45 - Logan
Voilà, presque deux semaines que je n'ai pas refoutu les pieds au bahut. Samedi, j'ai promis au coach d'y retourner, mais hier, je n'ai pas pu y aller. Reprendre avec une matière commune m'aurait tué. Je n'aurais pas pu l'encaisser. Je le sais. J'en suis bien trop conscient. Personne n'aurait pu me retenir et je crois que j'aurais recommencé mes conneries. Cette fois, Coach n'aurait rien pu faire pour moi. J'aurais dérivé jusqu'à en crever.
J'ai donc traîné toute la journée, mon cul sur le canapé, à me défouler sur ma console. Je voulais juste oublier que revenir parmi les vivants était aussi douloureux. Pourtant, mes souvenirs d'elle ne se sont pas gênés pour me plaquer au tapis à plus d'une reprise. J'ai chialé comme un gosse, jusqu'à me retrouver en boule comme un nouveau-né. J'ai hurlé ma rage, mon amour pour elle et mon désespoir. Mais, j'ai tenu bon. Malgré tout ce que je ressentais, j'ai tenu bon. Je le dois. Pour elle. Quand j'ai cru lâcher, je l'ai imaginé en train de me secouer, en me criant dessus que je n'étais pas en droit de me laisser aller, que je devais me battre et avancer. Ça m'a fait comme un électrochoc. Je suis tellement dingue d'elle que je suis prêt à tout pour elle, même à obéir à son fantôme.
Assis devant mon bol de céréales, je joue plus avec que je ne bouffe. Une boule me tord les boyaux, au point de me couper l'appétit. Deb ne me lâche pas une seule seconde du regard depuis que j'ai débarqué ici. Lourd. Pesant. Saoulant même à force. Claqué, je finis par lui jeter un regard de travers.
— Quoi ? grogné-je.
— Tu devrais manger. Lucy n'aimerait pas te voir comme ça.
La foutre en avant pour obtenir un truc de ma part, ce n'est pas cool du tout. Chaque fois qu'on me parle d'elle, j'ai l'impression d'étouffer. J'aimerais tellement pouvoir oublier à quel point je suis fou amoureux d'elle.
Lèvres pincées, je hoche la tête et force ma main à amener la cuillère jusqu'à ma bouche. Je mâche le plus lentement possible. À croire que j'ai envie d'arriver à la bourre en cours. En même temps, ai-je seulement envie de retourner au bahut ? Pas vraiment.
— Tu devrais te magner si tu ne veux pas que Tundermann te tombe dessus.
Elle sait exactement quoi dire pour me motiver. Le connaissant, je suis certain qu'il va attendre que je me pointe et si j'ai le malheur de ne pas le faire, il déboulera ici, pour m'envoyer là-bas avec un putain de coup de pied au cul. Déjà qu'il était furax de ne pas m'y voir hier. Là, c'est mort, il ne laissera pas passer.
— Je vais me préparer, on se retrouve au bahut ?
Je hoche la tête, mais, contre toute attente, un sentiment de panique m'envahit. Je ne peux pas revenir là-bas ! Si j'y retourne, ce sera revivre une nouvelle fois ce putain de cauchemar. Agoniser à nouveau alors que l'écho de sa voix se répercutera à mes oreilles.
Bordel, j'étouffe. J'ai besoin d'air.
— Deb, l'appelé-je au bord de l'asphyxie.
Elle s'arrête net, porte ses yeux vers moi, avant de se précipiter dans ma direction.
— Merde, Logan, t'es tout blanc ! Regarde-moi !
Ses deux mains plaquées sur mes joues, elle m'oblige à relever la tête.
— Inspire, expire ! Voilà, comme ça !
Je me force à obéir à sa voix pour ne pas m'écrouler sous cette putain de crise. Ce n'est pas la première que j'ai depuis que Coach m'a remis sur pied, mais c'est la première aussi douloureuse. Quelqu'un semble prendre un malin plaisir à me trucider la poitrine. Je vais crever.
