4 - Logan
— Tu vas te faire tuer, mec, se marre Chris, comme un con.
En même temps, il n'a pas tort. Dès que nous allons nous retrouver tous les deux, à la maison, Deb va me sauter à la gorge. De toute façon, si elle me tue, je l'aurais bien cherché. Ma sœur est super protectrice avec Lucy et elle n'admet pas que je puisse la traiter de la sorte. En même temps, je la comprends, puisque ce que je fais subir à son amie est cruel et mesquin. Mais je n'arrive pas à faire autrement depuis l'an dernier. Le sentiment de haine que j’éprouve pour cette fille est plus fort que moi. Un an que je la déteste. Une année entière où je ne lui laisse pas une seule seconde de répit. Mon désir de vengeance est plus fort que tout et je n’arrêterai pas tant que je ne l'aurais pas vue à genoux devant moi, à me supplier d’arrêter, le visage inondé de larmes. Je veux qu’elle souffre autant que j'ai souffert ce jour-là, lorsque mon cœur a volé en éclats.
Depuis quinze jours, Lucy semble m'ignorer. Elle n'est pas revenue chez nous, ni pris la peine de répondre à mes nombreux SMS. J'aurais bien aimé qu’elle le fasse, juste histoire de me rassurer un peu. Je lui ai quand même avoué que j’étais amoureux d'elle, ce n’est pas rien, putain !
Quand j’en ai parlé à Deb, la semaine dernière, elle m'a répondu de lui laisser un peu de temps, vu que sa mère vient de se remarier, tous les trois doivent profiter de leur nouveau bonheur. Mes parents ne se sont pas non plus inquiétés de son absence. Je dois donc être le seul à penser à elle. Mais, merde, elle me manque grave !
Tandis que je me prépare pour affronter cette nouvelle année, je rêvasse en songeant à elle. Mon cœur lui se serre en imaginant qu'elle a peut-être pris peur après ce qu'il s'est passé entre nous l'autre jour. De toute façon, dans moins d'une demi-heure, je serai fixé.
J'enfile à la hâte un jeans et un t-shirt, tant je suis pressé de me rendre au bahut. Je crois que c'est bien la première fois que ça m'arrive.
— Deb, magne ton cul ! lancé-je, en dévalant les escaliers au pas de course.
— C’est bon, Logan. On a le temps encore.
Putain ! Pourquoi faut-il que je sois obligé de l'emmener depuis que mes vieux m'ont offert ma bagnole ?
Je trépigne d’impatience devant la porte d’entrée, pendant que madame prend tout son temps. À croire que sa meilleure amie ne lui manque pas. Je suis sûr que si elle devait aller retrouver un mec, elle ne me ferait pas autant poireauter. Si elle ne descend pas dans les deux minutes qui arrivent, je vais la tuer.
Habillée d'une simple robe et à peine maquillée, ma frangine finit par me rejoindre. Sérieux, il lui a fallu tout ce temps pour ce simple résultat. Elle se fout vraiment de ma gueule !
— Je crois que je ne t'ai jamais vu aussi pressé de te rendre en cours, frangin. T'es malade ou quoi ?
Sans lui fournir la moindre explication quant à mon état de fébrilité, je sors rejoindre ma bagnole. Assis derrière mon volant, mes doigts trépignent d'impatience, en pianotant contre mon volant. Franchement, elle ne peut pas être plus longue ce matin.
Quand elle finit par poser ses fesses sur le siège passager, je peux enfin démarrer. Sans prêter attention à ses remarques désobligeantes sur ma façon de conduire, je file, comme un bolide, en direction du lycée.
J'ai bien assez perdu de temps ! Je n'ai pas envie de rater l’arrivée du bus.
En arrivant au bahut, je me gare à ma place habituelle. Dès qu'ils m’aperçoivent descendre de ma caisse, Chris et Kate, mes deux potes se dirigent vers moi. Nous avons à peine échangé deux mots que j'entends le véhicule jaune entrer sur le parking. Mon pouls se met à battre la chamade, avant même de la voir descendre.
J’entraîne mes amis et ma sœur à ma suite, en direction de l'endroit où le véhicule va s’arrêter.
— Eh, y en a un qui semble pressé d'aller retrouver Lucy, me lance Chris, sarcastique.
— Ta gueule, ducon, répliqué-je, en lui adressant mon plus beau majeur.
Chris a l'habitude et ne se formalise pas de mon geste. De toute façon, c'est toujours comme ça entre nous.
Plus je m'approche de ma destination et plus je ressens des frissons parcourir mon corps. Une douce chaleur s'empare de mon membre au moment où je revois le corps de cette fille, collé contre le mien. Je fantasme sur ses courbes, les yeux ouverts.
