25 - Logan
Le film aurait pu être sympa, si je n'avais pas passé la moitié de mon temps à baver sur Lu. Elle, par contre, n'a pas quitté l'écran des yeux une seule fois. À croire que l'acteur principal a plus de charme que moi. Elle était tellement plongée dans cette histoire que rien n'est venu la perturber. Ni mon pouce qui caressait le dos de sa main, ni mes doigts qui se sont pressés sur sa cuisse. Bon, ok, elle n'a pas cherché non plus à arrêter mes gestes. C'est peut-être signe qu'on avance. Du moins, j'espère, parce que là je commence vraiment à devenir barge à force d'attendre.
Alors que nous sortons du ciné, j'enroule mes doigts autour des siens. Comme chaque fois depuis notre discussion, elle me laisse faire. Elle me lance même un petit sourire timide qui envoie mon cœur valdinguer au tapis.
Putain, qu'elle est belle !
Cette phrase, je n'arrête pas de me la répéter en tirant la langue comme un clébard.
— Ça te branche d'aller prendre un chocolat chaud ? lui demandé-je en désignant un bar dans lequel j'ai pris quelques habitudes.
Sa mine s'assombrit, je ne sais même pas pourquoi. Et j'avoue que je n'aime pas ça du tout. Parfois quand elle part très loin de moi, comme à cet instant, je crève d'envie de pouvoir percer ses pensées. Parce que je me demande toujours si c'est à cause de ce que je lui ai fait subir ou si c'est la faute de ce secret dont elle tient à me garder éloigné. Ce matin, j'ai essayé d'en apprendre davantage sur son cauchemar, elle m'a totalement ignoré, prétextant une envie pressante de se rendre aux toilettes. J'ai attendu qu'elle revienne comme un con, assis sur son lit. Au bout d'un quart d'heure, je me suis levé pour aller voir ce qu'elle foutait, je l'ai trouvée dans la cuisine en train de se marrer avec ma frangine. Quand elle m'a vu, elle m'a juste lancé un regard désolé et est repartie dans sa conversation avec Deb, visiblement, bien plus intéressante que celle que j'essayais d'avoir avec elle.
— On pourrait peut-être rentrer, non ?
Je m'arrête en plein milieu du trottoir et l'oblige à me faire face. Je plante mes yeux dans les siens afin de les sonder. Elle a mal. Et encore une fois, j'en ignore la raison. Je prends sur moi en serrant les dents.
Tôt ou tard, tu me dévoileras tout, Lu.
Je joue avec une mèche qui dépasse de son bonnet, elle rougit.
— T'en as déjà assez de moi ? la taquiné-je.
Son sourire fait rater un battement à mon cœur.
— Ce n'est pas ça.
— Alors c'est quoi ?
Ses prunelles s'accrochent aux miennes et c'est une bataille silencieuse qui se livre entre nous. Une bulle magique nous enveloppe. Les bruits aux alentours s'atténuent. Il n'y a plus qu'elle et moi, seuls au monde, au milieu d'un trottoir rempli de passants. J'ai très chaud d'un coup, même si la température frise les négatives. D'un pas en avant, je viens respirer le même air qu'elle. Sa bouche m'attire, m'appelle. De la pulpe du pouce, je caresse ses lèvres. Comme elle ne réagit pas, je décide de tenter ma chance. Au moment où je suis sur le point de l'embrasser, elle détourne la tête. Mon coup manqué la fait éclater de rire. Belle douche froide. Je rage, sans pour autant lui en vouloir. Bien au contraire. Elle pourra me faire tous les coups qu'elle désire, si ça me permet de la voir heureuse, loin de ses tourments, je prends.
— Je croyais que tu voulais qu'on aille prendre un chocolat chaud ?
— Et moi, je pensais que tu voulais qu'on rentre.
— Je déteste te voir tout payer. Je n'ai pas envie que tu me vois comme une damoiselle en détresse qui a besoin d'un prince charmant pour s'en sortir.
Son aveu me fait sourire. En tout cas, je suis content qu'elle me partage une partie de ce qui la perturbe.
— Tu penses vraiment que je pourrais être un prince charmant ?
Un doigt sur la bouche, elle m'observe avec attention. On dirait un styliste en train d'étudier un modèle pour savoir s'il peut correspondre à ce qu'il recherche.
— Non, finit-elle par répondre, à moitié morte de rire.
— Tant mieux, parce que je ne sais pas faire de révérence. Alors,on va se prendre ce chocolat chaud, même si je ne suis pas un prince charmant et que tu n'es pas une damoiselle en détresse.