— Encore ! m'encourage-t-elle.
J'inspire, expire comme elle me l'a demandé. Le poids qui comprime ma poitrine s'évapore lentement
Quand elle voit que je respire à nouveau normalement, elle me tend un verre d'eau, que j'avale par petites gorgées jusqu'à ce que je me sois complètement remis de mes émotions.
— Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
Je zappe sa question d'un mouvement d'épaules. Elle n'a pas besoin de savoir que me rendre au bahut m'angoisse à mort.
Ses yeux braqués sur moi, elle m'observe avec un peu trop d'attention à mon goût. Je ne sais pas ce qu'elle cherche à déceler dans mon regard, mais au vu de sa grimace, ça ne semble pas trop correspondre à ses attentes.
— Killian vient me chercher. Tu devrais venir avec nous, je crois.
Quoi ? Comment ça, il vient la chercher ? Je croyais qu'il devait se tenir loin d'elle ? Aurait-il oublié qu'à cause de ses conneries, on est tous en danger ? Si Gabson pense que McKenzie l'a mené en bateau, il n'hésitera pas à exécuter ses menaces ! Et s'il est trop proche de ma frangine, elle risque d'en payer les frais la première. D'où cette foutue promesse !
Putain, le con, à quoi il joue ?
Dimanche, sur le chemin du retour, il a fini par me déballer toute l'histoire. Il devait en avoir gros sur la patate pour se confier ainsi à moi. Bon, en même temps, j'ai aussi un peu chercher à comprendre, parce qu'on parlait quand même de ma frangine là.
S'il n'avait pas mis la vie de Deb en jeu, je crois que je lui aurais sauté dans les bras pour ce qu'il a mis en œuvre pour tenter de sauver Lu. Mais, là, je ne sais pas si je dois le remercier ou lui démolir la tronche.
Pendant une semaine, il a, apparemment, traîné dans les bas quartiers où il a fait la connaissance de Winston ou Wendon. À moins que ce soit Wilson. Ouais, ça doit être un truc du genre. Il a été jusqu'à lui acheter de la weed et discuté affaire avec lui pour le foutre en confiance. Ce con ne s'est même pas méfié et quand mon pote lui a dit qu'il avait besoin de tunes, l'autre l'a mis en relation avec celui qui s'occupe de recruter leurs nouveaux membres. Dommage, je n'ai pas son nom, je pense que mon daron aurait apprécié avoir ce genre d'infos. En tout cas, je capte pourquoi l'autre à la haine envers McKenzie. Il a dû se sentir rouler dans la farine et j'aurais sûrement eu la même impression. Tu fais confiance à un gars qui, au final, n'est là que pour infiltrer le gang afin de sauver le cul d'une nana.
Enfin, pas n'importe quelle nana, la mienne !
Par la suite, d'après ce qu'il m'en a dit, il s'est retrouvé devant le sosie, en un peu plus vieux, de l'autre fils de pute qui a kidnappé ma copine.
Putain de douleur !
— Oh, Logan ! Ça fait cinq minutes que je te parle ! Alors oui ou non ? s'impatiente ma frangine.
Égaré dans mes pensées, j'avais carrément décroché. Je rembobine rapidement pour retrouver le fil de notre discussion. En me rappelant qu'elle est sur le point de se barrer au bahut avec mon pote, mes poings se serrent. Hors de question qu'elle tourne autour de ce gars !
— Pourquoi il vient te chercher lui, d'abord ? grogné-je.
Face à mon ton, elle hausse un sourcil, médusée.
— J'espère que tu ne vas pas ressortir la même connerie que dimanche, parce que ma réponse sera exactement la même ! Quand t'es sortie avec Lucy, je ne suis pas allée t'emmerder, alors si je veux passer du temps avec Killian, tu ne me fais pas chier ! C'est pas ton problème à ce que je sache !
Dans la mesure où je dois la protéger, si ça l'est. Mais, ça, je me retiens bien de le lui dire.
Les poings sur les hanches, elle attend, en me fusillant du regard, que je réplique.
