40 - Killian

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Debout devant le miroir des chiottes de l'avion, je scrute mon reflet. Mes cernes, qui accentuent la noirceur de mon regard, et ma barbe de trois jours me confèrent un look encore plus dangereux que les autres jours. Je glisse ma main dans mes cheveux en bataille pour leur redonner un peu de style, avant de revenir dans la cabine. Les gens se retournent sur mon passage, comme s'ils n'avaient rien d'autre à foutre de ce temps libre imposé. J'adresse un sourire carnassier à une vieille dame, qui a cru bon de me dévisager avec une sale grimace sur la tronche. D'un coup sur son accoudoir, je la fais sursauter.. Outrée par mon attitude de connard, elle se renfrogne dans son siège.

Maintenant, je me marre comme un con. Ça a au moins le mérite de me détendre et j'en ai bien besoin. Mon séjour dans ma ville natale a été une véritable horreur. Entre le gang qui m'a tourné le dos, ma chambre miteuse, et c'est peu de le dire, puis le coup de fil de Debbie, comme un appel à l'aide, juste avant mon départ, je suis verni. Là, je n'ai qu'une hâte, rentrer et me barricader dans ma piaule jusqu'à demain. Enfin ça, ce serait dans l'idéal, parce que dans la réalité, dès que je vais foutre un pied à l'aéroport, une petite brune sera en train de m'attendre avec impatience. Quel con aussi j'ai été de lui dire de venir me chercher ! Je suis tellement claqué que je vais vraiment être de sale compagnie. Le mieux serait de la prévenir, je n'ai pas envie qu'elle supporte mon caractère de merde. La pauvre, elle a déjà bien assez à encaisser avec son frangin. D'après ce que j'ai capté, il semble avoir complètement pété les plombs. Comment a-t-il pu l'insulter ? Il a de la chance que je n'étais pas là-bas, sinon je me serais fait un immense plaisir de le recadrer.

De retour à mon siège, je sors mon smartphone de ma poche, me branche au réseau wifi de l'avion et me connecte à instagram. C'est la seule façon que j'ai pour pouvoir laisser un message à la frangine de mon pote dans cet oiseau d'acier.

Très vite, je constate qu'au cours du week-end, Debbie a liké quelques-unes des vieilles photos que j'ai posté sur ma page avant que Tess ne s'envole. Sur l'une d'elle, elle y a même laissé un commentaire, qui me fait sourire comme un con.

J'aimerais bien te voir patiner, BG.

Ces quelques mots sont écrits sous l'image prise lors d'une rencontre qu'on avait remportée en se battant comme des rapaces. On pose au milieu de la patinoire, tout sourire et super fiers. Il faut dire que l'équipe adverse nous en a vraiment fait baver ce soir-là et pourtant on a fini par les faire sortir la queue entre les jambes.

Puisqu'elle a décidé de regarder ma page, je finis par en faire tout autant avec la sienne.

Elle semble être du genre à partager tous les événements de sa vie, depuis pas mal de temps. Elle pose à plusieurs reprises, soit avec Kim, soit avec Lucy, dans des poses complètement hilarantes. En voyant ma sœur de cœur si épanouie, une vive douleur me traverse. Je ferme les yeux un instant, avant de les rouvrir, plus déterminé que jamais. Si les flics ne l'ont toujours pas retrouvée dans quelques jours, j'agirai. Et je sais exactement comment. Comme ceux que je croyais être ma famille m'ont lâché, je ne leur dois plus rien. Je suis libre d'intégrer un nouveau gang si ça me chante. Et c'est ce que je ferais. Je trouverais le moyen de me joindre à eux pour la libérer de leur griffe, peu importe que ça me coûte ma liberté. De toute façon, qui se souciera de moi ? Mes vieux ? Même pas en rêve. Mon cousin ? Je n'y crois pas une seule seconde.

Mais, avant tout, je dois envoyer un message à Debbie pour lui dire que ce n'est pas la peine qu'elle vienne me chercher.

Hey ! Juste pour te dire que ce n'est pas la peine que tu te déplaces. Je suis complètement mort.

Sa réponse me parvient dans l'instant.

Trop tard. Je suis déjà à l'aéroport. Trop le bordel chez moi, je t'expliquerai quand tu arriveras.

Surpris qu'elle soit déjà en train de m'attendre, je jette un œil sur l'heure. Il reste encore une bonne heure de vol. Ça doit être vraiment l'enfer chez elle pour qu'elle soit aussi en avance.

On échange quelques messages supplémentaires, avant que je décide de me reposer.

