15 - Lucy
J'ai mal. Horriblement mal. Ma tête, mes bras, tout n'est plus que douleur. Cette souffrance finit par avoir raison de mon sommeil et me réveille. Je tente d'ouvrir les yeux, mais le gauche semble vouloir rester fermé. De deux doigts, je l'effleure. Gonflé. Je m'en doutais. Je n'ose même pas imaginer à quoi je ressemble. Je referme ma paupière encore valide et inspecte le reste de mon visage du bout des doigts. Ma pommette droite est enflée et ma lèvre fendue. Frankenstein ne doit pas être pire que moi. À cet instant, les souvenirs de la veille s'insinuent dans ma mémoire. Aussi tranchants qu'un couperet. Je me retiens aux draps pour ne pas les laisser me submerger. La panique n'est pas loin. Je la sens s'insinuer en moi, aussi sournoise qu'une vipère. Ma respiration se fait de plus en plus courte. Je suis sur le point de hurler, mais la brûlure dans ma gorge m'en retiens. J'ai dû crier pendant des heures pour être dans cet état.
Ce n'est qu'au moment où la vision de ce monstre laisse place au beau visage de Logan que je me rappelle où je suis.
Bordel, je suis dans son lit !
Mon œil valide s'ouvre spontanément tandis que je tâtonne à mes côtés. La place vide me soulage. Je repousse les draps, afin de dégager de là, avant qu'il ne revienne. Pourquoi ai-je accepté de dormir dans son lit ? Je ne m'en souviens plus vraiment. Je me rappelle juste cet horrible cauchemar dont je n'arrivais pas à m'extraire et ensuite sa présence rassurante lorsque j'ai fini par me réveiller dans ses bras. Puis, plus rien. Je tente de creuser plus dans ma mémoire, mais mes blessures ne m'y aident pas du tout.
En voyant mon corps recouvert de son maillot aux couleurs de son équipe de foot, je pousse un hoquet de stupeur. Qu'est-ce qu'il m'a pris cette nuit ? Certes, j'étais au bord du précipice, mais de là à accepter cette fringue de sa part, il y a tout de même une marge. On n'est pas ensemble et on ne le sera jamais. Je le déteste trop désormais pour qu'il en soit autrement.
Lorsque j'entends les escaliers grincer, je me précipite vers la porte. Je dois regagner la chambre de Deb ou n'importe quel autre endroit au plus vite. Hors de question d'être encore ici quand il rentrera dans sa piaule. Alors que je pose la main sur la poignée, le bruit s'arrête. Mince ! Faites qu'il n'ait pas déjà atteint le palier. Mon cœur bat à vive allure tant je suis stressée par cette situation, complètement absurde. Je retiens mon souffle jusqu'à ce que j'entende à nouveau le craquement. Mon pouls s'affole encore plus au moment où j'ouvre la porte.
— Lucy ?
Dans mes plans pour le fuir, je n'avais pas prévu de tomber nez-à-nez avec sa soeur. Je me pétrifie sur place, avec l'impression d'être prise en faute. Alors qu'elle me déshabille du regard, ses émotions passent clairement sur son visage. Si d'abord, elle est surprise, l'instant suivant elle devient folle furieuse. Voir le maillot de son frangin sur mes épaules doit la laisser supposer que nous avons passé la nuit ensemble. Enfin, c'est ce qu'on a fait, mais à mon avis, le connaissant mieux que personne, elle doit supposer que nous avons dû faire autre chose que partager la même couette. J'en ai vite confirmation lorsqu'elle se met à hurler comme une malade le nom de son aîné.
— Deb !
J'essaie de l'appeler, mais ce n'est qu'un couinement qui sort de ma bouche un peu trop sèche. Saleté de voix ! De toute façon, vu son état, je ne suis même pas certaine qu'elle m'écouterait si je parvenais à lui dire quoi que ce soit. Elle est bien trop énervée. Et puis, comment pourrais-je lui expliquer les raisons pour lesquelles je me trouvais dans sa chambre, alors que je n'en ai plus vraiment conscience ?