— Tu devrais éviter de traîner avec lui, c'est tout ce que je dis.
— Et pourquoi ça ? Lui et moi, on est seulement amis.
Mais bien sûr, prends-moi pour un con aussi tant que t'y es !
Si elle croit que, parce que je suis au trente-sixième en dessous, je n'ai pas capté qu'ils se plaisaient tous les deux, elle se fourre le doigt dans l'œil. Putain, sérieux, ça se voit comme le nez au milieu du visage ! Ils sont aussi transparents l'un que l'autre.
— Amis ? Mais, bien sûr !
— Si tu ne veux pas me croire, t'as qu'à te ramener avec nous, tu verras bien que je ne te baratine pas ! En attendant, je vais finir de me préparer et tu devrais en faire autant !
Alors que je la regarde s'eloigner en direction des escaliers, je pense à cette putain de journée qui m'attend. À peine commencé, qu'elle me paraît déjà invivable.
— Je n'y arriverai pas.
Ce n'est qu'au moment où je vois Deb s'arrêtait net et se retourner vers moi, que je comprends mon erreur. Quel con d'avoir parlé tout haut ! Vu son froncement de sourcils, je suis certain qu'elle a tout entendu. Merde, elle risque de me cuisiner jusqu'à ce que je crache le morceau.
— Tu n'arriveras pas à quoi, grand frère ?
— Laisse tomber !
Elle secoue la tête et croise les bras sur sa poitrine.
— Je ne laisserai pas tomber, mais je n'ai pas non plus envie d'être à la bourre. Alors, sois sympa, Logan et dis-moi à quoi tu pensais, on évitera de perdre du temps !
— Putain, tu fais chier, p'tite sœur !
Son sourire me fout en rage. Elle sait que je vais craquer, même si je déteste parler de ce qui me tord les tripes.
— Alors, Lolo !
Ah, non, putain, pas ce surnom débile ! C'était bon lorsqu'on était gosses, mais là, sérieux, ça ne le fait pas du tout !
— Je disais juste que je ne suis pas certain de pouvoir remettre les pieds là-bas.
La boule qui se forme dans ma gorge m'en convainc carrément.
— Raison de plus pour que tu viennes avec nous. Tu te souviens de la promesse qu'on s'est faite lorsque grand-père est mort ?
Je hoche la tête. On s'était juré qu'on traverserait chacun de nos coups durs main dans la main. Ce jour-là, Lu était aussi avec nous. Elle a posé avec douceur ses lèvres sur ma joue, puis m'a promis à son tour qu'elle serait toujours là pour moi. Qu'on affronterait chacune des épreuves de la vie ensemble. Elle m'a menti, parce qu'elle n'est plus là, alors que j'ai grave besoin d'elle. Face à cette évidence, mon cœur chute à mes pieds encore une fois.
— Je ne te laisserai pas tomber, grand frère. Mais, bouge ton cul, parce que je n'ai aucune envie de faire attendre Killian.
Devant son impatience, je finis par sourire et filer me préparer.
Quelques minutes plus tard, mon pote débarque. En voyant que j'accompagne ma frangine, sa gueule s'assombrit. S'il pensait passer du temps tranquille avec elle, c'est raté. Devant sa mine déconfite, je souris.
— Ça ne te dérange pas si Logan vient avec nous ?
Il hausse les épaules. Si je capte bien le truc entre eux, à partir du moment où elle a décidé quelque chose, il ferme sa gueule. Ils ne sont peut-être pas en couple, mais on voit déjà qui porte la culotte. En même temps, faire changer d'avis un Baldwin relève d'un véritable défi. Si elle le kiffe, et j'en mettrais ma main à couper, il va vraiment avoir du mal à se tenir loin d'elle. Elle va tout faire pour l'avoir.
Ouais, on est des putains de bornés dans la famille.
Même si ça ne me plaît pas, je vais devoir lui servir de garde-fou pour qu'il ne la foute pas en danger. Fais chier comme si je n'avais pas assez de me ronger les sangs pour Lu.
