L'obsession de mon âme.
"Il est diabolique de se laisser guider par son esprit."
La nuit est mauvaise. Je ne peux fermer l’oeil. Le regard inquiétant de cet homme me perçant à jour, jouant à mon propre jeu, a été quelque chose d’éprouvant pour moi. Chaque instant, chaque seconde, j’ai cette impression néfaste que son ombre pénètre mon appartement et qu’il me guette où que j’aille, quoi que je fasse. La pendule de mon entrée n’avait de cesse d’émettre ce bruit morose du tic-tac affolant qui me sépare de la venue du plein jour ainsi que de la libération des entraves d’une sombre affaire. Je n’ose regarder par la fenêtre. J’ai terriblement peur qu’il ne surgisse à travers d’un buisson ardent et qu’il vienne déchaîner une possible colère à mon encontre.
Mais voici que le soleil se pointe enfin de ses rayons rassurants, apaisants. Je suis soulagé par cet astre qui ravive la flamme de mon coeur et me libère d’un fléau qui semblait inéluctable sous la noirceur de cette nappe nocturne qui laissait alors les ombres se manifester dans quelques danses macabres et sinistres. Il m’est à présent possible de respirer, de pouvoir voir chaque recoin des pièces de mon appartement, de me reconstruire dans ma propre histoire sans périr d’un coup au coeur, ou à l’âme. Ainsi va la jouissance de ne plus manquer aucun mouvement dans les ruelles, dans les allées, dans mon moi profond. J’ouvre alors une fenêtre, je m’installe sur mon balcon, j’admire le paysage revigorant. Je souris enfin.
Néanmoins, la journée n’était pas si idyllique que cette matinée le laissait présager. Ces yeux mauvais étaient toujours en moi. Je les voyais continuellement. Lorsque je fermais mes iris au jour, je ne pouvais voir que lui. À chaque heure, à chaque minute, au moins claquement, au moindre grincement, au moindre son, d’habitude anodins, je sursautais et je m’effrayais tout seul. Dans cette solitude pesante, je ne me sentais pas à mon aise. Pendant un moment, je me coinçais sous ma couverture, tremblant d’une peur que je ne saurais expliquer. Que je veux même pas expliquer, car y penser sonne le glas de mon intégrité, de ma tranquillité, de ma sérénité à présent dévorée par l’obnubilante sensation de ne pouvoir recouvrer la paix véritable.
Dans l’impossibilité de me reposer, je m’émerveille de quelques trouvailles que je peux glaner dans mon chez moi. Des livres que je n’avais jamais ouvert, d’un vinyle grinçant qui se perdait dans mes affaires mal rangées, d’une télé idiote qui maintenant un fond sonore rassurant. J’ai l’impression de me transformer en ceux qui j’admirais encore la veille. Comme si je me mettais à faire la même chose qu’elles pour me rassurer d’une vie qui n’est pas certainement pas celle que j’imaginais lorsque j’étais un enfant. Oui, comme les enfants d’hier, mes parents ont eu une imagination débordante, me faisant faire de ces choses que je n’avais pas envie de faire, mais qu’il fallait réaliser afin que le destin soit cordiale avec moi. Ils ne voulaient pas que je finisse ma vie, comme eux, à être reclus dans un appartement de misère dans un quartier dévasté par la folie et la haine. Ils ne voulaient pas que je sois un ouvrier lambda qui doit continuellement fermer sa gueule face à des ordres toujours plus imbéciles venant de supérieurs honteux et stupides. Ils ne voulaient certainement pas que je manque d’argent, ni de moyens. Ils me voyaient tel un Apollon divin qui laisserait succomber tout le monde à son passage. Un être tellement riche et plein d’amour que mon argent aurait été donné pour des dons d’organisations caritatives pour aider d’autres gens dans le besoin. Mais, seulement, ils avaient tords de me conditionner à faire des choses répulsives et barbantes. Des choix qui n’étaient pas miens.
Aujourd’hui, je vis en solitaire, invisible, sans qu’aucune femme ne se retourne sur mon passage, sans même que le moindre homosexuel ne veuille passer une nuit avec moi, et sans qu’une charmante grand-mère ne désire ardemment me faire le moindre cadeau par le simple fait qu’elle me trouve adorable, gentleman, serviable, admirable. Non, ces personnes-là sont dans mon entourage, ce sont mes voisins. Mais même avec cette proximité, ils ignorent mon existence et continuent leur petite vie sans se soucier un seul instant que je suis là, que je suis à leur côté, que je suis à portée de main et que je peux désirer avoir une vie mêlée à la leur.
Non, aujourd’hui je ne considère pas avoir réussi ma vie. Je ne considère pas non plus l’avoir particulièrement raté. Il est simplement des choses qui me plaisent plus que d’autres, et des choses qui me plaisent beaucoup moins. Je me construis entièrement par moi-même, me retirant du carcan familial pour mener ma propre existence, telle que je l’ai toujours désiré. Je n’ai, par ailleurs, aucune nouvelle de mes parents à ce jour, et ce depuis quelques années déjà. Je le vis très bien, je le vis formidablement bien. Ou peut-être est-ce un manque continuel à mon être, à mon âme et que cela fonde des entraves à ma destinée, à la libération de ce que je suis, de ce que je veux être et de ce que je serai.