J'entends Logan gravir les marches quatre à quatre. Lorsqu'il atteint l'étage, ses yeux s'attardent un instant sur moi, il paraît plutôt satisfait de ce qu'il voit, mais il n'a pas le temps de s'y attarder. Deb se plante entre nous, me cachant à sa vue.
— C'est quoi ton plan foireux ? s'emporte-t-elle.
De ma place, je ne peux que voir les expressions sur le visage de Logan, mais les épaules crispées de Deb me laisse imaginer qu'elle doit le fusiller du regard.
— Ce n'est pas ce que tu crois !
— Ah ouais ? Tu vas me faire croire que si elle porte ton maillot, c'est parce qu'elle est rentrée dans ta chambre sans bruit, à fouiller dans tes fringues et s'est glissée en douce sous ta couette ? Je te connais, aucune fille ne passe dans ton lit, sans tester tes performances ! Tu peux te taper toutes les filles que tu veux, je m'en fous, mais elle, je t'interdis de la toucher ! C'est ma meilleure amie, bordel !
J'essaie de l'appeler pour qu'elle cesse de s'en prendre à lui. Après tout, il n'a rien fait. Du moins, je n'en ai pas souvenir. Puis, elle pourrait au moins lui laisser le temps de s'expliquer. Le pire, c'est qu'elle ne m'entends même pas. En même temps, une souris couinerait plus fort que moi, alors…
D'un simple regard, j'essaie de faire comprendre à Logan que je suis désolée pour tout ça. Je pensais que c'était lui, si j'avais su que c'était elle, je serais restée dans la chambre. Bon, d'accord, le résultat aurait été le même, car mes fringues pliées au fond de son lit l'aurait alertée de ma présence. Et elle aurait fini par découvrir où je me planquais.
Quand je me raccroche à la conversation, c'est pour l'entendre lui demander :
— Et Lundi, tu la traiteras encore de pute parce qu'elle a baisé avec toi, c'est ça ?
C'est quoi cette question ? Bon d'accord, elle n'a pas tout à fait tort, avec lui, je ne sais jamais à quoi m'attendre. Pourtant quelque chose me dit qu'il n'ira pas se vanter de ce qui s'est passé cette nuit.
Atterré, il secoue la tête.
— Personne ne saura que nous avons dormi ensemble. Parce que, ouais, pour ta gouverne, c'est ce qu'on a fait. Juste dormir. Fous-toi bien ça dans le crâne ! Et si t'avais répondu à mes putains d'appel, ça ne serait jamais arrivé !
Il s'avance près d'elle pour la toiser de toute sa hauteur, avant d'ajouter :
— Mais, madame a sûrement dû penser que si son grand frère l'appelait, c'était juste parce qu'il se faisait chier, enfermé un samedi soir chez lui, alors que tout le monde s'éclatait à l'extérieur. À moins, peut-être, que tu étais tellement occupé à t'envoyer en l'air, que tu n'as même pas entendu ton téléphone !
— Connard !
— Redis-le !
— Ouais, je le redis, t'es qu'un connard, Logan !
Les voir se disputer par ma faute me met mal à l'aise.
Je dois intervenir avant que ça ne dégénère réellement entre eux. Je ne veux pas être la raison de leur prise de tête. J'en ai déjà trop vécu hier soir. Leur cri me rappelle la façon dont ce monstre me hurlait dessus. Des larmes se mettent à rouler sur mes joues et mes mains à trembler alors que je le revois au-dessus de moi. J'ai envie de crier de rage et de terreur mêlées. Toutefois, je me force à penser à autre chose pour séparer les deux Baldwin qui semblent ne pas vouloir cesser de se chamailler méchamment.
Je pousse un peu sur ma voix pour leur ordonner de m'écouter, mais ce n'est qu'un chuchotement qui quitte mes lèvres. Vu que je ne vois pas comment je peux les séparer autrement, je me place entre eux, les jambes flageolantes.
— Arrêtez, s'il vous plaît, chuchoté-je la voix emplie de sanglots.