Les cheerleaders de dernière année descendent les premières, suivis des sportifs. Des cris d'ovation retentissent comme s'ils étaient les stars du bahut. Bon, ouais, c'est le cas et j'en fais aussi parti. En attendant, ils bloquent la sortie du bus aux autres et si je ne me retenais pas, je leur dirais bien de dégager, afin de laisser sortir Lucy au plus vite.
Dans l'impatience, je tente de voir à travers les vitres son avancée… et c'est là que mon monde commence à s’effondrer. McAllister, un joueur de basket, est collé contre elle. Je déteste ce type, depuis pas mal de temps déjà, pour le mal qu'il a fait à Kate, lorsque nous étions, encore au collège. Je serre les poings de le voir si proche de celle qui me fait vibrer.
Lorsque Lucy quitte le bus, vêtue de vêtements digne d'un film porno, la main de ce connard effleurant son cul, mon cœur vole en éclats. Elle s'est bien foutue de ma gueule ! Putain, dire que je l'ai crue quand elle m'a avoué être également amoureuse de moi !
— Waouh ! lance Chris. Ta petite Sainte-Nitouche est devenue bien bonne. Je me demande combien de mecs, elle s'est tapée cet été, pour changer du tout au tout. En tout cas, je comprends, vieux, que tu te la gardais, jalousement.
Juste pour les mots qu'il vient de prononcer, j'ai envie de lui exploser la tête.
Je jette un coup d'œil à ma frangine qui semble aussi ahurie que moi. Ça ne ressemble en rien à notre meilleure amie. C'est quoi son putain de problème ?
Ses lèvres s’étirent dans un sourire à craquer, mais avec ce connard, qui continue à lui tourner autour, je suis incapable de le lui rendre. Mon âme vient de s’éteindre et le regard que je lui renvoie est aussi sombre que les ténèbres. Je ne sais pas ce qu'elle cherche, mais elle ne l'obtiendra pas avec moi. Si elle voulait me faire passer un message, elle a bien réussi son coup.
Sans attendre qu'elle me rejoigne, je me casse d'ici.
— Logan ! m'appelle-t-elle.
Au son de sa voix, mon cœur m'ordonne de me retourner, d’aller la voir, quitte à me prendre la tête avec elle. Il doit forcément y avoir une explication. Il ne croit pas un seul instant qu'elle ait pu autant changer, pas en si peu de temps. Ma raison, elle, me rappelle les mots de Chris, me rejoue la main de cet enfoiré sur son cul et finit par mettre K.O mon palpitant.
À la fin de cette journée-là, j'ai quand même demandé à Deb si elle avait une explication sur la nouvelle tenue vestimentaire de Lucy et ce qu'il se passait entre elle et McAllister. J'avais besoin de savoir. Elle n’a même pas été foutue de me répondre, à moins qu'elle ait préféré fermer sa gueule. Les jours suivants, je n'ai pas eu le courage d'aller parler à Lucy. Je n’arrêtais pas de penser à ce type et aux autres qui lui tournaient autour. J’étais fou de rage. Si seulement, elle était venue me trouver, mais non, elle a préféré m’éviter. Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre qu'elle s’était bien foutue de ma tronche ce putain de jour que je préfère effacer de ma mémoire. La pétasse s'est bien amusée à mes dépens, à rougir comme si j’étais le premier à m’intéresser à elle. Et moi, comme un con, amoureux d'elle, j'ai foncé tête la première. C'est terminé tout ça ! Désormais, je la hais.
Tandis que je me dirige vers mon casier, pour y déposer les cahiers inutiles de mon sac à dos, je croise Jackson Gabson. Le type me toise, comme s'il cherchait à me faire baisser les yeux. Pourtant il sait qui je suis et qu'il n'a pas intérêt de m'emmerder. Ce serait vraiment con pour son gang que j'aille rapporter à mon paternel qu'un des leurs m'emmerde au bahut. Je pense que son chef n’apprécierait que très moyennement cette situation. De toute façon, cette année, comme la précédente, je suis certain que personne n'osera venir m’ennuyer, surtout qu’à présent, je suis le capitaine de leur foutue équipe de foot.
Quelques minutes plus tard, nous rejoignons la salle de biologie. Cette matière me fait chier à mourir, je préfère largement la physique, au moins là je m’éclate. Heureusement, Chris la partage avec moi. Ça devrait passer beaucoup plus vite. Bien qu’avec Mr Wacker, il vaut mieux se tenir à carreau si on ne veut pas se retrouver direct dans le bureau du proviseur. Et pour les deux sportifs qu'on est, ce n'est pas le bon plan du tout, si on ne veut pas se foutre le coach à dos dès le premier jour.
