Elle avait les yeux gris
Des rails.
Voilà ce à quoi je pensais.
La vie était comme un chemin de fer, serpentant de vallées en vallées, gravissant des montagnes et surplombant les rivières. Un train représentait notre existance, et, les passagers étaient les personnes que nous rencontrions au cours du trajet. Les arrêts étaient fréquents.
La perte était toujours douloureuse.
Une petite fille qui jouait dans le wagon. Elle riait aux éclats en regardant au dehors, contemplant les prés verdoyants. Ses yeux gris nous transperçaient, plein de vie, de rêves et de volonté.
Je rouvris les yeux. Le cerceuil était posé devant l'autel. La chapelle, silencieuse, se receuilliait. Une larme roula sur ma joue.
Elle ne rouvrira jamais ses yeux. Ces yeux gris qui vous glaçaient le sang, ces yeux gris qui vous réchauffaient le coeur, ces yeux gris qui vous donnaient de l'espoir. Ils seront scellés pour l'éternité.
Cette petite fille s'était battue pour vivre. Pour vaincre ce mal qui la rongeait. Cette maladie qui la tuait. Son sourire était toujours aussi éclatant, et ses prunelles, bien que fatiguées de cette lutte incessante, semblaient dire : " Nous n'abandonnerons jamais ".
Mais elle avait abandonné.
Elle voulait se reposer. Je ne pouvais lui en tenir rigueur. Mais la douleur que je ressentais, cette douleur d'avoir tant esperé pour elle, d'avoir tant prié, d'avoir tant voulu la voir grandir et vivre, cette douleur, elle, me transperçait de toutes parts. J'avais le coeur ensanglanté.
L'absence, et savoir qu'elle ne rentrera jamais à la maison, savoir qu'elle ne nous laissera plus jamais entendre son rire cristallin, qu'on ne se noiera plus jamais dans l'étendue brumeuse de ses iris, était une affliction mentale des plus abominables.
La vie était un train qui fusait à toute vitesse sur les rails.
Qu'aurais-t-elle fait, si son arrêt avait été plus lointain. Aurait-elle grandi comme je l'espérais ?
Aurait-elle eu ce regard porté sur le monde, cette envie de découvrir et cette curiosité à toute épreuve ?
Aurait-elle continué à se battre pour les causes qu'elle jugeait justes ? Aurait-elle vécu la vie qui lui était destinée ? Aurait-elle aimé la vie avec toujours autant de ferveur ?
Aurait-elle su aimé ? Aurait-elle su s'aimer ?
Que des questions qui resteront sans réponses. Des réponses que je ne pouvais qu'imaginer. Mon coeur, désormais transformé en un océan de larmes, se vidait de toute sa plénitude, de toute joie et de tout espoir, ne laissant qu'une brèche, une plaie béante suintant d'amertume.
La culpabilité me rongeait. Je n'avais rien pu faire. Je n'étais pas coupable, mais pourtant... Je n'avais pu la sauver.
Le vide m'envahissait. Un néant profond, obscur et froid. Les lymbes de mon esprit semblaient sombrer dans la folie. Une rage sourde naquit au creux de mon ventre.
Comment avais-je pu la laisser mourir ? Comment avais-je pu ne pas la soulager ? Comment avais-je pu... Comment avais-je pu la regarder se faner comme une fleur coupée, tout en espérant qu'elle s'en sortirait ?
Et pourtant... Pourtant tout ce que je voulais c'est que nous continuions à rire ensemble. Elle ne pouvait pas me laisser. Elle ne pouvait pas devenir une nouvelle étoile dans l'azur. Si j'avais pu, si j'avais pu prendre toute sa souffrance. Si j'avais pu lui donner mon billet pour le terminus. En aurait-il été autrement ? Aurait-ce été mon corps au fond de ce cerceuil, à sa place ?
Je n'en étais pas sûre.
L'on fit descendre le cerceuil dans la terre humide, avant de sceller sa dernière demeure. Les larmes pleuvaient dans mon âme. La réalité, vile et cruelle plantaient en moi ses griffes acérées, étouffant les battements de mon coeur.
Mais son sourire apparut. La petite fille du train me regarda une dernière fois. Ses pupilles orageuses étaient joyeuses. Elle abandonnait l'existance, mais elle ne s'évanouirait pas dans l'abîme. Elle rayonnerait comme un soleil dans l'ether. Un sourire apparut sur ses petites lèvres. Il me réchauffa de l'intérieur, illuminant tout mon être.
Elle me fit un petit signe de la main et sauta du train en marche. Mon coeur se serra, mais, je chassais les larmes. Elle était partie avec le sourire. Alors je souris à mon tour, me faisant la promesse silencieuse de vivre chaque instant pleinement, en son honneur.
Son arrêt était arrivé bien trop tôt. A jamais je regretterai sa présence. A jamais mon coeur portera ce vide. Pourtant, elle ne remontera pas dans mon wagon. Mon voyage était encore long.
Les rails serpentaient encore dans les vallées, bien des printemps plus tard. Et moi, je regardais mon train se vider de plus en plus au fil des années.
Car au Terminus, nous sommes tous seuls, face à l'inconnu.
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