Les deux laissent tomber leurs yeux sur moi. Je me tourne d'abord vers Logan pour lui demander de bien vouloir redescendre. En voyant mon chagrin, son visage se décompose, il semble hésiter, avant que d'un signe de tête, il accepte ma requête. Je le suis un instant du regard, avant de reporter mon attention sur Deb. Encore furieuse, elle évite de se confronter à moi. Pourtant, c'est ce qu'elle devrait faire pour comprendre que je n'étais pas en état de faire quoi que ce soit avec son aîné. Mais surtout que j'ai besoin d'elle, car elle est la seule en qui j'ai vraiment confiance en l'absence de Killian.
— Ton frère n'a fait que s'occuper de moi, lui avoué-je d'une toute petite voix.
Elle se met à faire les cent pas dans ce vaste couloir. Je n'ai pas besoin de plus pour comprendre qu'elle a du mal à se calmer.
— J'imagine bien la façon dont il s'y est pris ! Après avoir embrassé Killian, il faut que tu couches avec mon frère ! J'espère que t'as pris ton pied au moins ?
Non, mais, elle est sérieuse ? Cette fois, c'est moi qui suis furieuse. Comment ose-t-elle me sortir ce genre de choses ? Surtout après la raison qui m'a poussé à débarquer ici en pleine nuit. Hors de moi, je m'approche d'elle d'un pas rapide et la pousse pour qu'elle réagisse.
— Regarde-moi ! lui ordonné-je en forçant un peu plus sur ma voix. Et dis-moi ce que tu vois !
Quand son regard tombe sur mon visage tuméfié, elle pousse un cri d'effroi, plaque ses mains sur sa bouche, avant de venir me serrer contre elle.
— Oh mon Dieu, Lucy ! Qui t'a fait ça ?
Elle se recule pour mieux m'observer. L'effarement qui l'a saisi juste avant ne la lâche plus. Je ne sais pas vraiment à quoi je ressemble, mais ce doit être horrible à voir. Sa réaction ne me laisse aucun doute.
Cette fois, je vais être obligée de répondre à cette question. Si je ne le fais pas, elle serait fichue de me harceler jusqu'à ce que je craque. De toute façon, même sans rien dire, juste à sa façon de m'observer, je sais déjà qu'elle en connaît le responsable.
— Killian m'a appelée hier soir pour me dire que tu n'étais pas allée travailler.
Sans cette révélation, j'aurais pu essayer de trouver un mensonge, mais là c'est mort.
Ne viens pas chialer dans mes oreilles, Lucy ! Comment oses-tu allumer mon mari et venir te plaindre ensuite ? Tout est de ta faute !
Comment vais-je pouvoir la supplier de ne rien dire à son père ? Parce que cette fois, elle ne pourra pas s'empêcher d'aller lui en parler. J'en suis intimement convaincue. Ce qu'il m'a fait subir est bien trop visible pour qu'elle fasse semblant. Elle ne comprendra pas que tout est de ma faute, que c'est moi qui l'ai provoqué en arrivant en retard. Malgré moi, chacun des mes gestes, chacune de mes paroles sont perçus comme une incitation. Ma mère n'arrête pas de me rabâcher que s'il s'énerve, s'il me fait du mal, c'est à cause de mon attitude provocante.
— Est-ce que c'est lui ?
Je ferme les yeux, pour éviter de me confronter à son regard pénétrant.
— Tu n'es pas obligée de répondre, fais-moi juste un signe de tête si c'est bel et bien le cas.
Je hoche à peine la tête, mais ça semble lui suffir puisque aussitôt après, elle me lance :
— Il va le regretter ! J'te jure que ce salopard va comprendre qu'on ne touche pas à ma meilleure amie.
— Ne dis rien à ton père, s'il te plaît.
Je la supplie, même si je sais d'ores et déjà que ça ne servira à rien. Pas cette fois, en tout cas.
— Pourquoi ? s'énerve-t-elle.
— Tout est de ma faute.
Sa bouche en tombe tant elle est sidérée. Il lui faut quelques secondes pour se reprendre, puis m'attraper par la main et m'entraîner dans sa chambre. À l'abri des oreilles indiscrètes, je sens que je vais passer un sale quart d'heure. Je me prépare au pire lorsqu'elle claque la porte derrière elle.
— Ta faute ? Explique-moi parce que là, j'ai vraiment du mal à te suivre ! Ce type est un malade, Lu ! Est-ce que tu te rends compte de ce qu'il t'a fait ? Est-ce que tu t'es vue au moins ?
Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle m'attrape par les épaules et me pousse en direction de son miroir. Apeurée par ce que je risque de découvrir, je ferme mon œil. Même si la douleur est omniprésente, je crains ma réaction face à mon reflet. Je sais que je suis abîmée, ça me suffit. Je n'ai pas envie de voir à quel point.
— Ouvre les yeux, Lucy ! grogne ma meilleure amie dans mon dos. Regarde dans quel état tu es à cause de ce salopard ! Putain, je me hais de protéger une telle merde !
Je secoue la tête, refusant d'obtempérer.
— Ouvre-les sinon je te jure que je fais appel à Logan, même si tu refuses de le voir. Quoique, après la nuit que vous avez passé ensemble, je me demande si c'est toujours d'actualité.
Consternée par ce que j'entends, j'ouvre les yeux, malgré moi pour lui répondre, mais le reflet dans le miroir me coupe dans mon élan. Tous mes hématomes me sautent alors en pleine face. Me voir aussi esquintée me déstabilise, avec tant de puissance, que mon souffle se coupe et mon estomac se révulse.
Mon Dieu, je vais vomir !
Les mains devant la bouche, je file dans les toilettes. Heureusement pour moi, je connais la maison par cœur. J'ai à peine le temps d'atteindre la cuvette que je rends le peu qui me reste sur l'estomac. Si peu d'ailleurs, que chaque jet est une vraie torture. Le liquide acide me brûle un peu plus la gorge, déjà bien esquintée. Épuisée par ma nuit trop agitée et tout le reste, je m'affale sur le sol. La fraîcheur du carrelage pénètre chaque centimètre carré de ma peau à nue qui le touche. J'ai froid. Si froid. Je ne sais même plus d'où provient cette sensation. De l'extérieur ? L'intérieur ? Je n'arrive plus à rien discerner.
— Rien n'est de ta faute, Lucy, m'assure Deb en venant s'asseoir à côté de moi.
Alors que de nouvelles perles salées s'écoulent le long de mes joues, elle passe un bras autour de mes épaules et m'attire vers elle.
— Raconte-moi ce qui s'est passé hier, après que tu sois rentrée.
Je plonge mes yeux dans les siens pour y trouver le courage de tout lui dévoiler. Puis, je me lance. Elle a droit à tout. Du moment où je suis entrée chez moi jusqu'au moment où je suis arrivée chez elle. La façon dont son frère a pris soin de moi ne la regarde pas. Surtout que j'ai moi-même besoin de comprendre son nouveau changement d'attitude, alors que quelques heures avant, il m'humiliait une nouvelle fois.
— Si tu savais comme je suis désolée de ne pas avoir répondu à mon frère. Je m'en veux vraiment d'avoir laissée mon portable chez Kim, lorsqu'on est partie à cette soirée. J'aurais dû être là, pour toi.
Elle laisse passer un moment de silence durant lequel elle me frotte le dos pour me réconforter. Sa chaleur me va droit au cœur, mais je n'arrive pas à m'en envelopper.
— Pire, je n'aurais jamais dû te laisser rentrer dans cette baraque de malade. Laisse-moi en parler à mon père. Laisse-moi lui dire ce que ce salopard t'a fait.
— Quel salopard ? Si tu connais le type qui lui a fait ça, t'as plutôt intérêt d'ouvrir ta gueule, p'tite sœur, sinon j'te jure de te le faire regretter jusqu'à ce que je me casse d'ici !
Surprise par sa voix, je relève les yeux vers lui. La mâchoire crispée et les poings serrés à s'en faire mal, il nous regarde tour à tour. La fureur gronde dans ses beaux yeux azuréens.
Pitié, faites qu'elle ne lui dise rien ! Lui non plus n'a pas besoin de savoir.
Deb me jette un regard navré avant de se lever et de l'entraîner dans sa chambre.