J'éclate à mon tour de rire, avant de l'entraîner vers le bar, un bras autour de ses épaules.
Je nous dégote une table au fond de la salle, dans un coin tranquille, loin des regards indiscrets. Lu se glisse sur la banquette vintage et je la suis.
Quand le serveur se pointe, je commande nos boissons.
— Extra-guimauve, ajoute Lu.
Avec ce rajout et son sourire à faire craquer n'importe quel mec, elle me lance un message muet. Elle se souvient des gosses que nous étions, qui se réfugiaient dans la cabane au fond du terrain pour avaler leurs chocolats chauds avec une tonne de guimauves. À ses souvenirs, je regrette réellement d'avoir été aussi con. Je crois que j'avais déjà des sentiments pour elle à l'époque, mais j'étais bien trop jeune pour m'en rendre compte.
— Pour les deux ?
Je confirme d'un hochement de tête, avant de lancer un clin d'œil à Lu.
Moi aussi, je m'en rappelle.
Pendant plus d'une heure, nous nous éclatons comme deux gosses. Je fais le pitre, elle se marre, laissant mon cœur dans un état de dingue. Pour compenser, je la taquine et ses joues prennent cette couleur qui me rend fou. Je laisse mon index descendre de sa pommette jusqu'à son cou. Ses yeux ne me lâchent plus. Ses lèvres s'entourent comme si elle désirait que je vienne y déposer les miennes.
Appellez-moi l'hôpital psychiatrique, je vais virer barge !
Jamais, je n'ai dû résister à une telle tentation ! Quand je voyais certains gars de l'équipe tenus par les couilles par leurs copines, je me marrais comme un enfoiré, incapable de capter qu'un mec puisse se faire mener ainsi à la baguette. Pour moi, les filles ne pouvaient pas avoir ce pouvoir sur nous. Là, en plongeant mon regard dans celui de Lucy, je sais que ma réaction a été des plus stupides. Les femmes possèdent tous les pouvoirs et elle, elle me mènera à ma perte.
Pour ne plus penser à ce que je ressens, je me saisis de ma tasse et l'amène à ma bouche. Un délice ! Bien moins que sa bouche toutefois.
Bordel, ce n'est pas comme ça que je vais me reprendre !
— Parle-moi de ton cauchemar, Lu.
Si je cherchais à casser l'ambiance, je n'ai pas raté mon coup. Elle se rembrunit et s'éloigne de moi. S'il n'y avait pas eu le mur, je crois qu'elle aurait mis encore plus d'espace entre nous.
— Ça ne te regarde pas !
— Pourquoi tu ne veux pas partager ce qui te bouffe avec moi ?
— Pour que tu t'en serves ensuite pour me foutre plus bas que terre ?
Outch ! Elle ne m'a pas raté ! Pourtant, je pensais que depuis l'autre jour, on avait dépassé ce stade. Ça fait super mal de savoir qu'elle reste encore sur la défensive.
— On a déjà eu cette discussion. Je ne veux plus te faire de mal, Lucy. Je pensais que tu l'avais compris, putain !
Ça me soûle aussi. Avec elle, c'est un pas en avant, dix en arrière. Elle doit me faire confiance, sinon on ne pourra jamais avancer.
— Je suis désolée, Logan, je ne voulais pas dire ça. Je ne veux pas parler de mes cauchemars, c'est tout.
— Est-ce juste avec moi ou tu n'en parles pas non plus avec ma frangine et ton pote ?
Si elle me sort que son chien de garde et Deb sont au courant, alors le message sera clair, le problème sera son putain de manque de confiance en moi.
— Ils l'ignorent tous les deux. Killian ne sait même pas que j'en fais.
Étonné, j'écarquille les yeux. Je ne comprends pas. Pourquoi s'est-elle autant renfermée ? Elle parlait de tout avant. Dès qu'un truc la chagrinait, elle m'en touchait deux mots. Savoir que ses deux meilleurs potes n'ont pas connaissance de ce qui la ronge me fait halluciner. Il faut à tout prix que je perce ses barrières.
On finit nos boissons chaudes dans le plus grand des silences. Je pense à la manière d'aborder le sujet sans qu'elle se braque. Peut-être que si Deb intervenait, elle en apprendrait plus que moi. Je lui en causerai dès que nous rentrerons au chalet. Même si c'est le réveillon de Noël, je devrais bien trouver deux secondes pour le faire. De toute façon, je n'en ai rien à foutre de cette fête. Non, pas que je ne l'aime pas, mais c'est, toutes les années, la même chose. On passe des heures à table à discuter de tout et de rien, puis on échange nos cadeaux, avant que mes vieux se mettent à danser. Je crois que ce moment est le pire de la soirée. Si gamin, j'appréciais de les voir aussi amoureux, en grandissant, ça m'a gonflé qu'ils nous foutent leur putain d'amour dégoulinant sous la gueule.
