29 - Lucy
Depuis quelque temps, j'ai l'impression qu'on m'épie chaque fois que je me rends au travail. Logan ou Killian m'assurent qu'il n'y a rien, pourtant ce sentiment n'arrive pas à me lâcher. Rien ne parvient à me rassurer, même pas le fait que mon copain et mon frère de cœur aient vérifié les alentours à plus d'une reprise sans rien trouver de louche. Aujourd'hui, ce mauvais pressentiment est pire que d'habitude, il en est presque oppressant. Assise dans la voiture de Killian, je regarde tout autour de moi à la recherche de je-ne-sais quoi qui me prouverait que j'ai raison. Au moment où je lève les yeux vers l'immeuble d'en face, j'aperçois un rideau se fermer rapidement, ce qui ne fait qu'accentuer la boule d'angoisse qui me noue le bide.
—Qu'est-ce qu'il y a ? Demande Killian face à mon regard inquiet.
—Je...je...quelqu'un nous observait, balbutié-je.
Il lève les yeux et presse ma cuisse.
—Lucy, je t'ai déjà dit que tu te faisais des films ! Que ce soit Logan ou moi, on a déjà vérifié. Je pense que tu t'inquiètes parce que la police n'a toujours pas retrouvé l'autre connard. Mais tu ne penses pas que s'il avait voulu mettre la main sur toi, il l'aurait fait depuis longtemps ?
C'est vrai, il n'a pas tout à fait tort. Je pense que le savoir encore dans la nature ne m'aide pas à lâcher totalement prise. Même si mes cauchemars se font de plus en plus rares, il m'arrive encore certaines nuits de rêver à tout ce qu'il m'a fait et de me réveiller avec la bile au bord des lèvres. Heureusement que Logan ne met pas longtemps à s'en apercevoir et à me prendre dans ses bras pour me rassurer. D'ailleurs, parfois, je me demande s'il n'a pas un sixième sens, à moins que je prononce encore son nom quand je fais ce genre de mauvais songe.
— Ça fait déjà neuf semaines que tu ne vis plus chez eux, alors cesse de ressasser tout ça. Profite de Logan...ou de moi si tu veux, ajoute-t-il en ouvrant ses bras et bombant son torse.
— Idiot ! m'exclamé-je en lui donnant une petite tape sur le bras.
Devant mon attitude outrée, il explose de rire. L'entendre est hilarant, c'est le genre de rire où, même si vous êtes furieux, vous ne pouvez pas rester de marbre.
— Allez, file, maintenant, sinon tu vas être à la bourre.
— Oui, papa, le taquiné-je.
Je pose un rapide bisou sur sa joue, avant de quitter sa caisse. Tandis qu'il s'éloigne, je ne peux m'empêcher de jeter un nouveau coup d'œil aux alentours. Soulagée de ne rien remarquer d'anormal, je parcours la courte distance jusqu'à la librairie.
Aussitôt que j'y entre, madame Lopez m'appelle depuis son bureau au fond de la boutique. Comme ce n'est pas dans ses habitudes, je m'y rend en traînant un peu des pieds. Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour qu'elle puisse vouloir me voir à mon arrivée ? J'essaie de me rafraîchir la mémoire, cependant je ne vois pas quelle faute j'ai pu commettre. La caisse était juste hier soir, tout comme les autres fois.
Bien que la porte soit grande ouverte, je décide tout de même, par politesse, d'y toquer.
— Entre, Lucy.
Les doigts noués dans le dos, je m'exécute. Ma patronne se trouve debout derrière son bureau, sur lequel traîne une boîte en carton qui en remplit la moitié de la surface.
—J'ai trouvé ce colis pour toi devant la boutique en arrivant ce matin, m'informe-t-elle en posant une main dessus..
J'ouvre la bouche et la referme aussitôt, étonnée que quelqu'un ait pu m'envoyer un cadeau ici. Mes amis, ainsi que mon père savent où j'habite, il y a donc très peu de chances que ce soit l'un d'eux. À moins que Logan ait eu envie de me faire une surprise pour me dire qu'il pense à moi quand je travaille, qui sait ? Il est tellement surprenant parfois. Peut-être même que ma patronne est dans la combine ? En tout cas, aucun indice ne me permet de deviner qui en est l'expéditeur. J'ai beau chercher, je ne trouve aucun nom, hormis le mien. En plus de ça, son auteur a décidé de le dactylographier, afin que je n'en reconnaisse pas l'écriture. Mon cœur se met à battre un peu plus vite, en s'imaginant que c'est vraiment de la part de mon mec. Rêveuse, je laisse glisser mes doigts sur le carton et un sourire béat se dessine sur mes lèvres.