Deb me laisse m'installer à l'avant tandis qu'elle prend place au milieu de la banquette arrière. Mon pote me tend son poing dans lequel je cogne aussitôt du mien.
— Prêt ?
En vérité, pas du tout, mais je n'ai pas le choix. Il vaut mieux que j'y aille avec eux qu'avec Coach.
— Mouais.
Deb presse mon épaule pour m'assurer son soutien. En retour, je lui adresse un léger sourire par-dessus mon épaule.
Plus les secondes s'écoulent et plus mon cœur se soulève. Lui non plus n'est pas prêt. Il voudrait qu'on rentre à la maison, qu'on se foute en boule et qu'on chiale jusqu'à ce qu'on s'endorme. Il voudrait surtout qu'elle soit avec moi, assise dans ma bagnole, à chanter aussi faux l'un que l'autre. Il voudrait la voir danser devant moi, l'entendre rire sous mes conneries.
Putain, qu'est-ce qu'elle me manque !
À quelques mètres du parking, je ferme les yeux. Je ne veux pas revivre ce cauchemar, les yeux ouverts, il me hante déjà bien assez quand je dors. Ce n'est qu'en entendant le moteur s'éteindre que je les rouvre. McKenzie s'est garé assez loin de ma place habituelle, pourtant Kate, Reed et Kim se trouvent là à nous attendre. Suspicieux, je darde un regard à mon pote avant de le poser sur ma frangine. Elle agite son portable sous mon nez en guise d'explication. Je n'ai pas besoin de plus pour capter qu'elle a dû les contacter pendant qu'on roulait.
— J'ai pensé que t'aimerais que tes potes soient là pour ton retour.
— Ouais, soufflé-je. Merci.
Afin de trouver le courage de sortir de cette caisse, j'inspire profondément, bloque un instant ma respiration et recrache tout d'un coup. Que dirait Lu, si elle me voyait aussi hésitant ?
T'as vraiment l'intention de passer ta journée dans cette bagnole ? Sois sérieux deux secondes, on va être à la bourre !
Ouais, elle me sortirait un truc du genre en plissant son petit nez de mécontentement et moi, j'exploserais de rire, avant de la galocher à en perdre la boule. Mais, elle finirait par gagner. Elle finissait toujours par gagner. Alors, pour ne pas la décevoir, peu importe l'endroit où elle se trouve, je mets un pied hors de l'habitacle. À peine me suis-je relevé qu'une tornade blonde se jette dans mes bras et me serre très fort contre elle. Sentir ma meilleure pote contre moi me fait du bien. Jamais, je ne lui dirai, mais sa présence me rassure. Je la serre fort dans mes bras et dépose un bisou sur le sommet de son crâne. Ce que je ressens pour elle n'a rien à voir avec mes sentiments pour Lu. Ça s'apparenterait plus à ce que j'éprouve pour ma frangine.
— Tu m'as manqué, beau gosse !
Lui dire qu'elle m'a manqué également serait un putain de bobard. Quand je zonais, je ne pensais à rien, ni personne. J'étais bien trop déchiré.
— Comment tu te sens ?
Tant que je ne pose pas les yeux à quelques mètres derrière nous, j'arrive à survivre. Ce n'est pas pour autant que je suis en pleine forme.
Kate se détache de moi, afin de pouvoir étudier mes réactions. Vu comme elle m'observe, lui servir un mensonge serait totalement inutile. Elle le verrait de suite.
— J'ai connu bien mieux.
Elle me sourit tristement, avant de venir se coller de nouveau à moi.
— Tu vas t'en sortir, beau gosse, j'ai confiance en toi.
À son tour, ma bouche dessine un triste sourire.
Quand la sonnerie retentit, il est temps pour nous de se rendre dans nos salles respectives. Lorsque je franchis les portes du bahut, le cœur n'y est vraiment pas. Kate pose un bisou sur ma joue avant de me laisser devant mon casier. Je suis en train de ranger mes livres au moment où une voix de crécelle s'élève à ma droite.