Vous savez, la toile de la destinée, tissée par les quelques moires se trouvant non loin du Styx, celles-là ne font pas les choses de manière à arranger quiconque. Elles tapissent continuellement les choses qui doivent se faire, impactant ainsi ce que nous voulons être. Nos propres choix sont comme des coups de dés lancés à l’aveuglette. Nous subissons simplement les décisions qui viennent de plus haut, sans pouvoir revenir en arrière, sans pouvoir corriger de nous-mêmes ce qui est déjà scellé par le baiser enivrant de la Mort elle-même. Lorsque l’on voit les choses sous cet angle, alors on se dit qu’il ne sert à rien de lutter et de perdre son temps à de futiles besognes nauséabondes qui ne conduisent qu’à la folie que l’on rencontre continuellement dans nos contrées, dans nos sociétés. Devenir de fidèles esclaves perfides, voici qui n’est pas chose à me convenir. Sans toutefois être anarchiste, je dis merde à toutes ces choses de la vie me contentant extrêmement bien de passer chaque nuit à regarder ces illusions du bonheur à travers leurs fenêtres et ainsi deviner le coup du sort qui les attendent. Cela est mon passe-temps. Alea Jacta Est.
Contrairement à ce que je pensais jusque là, il est tout de même étrange que cet homme ait pu me percevoir, me percer à jour, entrer en moi comme dans un livre ouvert en crevant ma carapace forgée de mes mains. Personne ne peut me voir, personne ne s’intéresse aucunement à moi en temps normal. Pourquoi lui, alors, amènerait le moindre changement en me regardant ? En me devinant à travers la pénombre et ce buisson dans lequel je m’étais tapi. Allons, ce n’était sans doute qu’une vilaine interprétation de ma part. Peut-être n’était-il tout simplement pas à me regarder. Il voyait sans aucun doute un chat qui passait derrière moi sans deviner ma présence. Je me fais des films, et celui-ci m’aura particulièrement marqué.
D’habitude, je change toujours de lieux, d’immeubles, d’endroits où me cacher de sorte à deviner de nouvelles histoires avec de nouveaux personnes. Seulement, là, mon esprit est obnubilé par ce fameux appartement, par cet homme. J’aimerais savoir s’il m’a vraiment vu, s’il a vraiment tenté de me démasquer, de me dévisager, de me sonder. Ce sera ma nouvelle quête de ce soir malgré la fatigue qui m’habite et me ravage d’autant plus l’esprit. Je n’aurai sans doute pas autant de discernement qu’il le faudrait, mais mon coeur en sera d’autant plus tranquillisé lorsque je me prouverai qu’il n’était rien, que personne n’a pu me voir et que je peux continuer, en toute impunité, ma vie comme je l’ai conçu jusqu’alors.
La nuit tombe de nouveau, et l’histoire de répète inlassablement. Les corps mutilés et futiles, au regard de la société, sont une nouvelle fois de sortie. Ils errent tels des cloportes insignifiants à la recherche de nouvelles formes de plaisir afin d’alimenter leur folie toujours un peu plus jusqu’à ce qu’ils se transforment en squelettes suintants de purulence et de bestioles mangeuses de chairs. Ceux-là sont loin de m’intéresser. Lorsque je passe à côté d’un homme rongé par l’héroïne, aiguillé plantée au bras, je me mets à sourire en songeant qu’il ne lui restera certainement pas longtemps à vivre, mais qu’une autre personne viendra inlassablement prendre sa place. Que la roue puisse continuer à tourner et que les morts s’enchaînent pour des nouveaux-nés et de nouveaux dépravés.
Je me positionne enfin dans mon buisson, le même que la veille. Les appartement sont, pour la plupart, éclairés de l’intérieur. Je revois les mêmes personnages que ceux de la veille, mais dans des postures différentes. Celle qui a fait l’amour avec son homme était en train de lui jeter des tasses de café au visage. Le vieil homme âgé qui lisait son livre n’était visiblement plus là, l’appartement étant plongé dans le noir. L’enfant qui a trébuché se retrouvait alors avec un bras dans le plâtre, regardant la télévision avec sa soeur et ses parents qui auront eu la frayeur de leur vie. Les choses continuent de changer, la vie suit son cours. Néanmoins, mes yeux étaient constamment dirigés vers l’appartement maudit du dernier étage. Il n’y avait personne, et aucune lumière d’allumée. Je dois avoue être un peu déçu de ne pas le revoir, de ne pas pouvoir me rassurer sur les phobies que la vision d’hier m’ont octroyé.