—Tu ne l'ouvres pas ? me surprend ma patronne.
Je me tourne vers elle, sourcils froncés, avant de me reprendre.
—Si, si.
Lentement, la tête toujours dans les étoiles, j'ouvre l'emballage. Quand je découvre ces fringues que je hais tant, mon sourire s'efface et une peur incommensurable me prend aux tripes. D'une main tremblante, je le referme aussitôt. Impossible ! Il ne peut pas savoir que je travaille ici ? Ou alors, cela signifie que je n'ai pas rêvé ? Oh, mon Dieu, non ! La panique me gagne. Je glisse mes mains dans mes cheveux, totalement affolée. Je tourne en rond dans cette pièce, sans savoir où aller.
Madame Lopez me scrute d'un drôle de regard, avant de sortir ce qui me rebute le plus au monde. Des images fugaces de toutes les fois où il m'a touchée me percutent avec une force inouïe. Mon estomac se contracte violemment. Je vais vomir.
Je me précipite jusqu'aux toilettes, ma patronne sur mes talons. Pendant que je rends tout mon déjeuner, elle me retient les cheveux. Dès que je me redresse, elle me prend dans ses bras et me caresse les cheveux, à la manière d'une mère aimante. Elle ne dit rien alors que je pleure dans ses bras.
— Ça ne vient pas de Logan, n'est-ce pas ? me questionne-t-elle en me ramenant vers son bureau.
Elle m'aide à prendre place sur une chaise, tellement je tremble.
— Non, réussis-je à prononcer.
— Tu as une petite idée de qui a pu t'envoyer cela ? me demande-t-elle en désignant le colis.
Je le sais malheureusement que trop bien, mais je ne veux pas lui répondre. Lui dévoiler à voix haute la vérité rendrait les choses bien trop concrètes. Je secoue la tête pour lui laisser croire que je n'en ai pas la moindre idée..
Visiblement perplexe, elle fouille le contenu du carton. Je ne sais pas ce qu'elle y cherche, mais je refuse qu'elle y trouve quoi que ce soit. Je veux que cette horreur cesse. Je veux revenir à ce matin, me lover dans les bras de Logan, lui faire l'amour et oublier le cauchemar éveillé que je suis en train de vivre.
—Tiens, me dit-elle en me tendant un bout de papier.
Je m'empare de la feuille, sur laquelle j'aperçois l'écriture grossière de ce monstre. Les larmes me brouillent à nouveau la vue.
Perdue face à cette horreur, je me lève, fais quelques pas et titube. Je me retiens d'une main contre le mur, essayant de rassembler mes esprits. Cependant, tout ce que je vois, c'est qu'il m'a retrouvée et qu'il attend son heure pour venir me chercher.
—Lucy, tu es pâle comme un linge. Tout va bien ?
Je secoue la tête avant de me laisser choir sur le sol. Mon cauchemar reprend vie. La feuille toujours entre mes mains, je laisse mes perles salées couler le long de mes joues. Sans aucune résistance de ma part, elle s'empare du bout de papier. Je ne réalise pas vraiment ce qu'elle en fait, tant je suis sous le choc.
—Oh, mon Dieu, Lucy ! laisse-t-elle échapper avant de plaquer ses mains sur sa bouche.
Elle est effarée et moi bien trop effrayée par tout ça. Je n'ose même plus bouger, ne serait-ce qu'un doigt, de peur de faire apparaître cet homme qui me terrorise tant.
— Ne t'inquiète pas, tu ne risques rien ici.
J'essaie de m'en convaincre en hochant la tête, mais la boule qui me serre la trachée m'en empêche.
—C'est Sue. Lucy vient de recevoir un colis. Je pense qu'il y a un gros problème. Est-ce que quelqu'un peut venir la chercher ? l'entends-je prononcer.
Je ne veux pas que n'importe qui vienne, je ne veux que Logan. Il n'y a que lui qui pourra m'aider à ne pas sombrer dans cet enfer.