Putain,comme si ce n'était pas suffisant, faut que je tombe sur elle !
— Tu m'as beaucoup manqué, Logan ! Je suis vraiment désolée pour ce qui est arrivé à ta copine. Si t'as besoin de quoi que ce soit, je suis là ! me lâche Mandy en laissant glisser sa main le long de mon torse.
Dans un geste brusque, j'emprisonne son poignet entre mes doigts pour l'éloigner de moi.
— Ne me touche pas, Mandy !
Aguicheuse à souhait, malgré mon ton des plus désagréables, elle mordille sa lèvre, puis revient à la charge.
— Comme elle n'est plus là, je me suis dit qu'on pourrait peut-être s'amuser un peu toi et moi.
fait enlever ?
— Dans tes rêves, sûrement, mais dans la vraie vie, tu peux aller te faire foutre !
— Je ne vois pas pourquoi tu le prends comme ça ! Je suis sûre que j'aurais pu t'aider à l'oublier.
Sidéré par son ramassis de conneries, je secoue la tête, claque la porte de mon casier avec force, avant de me planter devant elle.
— Je n'ai aucune envie de l'oublier. Fous-toi ça dans le crâne et lâche-moi les baskets !
Putain, cette meuf est un pot de glu puissance mille ! Qu'est-ce que j'ai été m'eclater avec elle, sérieux ? C'est clair que si j'avais su, je l'aurais recalé dès le début au lieu d'aller prendre mon pied dans son pieu. Va falloir qu'elle se foute dans le crâne, que ce n'est pas parce que Lu n'est plus ici, que ça change la donne. Je l'aime trop pour aller voir ailleurs.
Les nerfs à vifs, je déboule quelques secondes plus tard dans ma classe. J'ai à peine posé un pied dedans qu'un silence de mort tombe et toutes les têtes se tournent vers moi dans un même mouvement. Wouah, super l'ambiance ! S'ils pensaient pouvoir m'aider à me changer les idées, ils ont clairement foiré leurs coups. Sous leurs regards compatissants, qui me mettent les boules au passage, je vais poser mon cul à ma place. Des chuchotements s'élèvent et me foutent en rogne, surtout qu'ils continuent à me mater comme s'ils ne m'avaient jamais vu. Bordel, ça me donne envie de les secouer un par un et de leur dire : « Oh, regardez-moi bien, je suis le Quarterback de votre foutu équipe, pas un putain d'inconnu. Alors, cessez de me reluquer comme si vous m'aviez jamais vu ! ».
Pour tenter de ne pas leur sauter à la gorge, j'attrape un crayon dans ma trousse et le fais tournoyer nerveusement entre mes doigts sans le quitter des yeux.
— Comment tu te sens ?
Surpris, je relève la tête pour savoir quelle fille ose m'adresser la parole, alors que ce n'est franchement pas le moment. Anna, l'élève qui se trouve assise juste devant ma table, me fixe avec son beau regard de morue. Parce que, soyons honnête, elle n'a vraiment rien pour plaire. Peut-être que si elle faisait un tout petit effort, elle pourrait attirer quelques gars, mais là je pense que même Frankenstein n'en voudrait pas.
— Depuis quand tu m'adresses la parole, toi ? À tes yeux, j'ai toujours eu l'impression d'être le roi des connards, alors pourquoi je répondrai à ta question ?
Mon attitude va certainement lui confirmer ses pensées, mais je n'en ai rien à branler.
— Je… Je…
Exaspéré, je lève les yeux, avant de les plonger dans les siens.
— Oui, Anna, tu ?
Son regard se met à briller. Mon cœur se serre en imaginant comment Lu me recadrerait si elle était là, mais elle ne l'est pas et je n'ai aucune envie de me montrer sympa avec qui que ce soit, parce que ce que je vis ne sont pas leurs putains d'oignons. Alors, qu'ils continuent à réagir comme avant, merde !