Elle va lui dire et dans mon dos en plus ! Pourquoi ? Pour qu'il s'en serve ensuite contre moi ? Elle m'a promis de ne jamais en parler à personne ! Elle n'a pas le droit de me faire ce coup-là ! Je tente de me lever pour l'empêcher de briser sa promesse, mais mes jambes flageolent et ma tête tourne. Je me raccroche au mur pour ne pas m'écraser au sol, comme une carpette. Je ne sais combien de temps, je reste sans pouvoir effectuer le moindre mouvement. Trois. Cinq. Dix minutes peut-être. Cependant, lorsque j'arrive, enfin, à me maîtriser, Logan se tient devant moi. Encore plus furieux qu'avant de suivre sa soeur. Il reste dans l'embrasure de la porte des toilettes, les bras croisés sur sa poitrine, à me fixer comme s'il ne me connaissait plus du tout. Les secondes s'écoulent sans qu'aucun mot ne sorte de sa bouche. Je ne sais pas ce qu'il fait, j'ai presque l'impression qu'il tente de briser ma carapace par la simple puissance de son regard. Sous l'intensité de ses prunelles, je me sens de plus en plus mal. Pourquoi ne parle-t-il pas ? Qu'attend-il ? Que lui a dit sa sœur pour qu'il reste aussi silencieux ?
— Pourquoi, Lu ? Pourquoi tu ne m'en as jamais parlé ? On était amis, putain ! me lance-t-il après un long moment silencieux.
— Que je te dise quoi, Logan ?
— Que cet enfoiré te forçait à faire des choses que tu ne voulais pas.
Quoi ? Comment il sait ça lui ? D'où Deb l'a appris ? Je ne lui ai pourtant jamais dit. Dans l'incompréhension la plus totale, je secoue la tête. C'est impossible qu'il sache tout ce que l'enfoiré qui sert de mari à ma mère m'a fait subir.
— De quoi tu parles ?
— De ta façon de te maquiller ou de te fringuer. Pourquoi il y a d'autres choses que je dois savoir ?
— Non, il n'y a rien que tu as besoin de savoir. Même ça, tu n'aurais jamais dû l'apprendre.
En une enjambée, il se tient devant moi. Si proche que son parfum boisé vient titiller mes narines. Lorsqu'il se penche au-dessus de moi pour planter son regard dans le mien, son souffle chaud me donne des frissons. Gênée par sa proximité, un nœud se forme dans ma gorge et m'empêche d'avaler correctement ma salive. Pourquoi s'est-il autant approché ? Que cherche-t-il à me prouver en venant me surplomber de toute sa hauteur ? Ce n'est pas parce qu'il m'a offert son réconfort cette nuit, que je ne l'en déteste pas moins. Il m'est impossible d'oublier le mal qu'il m'a fait.
— Si j'ai tout capté, t'as préféré protéger un enfoiré qui a failli te violer en me laissant t'humilier, plutôt que de dire à ton meilleur pote tout ce que ce connard te faisait vivre. C'est bien ça ou je me plante sur toute la ligne ?
Et toi, t'as préféré me détester plutôt que de me demander pourquoi j'avais autant changé ? Tu as préféré t'éloigner lorsque j'avais le plus besoin de toi !
Mais il vaut mieux que je me taise que de le lui sortir. Je ne ferais qu'empirer sa colère. Je sais comment il est lorsqu'il est furieux. Son côté impulsif risque de m'exploser totalement à la tronche si je n'y prête pas attention. Et là, ce sera pire. Bien pire.
— T'as tout compris.
Il écarquille les yeux, complètement ahuri, avant de secouer la tête, dépité par ma réponse.
— Ouais, je vois, fait-il avant de me tourner le dos.
Alors qu'il descend les premières marches, je ne peux m'empêcher de le suivre des yeux. Il semblait vraiment déçu, mais à quoi s'attendait-il ? S'il pensait que j'allais lui dévoiler toute ma vie, il s'est complètement gouré ! Comment pourrais-je lui en parler alors que toute ma confiance en lui s'est envolée ? Hier soir, j'étais bien trop traumatisée pour me rendre réellement compte de ce que je faisais. J'avais seulement besoin d'une épaule sur qui déverser une partie de mon lourd chagrin. C'est tomber sur lui, comme ça aurait pu tomber sur quelqu'un d'autre. Même si je le remercie d'avoir été présent, on ne me reprendra plus dans son lit. La marche arrière n'existe pas dans notre cas. Notre lien ne pourra jamais se rétablir. D'ailleurs, je ferais mieux d'aller récupérer des fringues, me doucher et me barrer d'ici avant qu'il ne revienne.