Après avoir payé nos consommations, on remonte à la station en bus. Le daron a refusé de me prêter sa caisse pour qu'on aille au ciné. Trop risqué. Trop dangereux. Blablabla. Des fois, je me demande si je n'aurais pas dû venir avec la mienne, au moins j'aurais été libre de mes mouvements.
Alors qu'on attend notre moyen de transport, je vois Lucy en train de se frotter les bras, puis de souffler sur ses mains.
— T'as froid ?
La nuit est tombée depuis quelques heures, entraînant une bonne chute des températures avec elle. Au moment où elle hoche la tête, une idée me traverse le crâne pour la réchauffer. Néanmoins, sans son accord, hors de question que je tente quoi que ce soit. Pas après qu'elle m'ait prouvé qu'elle ne me faisait toujours pas confiance.
— Si je te prends dans mes bras pour qu'on se réchauffe mutuellement, tu te barres ou tu restes ?
En guise de réponse, elle vient plaquer son corps contre moi, laisse ses bras glisser sous les miens et pose ses mains au creux de mes reins. Putain, que c'est bon ! D'un bras autour de sa taille, je la serre un peu plus contre mon torse. Je pourrais rester dans cette position toute la nuit que ça ne me dérangerait pas un seul instant. Je me sens si bien que je me laisse transporter par toutes les émotions qui me grisent. Entraîné, malgré moi,par mes sentiments je pose un baiser dans ses cheveux. Elle relève la tête et ses yeux s'accrochent encore aux miens. De nouveau, nous sommes seuls au monde. Plus rien n'a d'importance si ce ne sont ces deux émeraudes qui me font face. Je crève d'envie de l'embrasser, mais je me retiens. Si elle le souhaite autant que moi, alors qu'elle fasse le premier pas.
— Vous montez les jeunes ?
Putain, fait chier ! Je me retourne vers le chauffeur et le flingue du regard. Il ne pouvait pas arriver quelques minutes plus tard, ce con !
Quand Lu se détache de moi, un sourire diabolique au coin des lèvres, je porte ma main sur mon coeur, pour lui laisser sous-entendre qu'elle me tue. Elle secoue la tête, en émettant un gloussement, puis m'attrape la main et me tire à l'intérieur du bus. Je paie les titres de transport avant de la suivre jusqu'au fond où nous nous asseyons. Je passe mon bras autour de ses épaules et l'attire vers moi. En posant sa tête sur mon torse, elle n'imagine pas combien je crève d'envie de relever son visage pour la galocher jusqu'à ce qu'on arrive. Si elle continue de jouer avec moi, je vais me retrouver à la morgue avant la fin des vacances, tuer par ce foutu désir qui ne me lâche plus.
Quand on arrive à la station, j'ai une barre de fer sous ma braguette. La faute aux doigts de Lu qui se sont glissés sous ma doudoune et mon pull pour venir se réchauffer. Son innocence va finir par me flinguer. À force de lutter pour ne pas me jeter sur elle comme un possédé, j'en perds la boule.
Afin de ne pas lui montrer ce qu'elle a provoqué sous mon fut', je tire sur mon blouson alors que je me lève. J'attends qu'elle soit engagée dans l'allée pour avancer à mon tour. Je marche derrière elle, si près que les effluves de son parfum m'enivre. Un vieux con se faufile entre nous, sans même s'excuser de m'avoir bousculer. Ça n'a pas intérêt d'être un sale pervers sinon je lui défonce le crâne. Là, j'ai déjà du mal à me retenir, alors, s'il s'approche un peu trop d'elle, il va morfler.
Quand je quitte enfin ce bus, Lu est déjà descendu depuis un bail. L'autre enfoiré a laissé passer toutes les femmes qu'il a croisées. Je cherche ma jolie brune du regard, mais elle n'est nulle part. Elle n'a pas pu me lâcher comme ça, si ? Pas après cet après-midi de rêve ! Merde !
Je zieute encore les alentours, rien. Le coeur lourd, je dois me faire une raison. Elle a profité que ce con se foute entre nous pour se barrer.
J'avance en direction des chalets, furax. Alors que je passe devant le bus, qui va rester là toute la nuit, un truc percute mon bras gauche. En me retournant, j'aperçois la neige retombée sur le sol et à quelques pas de là, Lu, morte de rire. Non, sérieux, elle a osé faire ça ?
— Petite vengeance, se marre-t-elle.