— Je voulais juste me montrer sympa avec toi. Tu sais, comme…
— T'as pas à te montrer sympa avec moi ! Tu ne m'as jamais aimé, alors continue comme avant. Et c'est valable pour vous autres, dis-je en élevant la voix, votre pitié vous pouvez vous la carrer où je pense, ce n'est pas ce qui me rendra ma copine. Alors, cessez de chuchoter sur mon passage ou de me regarder bizarrement. Si je vais mal, c'est pas votre problème, compris ?
Si j'espérais qu'ils réagissent normalement, je me suis planté. A présent, ils me matent encore plus bizarrement. Fais chier ! Heureusement que le prof ne tarde pas à arriver et à mettre fin à ce putain de calvaire.
Le reste de la matinée se joue de la même manière. Les seuls qui se montrent corrects avec moi et n'abordent pas une seule fois mes emmerdes sont mes coéquipiers. Et, je vais dire, encore heureux que je partage pas mal de cours avec eux. S'ils n'avaient pas été là, je crois que je n'aurais pas tenu jusqu'à la pause du déjeuner.
Quand je rejoins mes potes au self, je suis méchamment soûlé. Je pense que ça doit clairement se lire sur ma tronche, puisqu'il me fixe tous les quatre d'une drôle de manière. Je suis certain qu'ils sont en train de se demander quand la bombe que je suis va exploser.
— Ça va ? me questionne Reed, à peine mon cul posé sur ma chaise.
— Ouais, l'attitude des autres m'a méchamment gonflé. Me rappeler à chaque minute ce que j'ai perdu est le pire truc qu'ils pouvaient faire.
McKenzie émet un léger ricanement amer. À son regard, j'ai la drôle d'impression qu'il a déjà vécu un truc du genre.
— Tu m'étonnes. Quand j'ai débarqué dans mon ancien bahut après la mort de ma frangine, j'ai cru que j'allais les bouffer un par un. Jamais plus ! confirme-t-il mes pensées.
Vu la matinée que je viens de vivre, je veux bien le croire.
On est là à tenter de se battre contre les putains de souvenirs qui nous fracassent à chaque seconde et eux viennent nous les rappeler encore et encore, comme si on n'avait pas assez mal comme ça.
Pour me changer les idées, Reed et Killian se mettent à échanger sur le sport. Je tente de m'intégrer tant bien que mal à cette conversation, même si j'ai l'impression d'avoir perdu cette étincelle qui m'animait quand je parlais football. Ma passion semble s'être envolée en même temps que la disparition de mon amour. La vérité est que je n'ai plus vraiment goût à rien depuis son départ. Quoique, la course de dimanche était sympa, mais je me demande si je ne l'ai pas apprécié parce que je me suis mis en danger. Je crois que quelque part, je cherche encore à me foutre en l'air.
Arrête de dire n'importe quoi, beau gosse. Le jour où je reviendrai, j'aurais besoin de toi. On se relèvera ensemble de cet enfer, alors ne fais pas l'idiot.
La voix de Lu me rappelle à l'ordre. Je glisse une main dans mes cheveux pour tenter de replacer correctement mes pensées.
— T'es sûr que tout va bien ? me questionne Kate, une ride d'inquiétude entre ses deux yeux gris.
— Ouais, t'inquiète.
Le repas se termine sous nos rires. Il faut dire que mes deux potes sortent des conneries tellement énormes, qu'il serait dur de faire autrement.
L'après-midi se déroule de la même manière que la matinée. Épuisant. Gavant. Quand la dernière sonnerie retentit, je suis bien content de filer à la salle de muscu. Coach semble plus que ravi de me voir. Il me félicite même d'être revenu parmi les vivants. Le con ! Pendant plus d'une heure, je soulève de la fonte, cependant, comme je ne suis pas au top de la forme, je lâche l'affaire avant mes coéquipiers.
