ADAGIO de Nina176
Dans l'écrin vert du jardin arboré, le public se presse à l'entrée de la salle ouverte au récital d'une jeune artiste débutante. Lors de son honorable présentation devant moi, j'ai apprécié son talent nourri d'un tour de force musicale réservé aux plus grands, une envolée de notes sans partitions sous ses doigts voltigeurs.
Je me tiens bien droit dans les yeux de l'auditoire qui caresse mon noble vernis, J'attends la virtuosité qui va me rejoindre pour l'écho nostalgique de la ballade première de Chopin, exilé du sol de son cœur-aimant. L'âme fière de sa terre polonaise. Puis du lac de Côme, s'élèveront des opus d'azur et d'or, purs joyaux lyriques des amours-écueils de Liszt et Marie d'Agoult, avant que Sergueï à l'allure impériale et sans l'esquisse d'un sourire, pose sur moi ses mains immensément artistique et me livre les clés de son royaume.
Je suis fier de ma jeune prodige qui a plongé les auditeurs dans une communion forte.
La magie a résonné de bémol en dièse.
J'ai tenu dans mes bras des musiciennes inattendues et donné le tempo aux danseuses célestes dont je suis tombé amoureux parfois. Pour l'une d'entre-elles, danseuse étoile à l'Opéra de Paris, je me suis damné dans les feux de l'enfer à chaque représentation du Lac des Cygnes en maudissant Tchaïkovski de l'avoir créée. Odette, revêtue d'arabesques de soie et de notes aux essences de charme, me fit connaître les pires tortures en me frôlant de son tulle par petites touches quand au pas de deux, Siegfried s'invitait dans le ballet. Sur les berges du lac enchanté, mes souffrances déchiraient le silence de la nuit illuminée par deux étoiles, alors que le mouvement, juste au corps du langage, devenait une tendre cabriole.
J'ai traversé tant de bonheurs diaboliques et de joies tourmentées que je ressens dans mes chevilles bloquées, des coups de marteau qui résonnent jusqu'à ma table sans harmonie. Me blottir bien au chaud dans l'espace feutré du cœur cachemire de Rachmaninov ou du boléro de Ravel, ne me suffit plus et il serait peu intelligible qu'avec seulement une oreille absolue, je devienne le vieux compagnon de La Muette de Porcini... Usé jusqu'à la corde, tout doucement m'allonger sur mon sommier miséreux et attendre que les soubresauts de ma cage d'étouffoir m'emportent jusqu'à mon dernier soupir.
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