— Tu vois ce que je vois, me lance Chris, alors que nous sommes arrivés devant la porte de la salle.
Je jette un coup d'œil à l’intérieur pour voir de quoi il parle. Mon regard tombe aussitôt sur cette petite brune aux yeux émeraudes assise au premier rang. En un an, ma haine pour elle n'a fait que s’accroître, je ne peux vraiment plus la blairer.
D'un signe de tête, je consens à ce que Chris s’apprête à faire, un sourire démoniaque sur les lèvres.
Plongée dans un bouquin, Lucy ne nous voit même pas approchés.
— Salut, beauté ! Bien ton été ? lui demande mon pote en posant son cul sur la paillasse.
En l’entendant elle sursaute et moi je suis sur le point d'exploser de rire.
Apeurée, comme un animal piégé, elle s'enfonce dans son siège et m’adresse un regard suppliant, comme si elle gardait espoir de retrouver en moi l'ami que j’étais avant.
Elle peut toujours rêver, si elle le croit !
Son meilleur ami, amoureux d'elle, est mort depuis un an. Elle l'a tué le jour où elle s'est pointée, dans cette tenue vulgaire, digne d’une pute, allumant tous les mecs du bahut, sans me fournir la moindre explication.
— Ta mère ne t'a jamais appris la politesse ? la nargue Chris en lui arrachant son bouquin des mains.
Il y jette un coup d’œil, avant de me le refiler. En lisant la quatrième de couverture, je lâche un rire moqueur, avant de lancer d'une voix bien audible, afin que toute la classe en profite :
—Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants. Dis-moi, Lucy, tu crois encore au conte de fée ? Tu n'as pas un peu passé l’âge ?
Des rires fusent de tous les côtés, entraînant un malaise indéniable chez la propriétaire du bouquin. Quand son regard me fusille, je porte la main sur mon cœur, comme si elle venait d'atteindre sa cible, tout en me marrant comme un con.
— Rend-moi ça, connard ! tonne-t-elle, en bondissant sur ses pieds, rouge de colère et de honte.
Elle s'approche dangereusement de moi, son parfum me chatouille agréablement les narines. Toujours le même. Bordel, j’ai toujours été dingue de son odeur et ça n'a pas changé.
Au moment où sa main frôle l'objet qui lui appartient, je me reprends et lève le bras pour qu'elle ne puisse pas l'atteindre. Elle saute pour essayer de récupérer son bien. Faussement ennuyé, je fais semblant de bâiller. Du haut de mon mètre quatre-vingt-dix, c'est un jeu d'enfant de tenir son bouquin à distance. Elle aura beau bondir, comme elle le fait, elle n'y parviendra pas.
— Si tu veux, ton livre, sois polie et va dire bonjour à mon pote.
— Logan, s'il te plaît, rend le moi, c'est tout ce qu'il me reste.
Quoi ? De quoi elle parle ?
— Oh, pauvre petite fille malheureuse, me moqué-je, malgré les questions qui viennent de me traverser l'esprit.
Elle ferme ses magnifiques yeux verts, comme si elle tentait d'encaisser la nouvelle claque verbale, que je viens de lui balancer. Quand elle les rouvre, une infinie tristesse les recouvre. Un instant, mon cœur se serre face à sa détresse, avant que je me reprenne. Il est hors de question que je plonge, tête basse, dans son jeu. Elle aura beau dire ce qu'elle veut, je m'en tape. C'est terminé !
— Bonjour, finit-elle par saluer mon pote, d'une voix tremblante.
— J’ai cru que tu avais perdu ta langue, lui lance Chris, aussi mauvais que moi.
— T’as cru ça, sérieux ? À mon avis, elle en a bien trop besoin, dis-je en imitant une fellation.
Sous le regard noir de Lucy, j’éclate de rire.
— Tu ne sais rien de ma vie, connard !
— Eh bien, dis-le-moi, Lucy. Ça fait un an que j'attends que tu me racontes en détail toutes les fois où tu t'envoies en l'air avec un de ces mecs. Je suis certain que tu sais très bien t'y prendre.
— Va te faire foutre, Logan ! m'assène-t-elle, en se précipitant vers la sortie.
L’arrivée de Mr Wacker l’empêche de franchir la porte.
— Vous avez l’intention de sécher dès le premier jour de cours, Mademoiselle Calaan ? la questionne-t-il.
Elle secoue la tête.
— Bien dans ce cas, allez-vous asseoir.