Après une bonne douche, j'envoie un message à Kate pour l'informer que je suis prêt à me casser. À midi, elle m'a proposé de me raccompagner et j'ai accepté, même si ça m'emmerde de savoir ma frangine seule avec McKenzie. D'autant plus qu'ils n'ont pas cessé de se chercher du regard quand on bouffait. J'ai bien peur d'être dans l'obligation de tenir ma promesse et de devoir le recadrer.
Alors que je marche en direction de la caisse de ma pote, j'aperçois une silhouette adossée à une bagnole. La meuf ou le mec, d'ici je n'arrive pas vraiment à déterminer, semble me fixer. Je ne sais pas qui est ce connard, mais je déteste qu'on me mate comme ça. Je ne suis pas une putain de bête de foire. Au moment où j'arrive enfin à déterminer ses traits, la bête qui s'est emparé de moi pour cogner sur Chris se met à gronder férocement... Gabson. Ce salopard se trouve à quelques mètres de moi, un putain de sourire, que je vais lui faire ravaler, sur la gueule. Poings serrés, je me rue vers lui.
Il va crever, ce fils de pute !
Putain de traquenard ! Deux types viennent de se saisir de moi en m'attrapant de chaque côté, pour me maintenir à bonne distance de cette enflure. Je grogne de frustration et tente de leur échapper en tirant sur mes bras.
Impossible ! Putain, bande d'enfoirés !
— Salopard, où est ma copine ? craché-je à l'intention de Gabson.
Un rictus démoniaque lui tord la bouche.
— J'me demandais quand est-ce que t'allais ramener ton cul pour me poser cette question, Baldwin. Depuis l'autre fois, je me pointe chaque jour de cours voir si j'aperçois ta tronche débouler. Visiblement, la huitième est la bonne. C'était trop dur de te pointer là sans elle ?
L'entendre me parler d'elle me fout en rage. Je tire une nouvelle fois sur ces putains de boulets qui refusent de me lâcher.
Putain, si les gars pouvaient quitter la salle maintenant, ça m'arrangerait bien. Je pourrais refaire le portrait de ce fils de pute.
— J't'ai posé une question, ducon ! tonné-je.
— Pourquoi je te répondrais ? Pour que tu viennes m'enlever mon jouet favori ?
Son jouet ? Comment peut-il parler d'elle ainsi ?
Je jure devant Dieu, que, si jamais il lui a fait du mal, je le rechercherais sans relâche jusqu'à ce qu'il crève.
— Lu n'est pas ton putain de jouet ! Alors, dis-moi où tu la planques !
— Ta putain de gueule me soule, Baldwin ! Alors, tu vas te la fermer et m'écouter ou j'te promets que si tu la ramènes encore, ils se chargeront de te la boucler !
Ils me désignent d'un signe du menton ses deux acolytes pour que je capte bien où il veut en venir.
Les nerfs en boule, je crève de lui arracher la tête, pourtant je ne peux que la fermer. Je rage intérieurement. Qu'il aille se faire mettre !
— J'ai envie de te raconter une petite histoire, Baldwin, t'es prêt à m'écouter ?
Je ris jaune tellement j'ai les crocs.
— Vas-y, sors-moi ta merde qu'on en finisse !
Il me toise. S'il pense que je vais baisser la tête devant lui, il peut toujours courir !
— Il y a quatre ans, un gamin des rues rêvaient de devenir une star du football. Il se voyait déjà évoluer parmi les Cowboys du Texas. Son coach au collège n'arrêtait pas de lui dire qu'il était excellent, qu'il aurait un brillant avenir. Son père se foutait totalement de sa gueule, en lui disant qu'il ferait ce que lui avait décidé. Le môme, lui, croyait dur comme fer ce que lui disait son entraîneur. Devenir un gangsta, faire du trafic ou tuer n'était pas pour lui. Non, pas possible. Parce que tu vois, Baldwin, tout le monde n'a pas la chance d'être né du bon côté de la barrière.
Putain, je comprends rien à ce qu'il me raconte !
Cette enflure m'observe quelques secondes avant de reprendre son récit.