— Logan, dis-je d'une toute petite voix.
Ma patronne me jette un regard désolé, avant de répondre à son interlocuteur.
—Ok, je t'attends. Appelle-moi quand tu arriveras…. Je t'ouvrirai la porte de derrière. Surtout ne te gare pas devant et pas trop loin non plus.
Je ne comprends pas tout, néanmoins ces derniers mots me glacent d'effroi. Pourquoi lui demanderait-elle de passer par-derrière si je ne risquais rien ?
—Tu vas rentrer chez toi, aujourd'hui. Karol va venir te chercher. Je vais me débrouiller avec la boutique, me dit-elle en venant s'asseoir près de moi.
Incapable de prononcer le moindre mot, j'opine du chef.
Quand la mère de Logan arrive, je suis toujours à même le sol. Madame Lopez lui tend le mot qui m'a replongée en plein chaos. À son tour, elle se décompose, avant de porter un regard maternel sur moi. La scène me semble si irréelle que j'ai l'impression de la vivre d'en dehors de mon corps, comme si j'étais devenue une simple spectatrice.
— Ne t'inquiète pas, Lucy, Mike va s'en occuper, tente-t-elle de me rassurer en venant s'asseoir à côté de moi.
Elle pianote rapidement sur son téléphone de sa main droite tandis que de son bras gauche, elle m'attire contre elle.
—Qu'est-ce qu'il y a écrit ? parviens-je à lui demander.
—Oublie ce mot, Lucy, me répond la mère de Logan sur un ton calme et posé.
Dès qu'elle en a terminé avec ses messages, elle se relève et me tend une main pour m'aider à en faire autant. Nous sortons ensuite par la porte de derrière, comme le lui a dit ma patronne. Je la suis jusqu'à sa voiture, totalement aspirée par ce mauvais rêve.
— Où est Logan ? lui demandé-je en bouclant ma ceinture.
— Il nous attend à la maison.
Le trajet jusqu'à chez eux se déroule dans le plus grand des silences. J'ai tellement hâte de me jeter dans les bras de mon copain, qu'il me paraît durer une éternité.
Dès que nous arrivons, je me précipite vers Logan, qui nous attend sur le perron. À son expression grave, je sais qu'il est inquiet. Il me serre fort contre lui, en me promettant qu'il ne laissera personne me faire du mal. Je pose mes lèvres sur les siennes, afin de me raccrocher au moment présent. Je veux laisser derrière moi ce présent empoisonné.
—Ton père est là ? Lui demande sa mère.
Logan se détache de moi pour pouvoir lui répondre.
—Il n'a pas pu se libérer. Il rentre le plus vite possible.
—Entendu. Vous devriez rentrer tous les deux, vous serez mieux à l'intérieur.
D'un bras autour de mes épaules, il m'entraîne dans la maison. Dès que nous en franchissons la porte d'entrée, il me propose de monter dans sa chambre afin que nous soyons seuls. Il sait exactement ce dont j'ai besoin au moment où j'en ai le plus besoin. Mon cœur retrouve un peu de sa normalité alors que je le suis jusqu'à l'étage. Une fois dans notre antre, encore sonnée par tout ça, je me laisse tomber sur son lit.
—Comment tu te sens ? Me demande-t-il en refermant la porte.
—Je...Je ne sais pas... J'ai l'impression de vivre un cauchemar.
Et c'est la vérité. Je n'arrive pas à me dire que tout ça est bien réel, si je venais à le faire, toutes les barrières que je me suis efforcée d'ériger pour vivre normalement s'écrouleraient comme un château de cartes sur lequel on souffle un peu trop fort.
—Tu ne risques rien ici, me rassure-t-il en venant s'asseoir à côté de moi.
Je hoche la tête avant de la poser sur son torse. Il m'enlace dans ses bras et me serre si fort, que je ne suis plus très certaine qu'il dit vrai. Il semble lui aussi apeuré et ça me fiche encore plus la trouille.
Un lourd silence s'abat sur nous tandis qu'il cherche à me rassurer par sa simple présence.
—Logan, est-ce que tu sais ce qu'il y avait écrit sur le mot ? finis-je par lui demander.
Il hoche la tête avant de déposer un baiser au sommet de la mienne.
— Oui, mais je n'ai pas envie d'en parler, me confie-t-il.
— C'est bien de lui, n'est-ce pas ?
