Le stylo et la plume
En cette fin d’automne, Eole avait dépêché son dernier vent de raison - celui que l’on dit, en bruits de couloir, le plus gracieux - à dessein d’achever, en toute délicatesse, l’effeuillage des arbres.
C’est qu’en haut lieu, dans un atelier à n’en pas découdre, de petites mains attendaient, avec impatience, de venir prendre les dernières mesures à parfaire la garde-robe d’hiver de Dame Nature.
Tout en nuances, de l’anormalement doux au pire glaçant, il fallait prévoir large.
Le clou du défilé de saison serait, évidemment, cette robe de fine dentelle blanche qui se marierait à la froidure et qu'une pélerine, en même ton, viendrait couvrir.
Tous les porte feuilles, hormis les sempervirents, se devaient donc, à l’orée du frimas, d’être mis à nu quitte à en avoir, pour un temps, des allures de squelettes.
Et le Ponant de ne pas retenir son souffle…
Le soleil falot, emporté par le zéphyr, donna du rayon à faire la roue.
De sautillants nuages jouèrent au ciel de la marelle que les loupiots d’hier avaient dessinée, histoire que les adultes d’aujourd’hui aient tout loisir de retomber en enfance.
Ailes en éventail, les moulins à paroles en perdirent, peu à peu, leur latin.
Les lampions oubliés de la Saint-Jean, doucettement bousculés basculés, refirent de la balançoire.
Assise au bord de son nuage en forme de grand huit, la plume, tout juste ébouriffée par ce délicieux charivari, rêvait à l’infini.
Il faut dire qu’elle s’était enivrée du parfum de ces fleurs du mail que son crayon de douceurs préféré avait chargé le messager des temps modernes de poser sur le rivage de ses paupières impatientes.
(E)mouvant porte-mine, il était, comme chaque année à la même date, parti faire le critérium sur quelque piste re-cycable.
Pour sûr, à l’heure où le soir jouerait à la chandelle, la plume coucherait les mots à lui répondre sur papier fripon.
En attendant, caressée par la légèreté de ce qui avait l'air d'une brise, elle soupirait du bout des yeux.
C’est alors que vint à passer un stylo ailé, assurément un de la famille des Pelikan.
Ayant, plus avant, fait le plein dans une station encre, il cherchait plage ouateuse à faire escale le temps de recouvrer son allant.
Le capuchon de travers, un hors-ligne chez son copain le Mont-Blanc l’avait essoufflé.
"Faire des pointes n’ést décidément plus de mon âge !" se disait-il en voix off.
D’un "M’offrirais-tu un ver(re) de ce vin si joli qu’on buvait en Arbois ?", il sortit la plume de sa suave torpeur.
"Ah, non, pas à c’theure !" rétorqua-t-elle. "Il est bien trop tôt pour une dégustation poétique ante-mortem".
" En revanche, une prose café avec le mot Ka - celui qui me donne encore du grain à moudre - est tout à fait possible".
C’est ainsi que, tasses en mains, le stylo et la plume se posèrent sur une conversation à faire bavardage.
La plume trouva le stylo fort charmant et bien volubile aussi, tant qu’elle se demanda s’il n’avait pas été vacciné avec une aiguille à phono.
Le stylo s’étonna, s’émut de la gentille fantaisie de la plume et lui dit : "Tu ne devrais pas écrire dans ton coin. Si tu venais avec moi, je te présenterais mes amis, ceux qui font chanter et danser le verbe à merveille(s)".
La plume n’y réfléchit pas à deux fois.
Elle mit son nuage hors d’eau, en ferma la porte et laissa la clé dans un pot de fleurs sur le balcon.
Puis, les mots en bandoulière, elle emboîta le pas de lettre du stylo pour un voyage au cours étonnant. Embarquement immédiat.
Veuillez attacher votre ceinture, s’il vous plait !
… le buvard volant va bientôt décoller …
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