une main sur le bord, se tourna vers Cuki et le scruta. L'once croisa son regard puis s'en détourna. Il aurait peut-être siffloté, si ses lèvres eussent été moins gercées.
— Cuk, le Rokian veut que tu les aides à pousser.
Il se terra dans son mutisme.
— Cuk.
— Y'a des Dai qui vivent dans l'eau ! cria Ario en le secouant.
— Je vois pas le rap...
— On est Dai !
— Pas ce genre-là !
— On a pas peur de l'eau !
— V-vrai !
— Et y'a de la bouffe tout autour !
— J'aime manger ! intervint Shan d'un ton enjoué.
Ario s'accrocha à Cuki pour se tenir debout sur le canot, et pointa le rien.
— Sus à l'ennemi !
— Quel ennemi...? Le grand lac ?
— MONTRONS-LUI QUI QU’EST CHAMPION !
— C'est nous les champions ! beugla Shan en frappant l'eau et presque sans boire la tasse.
Shei laissa échapper un soupir étiolé.
— Pires que les Yu, je vous jure.
Shan battait des jambes furieusement. Shei pagayait, sans grand succès.
— Je crois que c'est la fin, Cuk. Tu me manqueras. Un peu.
L'once se jeta sur elle pour l'enlacer.
— Fᵃᶦˢ ᵠᵘᵉˡᵠᵘᵉ ᶜʰᵒˢᵉ ꜝ chuchota-t-il. Cᵉˢ ᵗᵃʳéˢ ᵛᵒⁿᵗ ⁿᵒᵘˢ ᵗᵘᵉʳ ꜝ
La lionne inspira, l'air décidé.
— Ario, t'as un plan ?
Le chacal, d'un mouvement lent et calculé, rencontra son regard, un sourire insolent au coin des lèvres.
— Qu'est-ce qu'un plan ?
Shei lui frappa l'oreille. Shan gloussa entre deux submersions.
— Le plan c'est moiii ! Regardez comme on avance vite vite vite !
— C'est pas parce qu'on a encore la tête hors de la merde qu'il faut crier victoire : c'est comme ça qu'on boit la tasse.
Shan tenta de riposter, mais s'étrangla sur l'eau heureusement pauvre en selles.
— Ça sert à rien, intervint Cuki. La côte continue de s'éloigner.
— La connasse !
Ario se grattait le menton, plongé dans ses réflexions.
— Hmm... Je pense qu'on s'y prend mal. C'est pas une histoire de force.
— En attendant, tu laisses Shan faire tout le boulot.
— Oh, t'inquiète pas ! Je nage pour deux, tu sais !
— En attendant, le canot dérive.
Cuki poussa le chacal à l'eau, puis s'assit au bord de l'embarcation pagayer avec ses pieds, raide comme un tronc.
— J'ai la solution ! s'écria Ario après avoir longuement craché. Ça sert à rien de taper. Il faut faire preuve, comme qui dirait, non de réflexes, mais de réflexion. Point d'aventures sans invention ; point d’assistance sans astuce.
— Je vais le cogner, lui.
Ario aurait croisé les bras s'il n'en avait eu besoin pour flotter. Shei secouait la tête, hautaine ou déçue.
— Alors ? C'est quoi ta grande idée ?
— Pourquoi on se fatigue à lutter contre le courant alors qu'Essea est ronde ?
Il se tapotait un index sur la tempe. Shei ferma les yeux, se pinça l'arête du nez, et laissa s'envoler un long soupir éreinté.
— Elle est aussi méga grande. Et tu fais quoi si une montagne nous barre la route ?
— Dans l'eau ?
— Après l'eau, crétin.
— Bah... On la traverse.
— Avec ce lourdingue rondin ?
— C'est toi qu'es lourdingue !
La lionne lui jeta un regard incendiaire ; il se recroquevilla, puis but la tasse.
— Non, mais Ario a raison raison !
— Arf, pas toi aussi...
— On continue ! On continue ! Vers le levant !
— Mais... Tous les Rokiann sont tarés, ou c'est juste vous deux ?
Shan fixa ses ocelles grises sur l'once timoré.
— Cuki, Cuki...
— Oui.
— On sera tous, tous ! bientôt morts de toute façon.
Cuki s'étrangla ; noyé par l'air, lui, le jeune Riao impropre à la survie.
— Mais Cuki, c'est positif ! C'est bien !
— Ah bon ?!
— Ben oui ! Mais oui ! T'inquiète pas, quoi. Ça change rien, rien, rien au bout du compte ! On a tous la même destination !
L'once se glissa une paume désemparée sur le visage. Il se tourna vers Shei en quête de raison, de consolation. Elle haussa les épaules.
Cuki gémit. Un cri crève-cœur. Un long geignement par lequel, sans doute, une part de son âme s'échappait. Ah, ce qu'il aurait aimé la suivre.
*
Pour l'heure, nos explorateurs dérivaient au gré du ressac, et le vent d'un calme étonnant rassemblait son souffle ; il tempêta alors, lança ses rafales, balança ses bourrasques, chargea l'embarcation à grands coups.
Cahotés, ballottés, chambardés, le frêle équipage flottait péniblement, crachait plus qu'il ne respirait, mais s'accrochait résolument.
Et ce jusqu'à ce que leurs muscles lors flasques lâchent ; jusqu'à ce que leurs bras épuisés caressent l'idée de lâcher le dernier vestige des terres qu'ils n'auraient jamais dû quitter.