Je continue donc à deviner la vie de chacun. Je vois un homme qui rentre dans son appartement, visiblement de retour de sa journée de travail. Sa femme l’attend, elle lui a préparé le repas et espère, certainement, recevoir un baiser et un sourire de la part de son être aimé. Mais celui-là jète son porte-document sur le canapé, retire ses chaussures sans même adresser le moindre mot à sa compagne qui est là, debout, à le regarder. Puis, il se dirige vers la table, place ses pieds en-dessous, et mange sans tarder. Elle, elle est là, lascive, triste, telle une bonbonne, une esclave qui continue perpétuellement à servir son maître. Je m’imagine qu’elle sera prise d’un coup de folie, qu’elle décidera de s’émanciper, de coucher avec un autre homme qui, lui, aura envie de satisfaire sa libido dans un respect le plus total. Je m’imagine qu’à la suite, l’époux de cette femme découvrira le poteau rose et décidera de mettre fin aux jours calomnieux de ces deux amants. Une fin en apothéose à la Roméo et Juliette. C’est triste, sinistre, mais cela m’amuse beaucoup.
Je regarde à nouveau l’appartement du dernier étage. Toujours personne. Puis, en-dessous, je vois un chien tout seul dans son appartement, en train de courir partout dans un quart d’heure de folie, de manger les coussins du canapé, de casser des vases, de jouer avec les chaussures à talons d’une dame. Et…
Mon regard est à nouveau hissé vers le dernier étage, celui-là m’extirpant tout d’un coup de mes rêveries et de mes songes concernant le chien et la réaction de ses maîtres qui, certainement, voudront l’euthaniser à leur retour. Mais là, à cet instant, je revois l’homme d’hier. Son regard toujours plongé vers moi, son corps toujours dans la brume de la noirceur nocture. Cette fois, je suis certain qu’il me dévisage, qu’il me voit, qu’il me devine. Il n’y a personne d’autre autour de moi, pas même un chat, rien. Je laisse durer cette scène durant dix minutes afin de comprendre ce qui se passe tout en m’interrogeant continuellement. Je veux être sûr de moi et ne pas fuir comme ça, pour rien.
Tout à coup, je vois correctement son visage éclairé par l’écran de son smartphone qu’il porte à son oreille après avoir composé un numéro. Je vois ses yeux noirs, je vois son teint blafard, ses joues creuses, la folie à l’état pure sous un air nonchalant. Ses lèvres remuantes pour faire suite à l’appel qu’il est en train de passer. Il continue de me regarder, il me voit toujours. Il ne cligne pas une seule fois des yeux. Il reste figé sur moi. Puis il raccroche, reprend sa position initiale dans l’obscurité, ses prunelles toujours irisées de mon ombre. J’attends encore un peu, ne sachant comme réagir. Ne sachant que faire. Mes jambes veulent prendre la tangente, mais mon esprit est subjugué par tant de mystères et de doute. Pourquoi est-il ainsi à me regarder ? Que veut-il faire ?
J’entends une sirène tout au loin. Je vois les lumières blanches, bleues et rouges scintiller et se rapprocher de moi. Puis, un voiture de police arrive à ma hauteur, du côté de mon buisson. Je reste bien camouflé derrière les feuilles qui me cachent. Aurait-il appelé la maréchaussée pour me faire arrêter et me déloger de cet endroit ? Les policiers sortent de leur voiture, laissant les gyrophares tourner. Ils allument leur lampe-torche et balaient la zone à la recherche de quelque chose, ou de quelqu’un. Je commence à m’inquiéter quant à la tournure des évènements. Ils se rapprochent dangereusement de moi et de ma cachette. S’ils fouillent bien, ils me trouveront sans aucun problème. Un des deux policiers est à me hauteur. Il s’apprête à pousser une branche et me découvrir, là, prit en otage, complètement paralysé. Il touche la branche. La bouge légèrement, lentement. Je m’arrête de respirer. Je manque de me chier dessus. Il va m’avoir et je finirai mes jours en prison.
Et là, un cri retentit non loin de là. Un de ces drogués qui interpellent les flics en les insultant, en les traitant de tous les noms, en leur demandant de dégager derechef de là. Ce drogué était accompagné de jeunes hommes, des dealers dérangés dans leurs ventes. Ils commençaient à jeter des pavés, des cailloux, tout ce qui leur venait à la main pour frapper ces policiers. Un des projectiles tombent sur mon buisson, manquant de me heurter à la tête. Les policiers sont assaillis, pris en étau. Ils appellent des renforts et commencent à courir vers leur voiture. Ils s’enferment à l’intérieur, reçoivent encore des pavés qui importent leur pare-brise qui se retrouve alors fissuré. Les jeunes viennent bousculer la voiture qui se met alors à partir dans un crissement de pneus assourdissant.
Je profite de ce moment pour déguerpir au plus vite afin de ne pas me faire prendre par la police, ni même par ces jeunes dépravés. Je crois n’avoir jamais couru aussi que cela. Une certitude était néanmoins présente en mon esprit : il m’a vu.
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