Quand je rouvre les yeux, l'avion est sur le point d'amorcer sa descente. Plus que quelques minutes et je vais enfin pouvoir me dégourdir les jambes. Pas trop tôt !

Dès que les roues sont bloquées, j'attrape mon sac de voyage et quitte la cabine. L'aérogare est bien moins bondé que celui de Boston. En peu de temps, mes prunelles se posent sur la petite brune aux yeux azuréens qui m'attend depuis un bail. Je laisse mon regard couler le long de son corps quelques secondes, avant d'aller la rejoindre.

— Killian ! s'extasie-t-elle en se jetant dans mes bras.

Surpris par cet enthousiasme, je recule d'un pas.

— Woh, doucement, Debbie !

Elle relève son regard vers moi, avant de défaire son étreinte.

— Désolée. Je suis tellement contente de te voir. Chez moi, c'est l'horreur, t'imagines même pas à quel point. T'as fait bon voyage ? Tout s'est bien passé ? T'as mangé ? Moi, non, alors si tu veux, on pourrait aller bouffer quelque part, t'en penses quoi ?

Devant ce débit de paroles, je me mets à sourire. Quelque chose me dit que ma présence la trouble.

— Alors, oui, j'ai fait bon voyage. Non, je n'ai pas encore bouffé. Et pour ta dernière question, c'est genre un rencard ?

Ses joues rougissent aussitôt, avant qu'elle ne se reprenne et me lance drôle regard, outrée, certainement, qu'une telle idée puisse me traverser le crâne..

— Un rencard, non, mais n'importe quoi ! me lance-t-elle en me donnant un léger coup dans le bide. Et en plus, tu n'as pas répondu à toutes mes questions. Ça s'est bien passé ou pas à Boston ?

J'éclate de rire devant son attitude. Au moins, elle a le don de me changer les idées. Et j'admets que j'en ai plus que besoin.

— Ouais, réponds-je sans m'attarder sur la question.Tu veux qu'on aille où ?

Elle hausse les épaules.

— Comme tu veux.

Si j'en avais les moyens, je l'emmènerais bien bouffer dans ce resto dont tout le monde parle et qui fait les meilleurs burgers de la ville. Mais, vu que ce n'est pas le cas, autant aller dans un fast-food sur Central Avenue. Surtout que comme ça, si je suis vraiment trop claqué, je n'aurais pas beaucoup à marcher pour rentrer chez ma tante.

— Ça te branche d'aller chez Wendy's ?

Ses lèvres se retroussent légèrement, visiblement ravie face à cette idée.

— Oui, pourquoi pas ?

Tandis que nous nous dirigeons vers le parking souterrain, je ne peux m'empêcher de lui jeter des œillades. Je n'avais jamais remarqué à quel point cette fille était jolie.

— Pourquoi t'arrêtes pas de me mater ? finit-elle par me demander, intriguée.

Je hausse les épaules. À vrai dire, je n'en sais strictement rien. Peut-être parce que j'ai envie de passer un moment agréable avec elle après ce week-end plus que pourri, histoire de me changer les idées. Ou alors parce qu'elle me plaît vraiment et que je n'ai pas envie de me l'avouer. Si c'est bel et bien le cas, je suis dans la merde jusqu'au cou. Depuis la perte de Tess, je me suis toujours juré de ne jamais m'approcher de la frangine de l'un de mes potes. Si Logan était resté cet enfoiré avec Lucy, je ne me serais pas gêné pour coucher avec sa sœur, mais depuis qu'ils se sont foutus ensemble, ça change la donne.

— T'aimes pas qu'on te mate ? finis-je par lui demander, en lui jetant un regard espiègle, juste pour voir si je lui fais vraiment de l'effet ou si j'ai rêvé.

— Euh… Ben disons que...

Devant sa gêne, je ne peux m'empêcher de sourire encore une fois.

Bien vu, mon gars.

— Disons que venant de ta part, c'est plutôt bizarre, se reprend-elle.

— Ah, ouais et pourquoi ?

Plutôt que de me répondre, elle ouvre sa caisse et s'engouffre dedans. Je crois que je viens de marquer un point, même si je ne sais pas vraiment quelle bataille on mène. Je vais juste devoir faire gaffe de ne pas me laisser avoir par ses beaux yeux pour éviter de m'y perdre.