— Mouais.
En toute innocence, elle se ramène vers moi. Si elle pense que je vais en reste là, elle a tout faux. Je m'accroupis et amasse de la neige entre mes mains. Avec un regard malicieux dans sa direction, je confectionne une jolie boule.
— Logan… Non, s'il te…
Quand elle comprend que je ne changerais pas d'avis, elle part se planquer. Si elle croit que ça va m'arrêter, c'est mal me connaître. Surtout qu'elle n'est pas assez rapide et que je suis le roi des lancés. Même des boules de neige.
— Logan ! s'insurge-t-elle alors que la poudreuse vient d'atterrir sur son joli petit cul.
J'admets, ce n'est pas l'endroit que je visais, mais ça me fait marrer. Outrée, elle prend sa revanche. C'est une avalanche de petites boules qui s'abat sur moi. Elle me laisse à peine le temps de riposter.
Sans qu'elle s'en rende compte, tellement occupée à me faire perdre la bataille, je me rapproche d'elle. Au moment où elle en prend conscience, elle se barre à toutes jambes. Je lui cours après. J'aurais pu très vite la rattraper s'il n'y avait pas eu cette plaque de verglas sur laquelle je chute lourdement. Putain ! Encore heureux qu'il y a la neige pour amortir la chute, sinon j'aurais pu me péter quelque chose.
Un peu sonné, je m'allonge sur le dos et contemple le ciel étoilé.
— Tout va bien, Logan ?
L'inquiétude dans sa voix me touche en plein cœur. Je me tourne vers elle, le regard malicieux.
— Tu peux m'aider à me relever ? Je crois que je me suis foulé la cheville.
Sans se méfier, elle me tend la main. Je m'empresse de la saisir, mais au lieu de m'en servir pour me lever, je tire avec douceur, néanmoins avec fermeté, pour la déséquilibrer. Mon coup marche du tonnerre. Allongée sur moi, elle me fusille de ses jolis yeux.
— Tu vas me le payer !
Je sais que ce n'est pas méchant, cependant je m'attends quand même au pire avec elle. Alors qu'elle se redresse pour s'asseoir sur moi, son sexe vient s'appuyer sur le mien. Pas besoin de deux plombes pour que ma queue réagisse.
C'est ça, sa vengeance ? Elle veut ma mort, ouais ?
Quelque chose change subitement dans son regard. La panique semble la gagner. Affolée, elle se relève d'un bond comme si elle avait le feu au cul. Et quel sacré cul !
Sans même m'attendre, elle s'éloigne en direction du chalet.
— Lu ? Lucy ?
À force de l'appeler, elle finit par s'arrêter.
— Je suis désolée, Logan. Je ne voulais pas de ça.
Quoi ? Qu'est-ce qu'elle raconte ? Je suis complètement largué.
— De quoi tu parles ?
Ses joues rougissent avant qu'elle montre mon entrejambe d'un signe de main.
— Ce qu'il s'est passé, je n'ai pas fait exprès. Je ne pensais pas que… je voulais juste te faire bouffer de la neige.
En m'approchant un peu plus d'elle, je remarque une larme sur sa joue. Elle la chasse dans un geste rageur avant de se retourner et de se casser. J'ai l'impression qu'elle me fuit à nouveau et tout ça pour une réaction qui n'est même pas de sa faute.
En quelques enjambées, je la rattrape, saisis son poignet pour l'obliger à s'arrêter et me faire face. Elle tente de s'échapper, mais je refuse de la laisser. Elle a besoin de moi, de mon aide. Je ne connais toujours pas l'origine de son cauchemar, cependant quelque chose me dit que c'est lié.
— Je ne voulais vraiment pas, Logan, sanglote-t-elle, les yeux fixés sur le sol.
Je déteste la voir ainsi. Putain, dire qu'on était en train de se marrer comme des gosses !
Je pose mes doigts sous son menton et l'oblige à capter mon regard.
— C'est normal de bander quand une fille nous fait un effet de dingue, mais ça ne veut pas dire qu'elle a fait quelque chose de particulier pour nous allumer.
Sa grimace m'indique qu'elle n'est pas très convaincue par mes explications.
Comment a-t-on pu lui laisser gober qu'une réaction normale de mec puisse être entièrement de sa faute ? Je hais, quelque chose de correct, le ou les connards qui lui ont laissé croire l'inverse.
— Tu me plais un truc de malade, Lu, et il me faut pas grand chose pour me retrouver avec une trique.
— J'ai cru que…
Je pose mon index sur ses lèvres pour la faire taire et l'attire contre moi. Le sujet est clos, je ne veux plus en parler.
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