Je n'ai pas besoin de préciser, il sait de qui je parle. Personne ne peut me faire plus peur que lui. Il opine du chef, avant de soulever mon visage vers le sien, pour plonger son regard dans le mien.
—Je ne veux plus qu'on parle de ça.
La lueur qui brille dans ses prunelles m'indique clairement que ça le met en rage.
— Je crois qu'on pourrait s'occuper l'esprit autrement, ajoute-t-il avec un nouvel éclat dans le regard, bien plus espiègle.
Pour me faire comprendre ce qu'il a en tête, il caresse mes lèvres de la pulpe de son pouce. La bouche entrouverte, je lui donne mon accord. Moi, aussi, je veux me changer les idées. J'en ai plus que besoin.
Un doux sourire illumine son visage, avant qu'il ne vienne s'emparer de l'objet de sa tentation. Il m'embrasse avec une infinie douceur. Jamais, je ne pourrais me lasser de ses baisers. Qu'ils soient tendres ou bien brûlants, ils sont tous divins.
Ses lèvres contre les miennes, j'en oublie ma terreur. Il n'y a plus que lui qui compte. Lui et ses baisers. Lui et sa bouche au goût de menthe.
Avec tendresse, il m'allonge sur le lit et me surplombe de son corps. Notre échange devient alors bien plus langoureux, bien plus profond. Ses mains remontent ma jambe, ses doigts partent à la recherche du bouton de mon jeans…
Et merde !
Quelqu'un vient de toquer à la porte et sans même attendre la réponse, l'intrus l'ouvre.
Logan se redresse aussitôt pour fusiller du regard sa sœur, qui se précipite vers moi.
— Putain, tu ne sais pas attendre, Deb ? grogne-t-il, mécontent d'avoir été interrompu dans ce qui aurait pu nous faire oublier cet atroce colis.
Ma meilleure amie hausse les épaules, comme si ce que venait de lui dire son aîné n'avait aucune importance.
— Maman m'a tout raconté. Il fallait que je vois Lucy.
Son inquiétude semble plus que réelle.
—Ouais mais imagine…
Même si j'aurais préféré continuer avec lui, je ne peux pas le laisser s'en prendre comme ça à sa sœur.
—C'est bon, Logan, l'interromps-je. Deb est juste inquiète pour moi.
Il glisse sa main sur sa nuque avant de s'éloigner vers la fenêtre.
Je m'assois au milieu du lit pour la laisser me rejoindre. Elle me prend aussitôt dans ses bras et me serre à m'en étouffer.
—Quand ma mère m'a dit ce qu'il se passait, j'ai cru péter un câble. Cet enfoiré t'a retrouvé ! Franchement, quel connard ce type, s'il s'imagine que tu lui appartiens !
—Quoi ? m'étonné-je.
—Tu n'as pas lu le mot ?
Un coup violent, donné certainement contre le mur, me fait tourner le regard en direction de Logan. Son visage est devenu totalement cramoisi sous la colère qui semble le ronger.
— Ferme ta putain de gueule, soeurette ! explose mon copain.
Mes yeux naviguent entre le frère et la sœur. Si l'un semble hors de lui, l'autre joue nerveusement avec ses doigts. Visiblement, elle vient de commettre une énorme bourde.
— Mais tu ne risques rien ici, tente de se rattraper ma meilleure amie.
Je n'ai pas besoin de lire le mot pour comprendre désormais le message de cet être abject qui me répugne. Je suis sa chose et il a bien l'intention de remettre la main sur moi. S'il y parvient, je ne donne pas chère de ma peau. La dernière fois que j'ai fugué, il m'a montré qui était le maître chez lui. La peur au ventre, je me souviens des coups que je me suis pris.
Totalement effrayée, je lance un appel de détresse silencieux à Logan. Je ne veux plus jamais vivre ça. Pitié, non !
— Dégage, Deb ! lui lance-t-il sur un ton acerbe.
— Je suis désolée, je n'ai pas pu tenir ma langue.
Tandis qu'il se dispute, la panique me gagne. Une boule oppressante me comprime la poitrine, l'air se raréfie. J'ai l'impression de mourir.
— Je suis là, bébé. Respire, me murmure Logan en me berçant contre lui. On va s'en sortir. Il ne te touchera plus, je te le promets.
Annotations
Versions