Dès que je claque la portière, elle démarre la bagnole. Un quart d'heure après, nous arrivons dans la rue principale du centre d'Albuquerque. Pas un seul mot n'a été échangé au cours du trajet. Par contre, je ne suis pas stupide, j'ai bien capté les quelques rapides regards qu'elle me lançait. En même temps, si elle ne voulait pas que je le remarque, elle aurait dû se montrer un peu plus discrète. Son attitude me fait marrer. Si j'étais de meilleure humeur, je m'en amuserais bien un peu. Là, je suis juste trop mort pour la taquiner.

Lorsque nous débarquons chez Wendy's, c'est tellement noir de monde que je me demande si on va pouvoir poser notre cul quelque part. Deb doit se faire la même réflexion, puisqu'elle semble fouiller la salle du regard.

— Merde, on ne va pas pouvoir manger ici !

— On pourrait prendre à emporter et aller bouffer ailleurs ?

À sa grimace, mon idée ne semble pas être celle du siècle.

— Ça pèle dehors…

Là, c'est quand même assez relatif. Comparé à Boston, il fait presque chaud. Néanmoins, pour une fille de cet État, je veux bien croire qu'il fasse plutôt frisquet.

— Ma tante habite pas loin, on pourrait y aller. Qu'est-ce que t'en penses ?

— Euh…

Apparemment, se rendre chez Jenna semble la foutre mal à l'aise. Elle a la trouille que je me jette sur elle ou quoi ?

— Je ne te propose pas de passer la nuit dans mon pieu, mais juste d'aller bouffer au chaud. Alors ?

Ses joues s'empourprent, avant qu'elle ne hausse les épaules.

— Je ne sors pas avec les petites sœurs de mes potes et je baise encore moins avec elles, si ça peut te rassurer, ajouté-je, pour tenter de faire pencher la balance dans mon sens. C'est trop la merde ensuite.

— Et qui te dit que moi, je voudrais sortir avec toi ou même coucher ?

Cette fois, c'est moi qui hausse les épaules. C'est vrai, ce n'est pas parce que ses joues prennent la même couleur que celle d'une tomate que ça signifie quoi que ce soit. Il faut que j'arrête de tirer des plans sur la comète. Elle n'est peut-être pas habituée à ce qu'un gars lui parle comme moi.

— Bon, on fait quoi ? On attend qu'une place se libère ou on dégage au chaud chez ma tante ?

Elle jette un nouveau coup d'œil à la salle, avant de me répondre :

— Va pour chez ta tante. Mais, je te promets que si tu tentes quoi que ce soit…

— Je ne suis pas un connard, la coupé-je, en lui jetant un regard qui la cloue sur place.

— Pardon, s'excuse-t-elle. Je n'ai jamais pensé que tu étais ce genre de type.

J'accepte ses excuses d'un vague mouvement de la tête et d'un léger sourire. Je sais que je n'aurais pas dû m'emporter, mais ce genre de choses me fout hors de moi. Encore plus quand je suis mort.

Après avoir pris nos commandes, nous nous rendons chez Jenna. Tandis que nous marchons, nous parlons de tout et de rien sans jamais aborder les sujets douloureux. La rue n'est pas l'endroit idéal pour en discuter, on y viendra bien assez tôt lorsque nous serons tranquilles dans ma piaule.

Jenna m'accueille avec un large sourire dès que je franchis le seuil de la porte. Ça fait du bien de voir que je compte au moins pour quelqu'un de ma famille. Heureux, je me permets d'aller l'embrasser, avant d'inviter Debbie à entrer.

— On va aller manger dans ma chambre, previens-je ma tante en lui désignant le sac Wendy's.

— Tu pourrais me présenter ton amie, Killian.

Je me tourne vers l'amie en question, qui se tient toujours à l'entrée, comme si elle n'osait pas déranger ma tante.

— Je te présente Debbie, une camarade.

Ma tante lève un sourcil interrogateur, comme si elle était surprise par ce que je viens de lui dire, avant qu'une drôle d'expression s'affiche sur sa tronche. Sérieux, qu'est-ce qu'elle est en train de s'imaginer ?

— Une camarade, hein ?

J'opine du chef, avant de préciser :

— On fait partie de la même bande de potes.

Une drôle de lueur brille dans le regard de ma tante tandis qu'elle dévisage Debbie. Elle cherche à nous foutre mal à l'aise ou quoi ?

— Enchantée, Debbie, finit-elle par lui dire en allant lui serrer la main, puis elle ajoute à mon intention : si vous avez besoin de quoi que ce soit, je serai devant la télé.

J'opine du chef, puis invite Debbie à me suivre dans ma piaule.

— Killian, me rappelle Jenna au moment où j'allais fermer la porte.

— Va t'installer, invité-je Debbie à le faire, avant d'aller rejoindre ma tante. Quoi ?