Sans un mot, elle regagne sa place, tandis que, hilares, Chris et moi partons nous installer au fond de la salle.
— T’as vu sa tronche, on aurait dit qu'elle allait chialer, me sort mon pote, un large sourire sur les lèvres.
— J’aurais adoré ça.
Durant une bonne dizaine de minutes, j’échange avec mon pote sur la scène précédente, tout en échafaudant de nouveaux plans, pour foutre cette meuf à terre. Je ne cesserai mon jeu qu'au moment où elle craquera devant moi.
— Messieurs Baldwin et Robinson, on vous dérange peut-être ?
— Non, absolument pas, monsieur. On se demandait juste si cette année, on aurait droit à des cours sur la sexualité comme l'an dernier. Vu que certains ont l'air expert dans la classe, j'aurais beaucoup aimé aborder le sujet avec eux… enfin surtout avec elle, réponds-je le plus sérieusement du monde, en lançant un rapide coup d'œil en direction de Lucy, afin que tous comprennent de qui je parle.
Toute la classe explose de rire, sauf celle assise au premier rang. Elle ne se retourne même pas pour tout dire. Dommage ! J'aurais adoré voir son regard à cet instant. Je suis certain qu'elle est mortifiée.
— Eh, Calaan, l'interpelle un des mecs de la salle, on partage quand tu veux notre expérience.
Sous les moqueries incessantes des autres, Lucy s'affaisse sur son siège en rentrant sa tête dans ses épaules. Chris se tient le bide, tant il est explosé. Je lui tends mon poing dans lequel il checke aussitôt.
— Ça suffit ! Silence ! tonne à plus d'une reprise notre prof. Baldwin et Robinson, la prochaine fois, c'est le bureau du proviseur direct.
Le calme revient peu à peu et le cours reprend. La démultiplication des cellules est d'un ennui mortel. Je baille à plusieurs reprises, avant de poser ma tête sur la paillasse. Un coup fort à proximité de mon oreille me fait sursauter. En levant les yeux, je tombe nez-à-nez avec ce vieux binoclard. La ride sur son front m'annonce que je vais passer un mauvais quart d'heure.
— Deux fois, monsieur Baldwin, que je vous rappelle à l'ordre. Dois-je en conclure que dès le premier jour, vous souhaitez en découdre avec le chef d’établissement ?
— Je suis désolé, monsieur. Ma sœur m'a réveillé en pleine nuit, à cause d'un mec qui la harcèle depuis la fin des vacances. Elle avait la trouille qu'il vienne s'en prendre à elle.
Lucy me jette un regard sidéré. Ouais, je sais, c'est bas d'incriminer Deb, surtout qu'elle n'a aucun mec depuis que j'ai dégagé l'autre à coup de poings.
— Vous avez de la chance d’être notre nouveau capitaine, dit-il avant de retourner sur l’estrade.
Les nouvelles vont vite apparemment.
Chris me donne un léger coup dans les côtes, genre de dire « tiens-toi tranquille, vieux. ». Au cours de la demi-heure restante, je ne fais plus aucune frasque. Ce n'est pas pour autant que je m’intéresse au cours. Machinalement, j'ouvre le livre de Lucy. Sur la première page, je découvre mon prénom entouré de plusieurs cœurs rouges, juste en dessous quelques mots sont écrits à l'encre violette, sa couleur fétiche.
Qu'ai-je fait de mal ? Pourquoi m’a-t-il tourné le dos ? J’étais amoureuse de lui, je lui ai dit et maintenant, il me déteste. Il me manque tellement.
Ces mots me marquent bien plus que je ne l'aurais cru. Des images d'un passé depuis longtemps révolu viennent s’implanter dans ma tête. Ma queue réagit au moment où je revois son corps seulement recouvert de son sublime maillot de bain collé au mien. Putain de bordel de merde ! Je ne peux pas avoir une telle réaction. Toutes, mais pas elle ! Surtout pas elle.
Je prends mon stylo rouge et écris juste en dessous.
J’étais aussi amoureux de toi, mais tu m'as fait trop de mal. Savoir que tu as baisé avec je ne sais combien de mecs me tue. On aurait dû être ensemble. Tu t'es bien foutu de ma gueule ! Je te hais, Lucy !
Je ne sais même pas ce qui m'a pris de noter ça. Si quelqu'un tombe dessus, ma réputation va en prendre un sacré coup. Le gars le plus populaire du bahut amoureux de cette pute, on aura tout vu.
À la fin de l'heure, j'irais jeter son bouquin, en arrachant cette page, pour que personne ne puisse lire cet échange silencieux
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