Quand enfin les cieux et les flots se furent calmés, après une nuit longue et agitée, Ario toussa de l'eau et des algues :
— Ça pourrait être pire, kof kof, on s'est pas encore fait bouffer, kof kof.
C’est cet instant précis que choisirent des dents curieuses pour inspecter ses orteils. Il poussa un cri ;
— AAAAH !
qui fit sursauter l’once et la lionne :
— Fais pas le con, Ario ! J’ai failli tomber !
Ario secoua la cheville fissa, griffes à l’air, espérant dégager ou la barque ou son adversaire. Quand son pagaiement fut gêné, il sortit un pied de l’eau salée, ainsi qu’un petit poisson empalé.
— Ça devient une habitude ! se moqua Shei. On croirait que notre seule technique de chasse c’est l’appât.
Ario jeta le maigre déjeuner dans le canoë, puis se pencha par-dessus bord inspecter les profondeurs : une bête d’au moins la taille du tronc y nageait en rond. Il se rassit, poils hérissés, et prétendit la situation sous contrôle.
Ses amis peu rassurés et fatigués, trempés par les embruns sans fin, frigorifiés par les gifles des vents, n’en crurent pas un mot.
— Et… et si on rentrait...?
L’once avait les oreilles basses. Son pelage commençait à boucler. Shan attira son attention d’une claque derrière la tête :
— Regarde, regarde, regarde ! On voit le bord ! On voit le bord !
Shei dressa les oreilles.
— C’est le mauvais bord.
— Regarde ce pauvre Cuki : il est tout vert tout vert ! N’importe quel bord fera l’affaire, hein ?
Cuki entama un acquiescement très lent. Shan pointa un doigt chavirant vers la rive :
— Voilà, voilà ! Il est d’accord, alors c’est là-bas qu’on va !
Shei tapa du pied ; une mauvaise idée qui fit tanguer la barque et verdit Cuki davantage. Elle se dressa, toujours titubante, tâchant de se redonner de la contenance :
— Mais c’est le mauvais côté.
Ses cheveux battus pas les rafales lui donnaient l’air fier, hormis qu’elles l’empêchaient d’ouvrir les paupières.
— Pas de mauvais côté quand on peut faire le tour du monde, fanfaronna Ario.
— … Vous voulez vraiment pas lâcher ç’t’affaire ?
Shan leva le poing au ciel, manquant de peu la mâchoire de Cuki.
— Oh oui ! Le tour du monde ! Le tour du monde !
— Vous savez que ce serait v’là long ?
— La grande aventuuure !
— Il est comment, votre sens de l’orientation ?
Shan et Ario pointèrent deux directions :
— Là-bas, c’est la maison !
Et acquiescèrent à l’unisson. Shei empoigna leurs doigts pour les orienter vers la vraie destination, puis posa le sien vers l’astre coupé par l’horizon.
— Suffit de se référer à Salai, ç’quand même pas compliqué. Faudra faire travailler les petons. Vous voulez toujours vous traîner le canot dans l’expédition ?
Hochements de tête fripons. Shei désespérait de leur faire entendre raison.
— Bah oui ! On l’a quand même pas décorée pour les poissons.
La lionne se pinça l’arête du nez.
— Je suis crevée, alors imaginez que je vous griffe.
Elle s’assit avec un soupir et un POUF découragé, juste assez violent pour inviter une vague à l’embrasser. Elle réprima mal un frisson de dégoût.
— Vous… bleuarg, fit-elle en essorant sa crinière détrempée, vous vous rendez compte qui faudra passer par les monts ?
— Oui, oui ! C’est là qu’est l’autre bout de la maisooon !
Leurs sourires provoquèrent un haut-le-cœur chez Cuki, lequel eut enfin l’idée de ramer.
— En bateau, c’est pas facile… poursuivit Shei qui l’imita.
— La montée… non ! La descente… ça se tente !
— Et puis, intervint Shan, au pire du pire du pire on passera entre les monts, hein ? Entre les monts !
— De toute façon, tout ça c’est un problème pour LE LOINTAIN AVENIIIIIR !
Shei et Cuki croisèrent leurs regards au sourcil arqué.
— Eh... pas trop loin, quand même… Je… J’aimerais pas passer l’essentiel de ma vie hors du clan. En plus, ils vont s’inquiéter… sûrement.
— Et ils seront SI HEUREUX de nous revoir dans dix ans !
Quand Cuki s’étrangla, sa rame manqua de peu d’assommer Ario. Le chacal n’en perçut rien, le sourire étiré d’une oreille à l’autre.
— À L’AVENTUUUUUURE !
Poings brimbalants levés vers les cieux, les Rokiann se souvinrent, quelques instants plus tard, que leurs projets s’accéléreraient s’ils aidaient à pagayer. Seule la morosité des Riaon rivalisait avec leur enthousiasme. L’écume ensablée approchante, Ario fit mine de s’essuyer une larmiche :
— Aaaah ! Pourvu qu’elle s’arrête jamais, cette belle balade autour du monde.
La rame de Cuki le cogna. Exprès, cette fois. Le chacal se retourna, posant les yeux de ci de là, prétendant chercher une maigre brise qu’il sentait l’avoir frôlé. Tout de même, il ne put ignorer les broussailles froncées d’un Cuki tremblotant, dont les frisettes triplaient le volume.
— T’inquiète, Cuki ! On survivra ᵖʳᵒᵇᵃᵇˡᵉᵐᵉⁿᵗ !
Le pauvre once ne put même pas croiser les doigts : il avait trop froid pour ça.
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