Jenna regarde un instant en direction de la jolie brune, avant de se tourner vers moi. À son visage grave, elle a l'intention d'avoir une discussion sérieuse avec moi. Merde ! J'espère qu'elle ne va pas me sortir l'histoire des abeilles qui butinent etc, etc. C'est bon, je ne suis plus un môme.

— Elle est très jolie, non ?

Je hausse les épaules. Même si je le pense, elle n'a pas besoin de savoir.

— Je sais que tu n'es plus un gamin, mais je n'accepterai pas que… enfin, tu vois quoi ?

Je me marre devant sa gêne. Ma tante est peut-être psy, mais parler de sexe semble être assez tabou, à moins que ce ne soit parce que je suis son neveu.

— Ne t'inquiète pas, je n'ai pas envie de la sauter.

— Killian ! s'étrangle-t-elle, scandalisée par mon langage un peu trop cru.

Mort de rire, je lui claque une bise sur la joue, puis pars rejoindre Debbie dans ma piaule. Quand j'y entre, cette jolie brune se tient debout, les mains croisées dans le dos. Elle regarde en direction de mes trophées, la seule chose que j'ai conservé de mon ancienne vie.

— On dirait la chambre de mon frangin, me déclare-t-elle en se tournant vers moi, un triste sourire sur les lèvres.

Je lui en adresse un chaleureux en retour et l'invite à venir me rejoindre sur le lit pour qu'on puisse commencer à remplir nos bides. Et surtout pour qu'elle me de ce qui sembler la tracasser.

— Alors, c'est autant l'enfer que ça chez toi ? lui demandé-je après avoir croqué dans mon sandwich.

Elle hoche simplement la tête. De toute façon, même sans ça, juste avec le voile de tristesse qui recouvre son regard, j'aurais obtenu ma réponse. La voir si triste me donne envie de la serrer contre moi. Peut-être que si je le faisais, elle se sentirait mieux ou alors au contraire, elle me fuirait en courant. J'en ai aucune idée et je n'ai aucune envie d'obtenir une réponse.

— Logan s'en prend à tout le monde dès qu'on lui adresse la parole. Il a même bousculé ma mère tout à l'heure, parce qu'elle refusait de le laisser sortir. Je ne sais pas ce qu'il fout de ses nuits, ni avec qui ils trainent, mais il n'est plus lui-même.

Elle laisse passer un ange durant lequel je peux voir à quel point ça la blesse. Putain, il ne peut pas voir que sa frangine a aussi besoin de lui ? Ensemble, ils seraient plus fort pour affronter cette merde !

— Et en plus, dans tout ça, mes vieux n'arrêtent pas de se prendre la tête. Ma mère reproche sans arrêt à mon père de ne pas faire son taf correctement et lui rétorque qu'elle ferait mieux de s'occuper de son fils que de ses affaires. Je ne les ai jamais vus se disputer aussi méchamment. Je ne dis pas qu'ils ne le font pas, mais en général l'un des deux se barre jusqu'à ce que l'orage soit passé et ensuite, ils discutent tranquillement. Là, c'est du matin au soir.

Elle croque dans son sandwich, certainement pour ne pas me montrer combien cette situation la fait souffrir. Je vais vraiment devoir remettre son frangin dans le droit chemin. J'espère qu'il n'a pas eu la même putain d'idée que moi et qu'il n'est pas allé rejoindre le gang pour tenter de la sauver. Il a peut-être des couilles, mais il n'en aura jamais assez pour encaisser ce qui se passe dans ces milieux. Puis, merde, c'est le gosse du procureur, pas un gamin de la rue ! Il a une vie toute tracée devant lui, il ne doit pas faire le con. Ça, c'est mon rôle. Moi, je n'ai plus aucun rêve, ni espoir.

— Et toi ? finis-je par lui demander.

Elle relève la tête dans ma direction et plante son regard dans le mien.

— Moi, quoi ?

— Est-ce que quelqu'un pense à ce que toi tu ressens ?

Elle mordille sa lèvre quelques secondes.

— Non, je suis devenue invisible à leurs yeux.

Quand une larme se déverse sur sa joue, je pose mon sandwich et la prends dans mes bras. Tant pis si elle me repousse, elle a trop besoin d'une épaule sur laquelle s'appuyer.

— On va la retrouver. Ta famille ne se déchirera pas, je te le promets.

Si je ne veux pas qu'un nouveau drame se produise, je sais ce qu'il me reste à faire. Pour lui. Pour elles. Je dois les rejoindre et sortir Lucy de leurs putains de griffes.

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