— Si tu lui en avais parlé depuis le départ, il ne t'aurait jamais fait vivre un tel enfer, entends-je Deb prononcer à quelques pas de moi.
Pardon ? Qu'est-ce qu'elle insinue ? Que c'est de ma faute ? Je fais volte-face dans sa direction. Elle se tient au milieu du couloir et me fixe de la même manière que son frère un peu plus tôt, la colère en moins.
— Tu es en train de dire que c'est à cause de moi, c'est ça ?
Quand elle se mordille la lèvre, je sais que c'est ce qu'elle pense. Tout est de ma faute. Ma mère avait donc raison, dans toute cette histoire. Je suis la seule fautive. Deb partage son opinion. Charlie. Logan. Tout ce qu'ils m'ont fait vivre, c'est moi qui l'ai cherché. Affligée par cette vérité, je me mords la joue, pour éviter de pleurer devant elle. Cette fois, personne ne viendra sécher mes larmes. Si douloureuses. Si dévastatrices.
— Alors toi aussi, tu m'abandonnes, c'est ça ? C'est pour ça que t'as tout dit à Logan et que tu vas te faire un plaisir de tout dénoncer à ton père ?
Je ne sais même pas pour quelles raisons je lui pose ces questions. À quoi bon ? Mon navire est en train de couler et tout mon équipage vient de me déserter. Je n'ai plus personne sur qui compter. Même elle me tourne le dos. Je suis seule au monde, en plein milieu de l'océan, sans étoiles ni lune pour l'éclairer. Les vagues, de plus en plus fortes, me maintiennent la tête dans l'eau. Je me noie, incapable d'appeler au secours.
J'ai tout perdu.
Ce matin, je n'ai même plus d'amis pour me tendre la main. Jamais la vie ne m'a paru aussi sombre. Aussi injuste. Les dernières lumières, qui me maintenaient la tête hors de l'eau, se sont éteintes sur mon monde. Je n'ai même pas la force de chercher les interrupteurs. Pour quoi faire ? Je me sens totalement vidée. À bout de souffle. Plus rien ne pourra jamais s'arranger de toute façon. Et à quoi bon ? J'ai perdu ma mère à cause d'un type qui m'a brisée et je viens de perdre ma meilleure amie, mon seul rempart, par la faute d'un autre gars qui m'a mise plus bas que terre. Partir est la seule option qui me reste. Partir pour toujours. De toute façon, qui s'inquiétera de mon sort ? Je ne suis qu'un poids dans leur quotidien, un objet encombrant dont on n'arrive pas à se débarrasser.
Sans attendre la réponse de Deb, je me précipite dans la chambre pour y enfiler mes fringues. Habillée de cette jupe et ce pull qui me répugne, tant il me rappelle Lui et sa cruauté, je file dans la salle de bain récupérer ce dont j'ai besoin. Puis je me rue vers le rez-de-chaussée, à la fois furieuse et brisée. Tandis que je dévale les escaliers, je retiens tant bien que mal les larmes qui menacent de s'écouler encore une fois.
Alors que j'atteins la porte d'entrée, Deb me rappelle. Sa voix me fige sur place. C'est la dernière fois que je l'entends, alors je peux bien écouter ce qu'elle a à me dire.
— Tu vas où ? me questionne-t-elle.
Les bras croisés sur ma poitrine, je me retourne vers elle, pour lui répondre :
— Là où personne ne pourra plus jamais me faire de mal.
Je ne sais pas ce qui l'alerte le plus, mon ton froid ou mon regard déterminé, cependant, elle tente de m'empêcher de partir. Sa poigne ferme me retient l'avant-bras, mais je me libère de son emprise d'une simple torsion.
— Lucy, ne fais pas ça, s'il te plaît, me supplie-t-elle, les yeux affolés et la voix empli de trémolos.
Elle a compris, mais je n'y prête pas attention. Je suis trop abattue pour continuer à faire semblant. Ils m'ont tout retiré, jusqu'à ma fierté. Sans un dernier regard en arrière, j'appuie sur la poignée et franchis la porte.
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