— Quand je suis arrivé ici, plein d'espoir, j'étais certain d'obtenir la place de quarterback aux sélections. Mais, un connard, pas forcément meilleur que moi, m'a raflé la mise. Est-ce que tu vois de qui je veux parler ?
— Si Coach n'a pas voulu de toi, même sur le banc de touche, c'est que tu ne devais pas être si bon que ça !
Poings serrés, visage marqué par la haine, il se jette sur moi, m'attrape par le colbac et me menace de m'en balancer une.
— J't'ai dit de fermer ta putain de gueule !
Sans ciller, je m'attends à ce que son poing vienne me percuter. Je serre déjà les dents, prêt à encaisser le coup, qui ne vient pas au final. Il se recule, glisse les mains dans ses cheveux et tente de retrouver son calme. Je le vois à sa façon de tenter de maîtriser sa respiration.
— Mais, ce n'est pas le seul rêve que l'autre salopard lui a volé, reprend-il toujours sur les nerfs. Il y avait une fille dans ce bahut super canon. Une brune avec des putains d'yeux verts qui auraient fait bander même un moine. Putain, si tu savais le nombre de fois où je me suis branlé en pensant à elle !
Il marque une pause pour me fixer férocement. Pas besoin de plus pour capter où il veut en venir. Je lui ai piqué sa place dans l'équipe, ainsi que la fille qu'il désirait.
Par contre, savoir qu'il se branlait en pensant à Lu me donne envie de la lui arracher, pour que plus jamais il fasse un truc aussi dégueulasse.
— Quand l'autre vieux m'a demandé son aide pour retrouver sa belle-fille, j'sais pas comment, mais il savait qu'on était dans le même bahut, j'ai sauté sur l'occasion. J'allais pouvoir me venger du salopard qui m'a tout piqué. Et maintenant, tu oses me demander où elle est, mais crève mon gars ! Jamais, je ne te le dirais ! Et puis, dis-moi, Baldwin, comment je pourrais m'en passer maintenant que j'y ai goûté. Elle est tellement bonne. Si serrée !
En comprenant ce qu'il me raconte, mon estomac se révulse et la haine brûle mes veines. Je ne vois plus rien que cette fureur qui me brouille la vue. Je tire sur mes chaînes, mais elles me maintiennent trop fermement.
— Oh, mais attends ! Tu dois le savoir puisqu'elle n'était plus vierge !
— Fils de pute ! Va brûler en enfer ! J'te jure que j'te retrouverai et que tu paieras pour le mal que tu lui as fait !
— T'aurais dû l'entendre hurler ton nom les premières fois où je l'ai prise ! J'aurais adoré que tu sois là pour la voir se débattre !
À ses mots, la terre s'ouvre sous mes pieds et elle m'aspire de plus en plus loin. Mes yeux me brûlent. J'ai mal, putain ! Mal à en crever ! Il a violé ma copine, la fille que j'aime plus que ma propre vie. Et je ne peux même pas lui exploser la tête. Je voudrais tellement voir sa cervelle recouvrir ce putain de bitume. La seule chose que je peux me permettre, c'est de lui cracher à la gueule, même s'il est trop loin pour que ça l'atteigne.
— Pourquoi ? Pourquoi t'as fait ça ?
— T'es con ou quoi ? Tu m'as volé mes rêves, Baldwin ! Je t'ai tout repris, c'est tout.
Terrassé par tout ça, je n'ai que la force de secouer la tête de droite à gauche.
— De toute façon, t'as même pas les couilles de la chercher. Ton pote, lui, les avait. Dommage pour lui, il était un peu trop curieux !
Mais qu'est-ce qu'il me balance encore ? Ne captant rien de chez rien, je fronce les sourcils.
— Oh, on dirait que personne ne t'a dit que Robinson s'est suicidé. Je vais te dire un petit secret, mon gars, c'est moi qui l'ai attaché à cette barre de douche. Je l'ai tué, avant qu'il ne te dévoile où se trouvait mon jouet préféré.
Cette fois, mon estomac se soulève et je gerbe tout mon repas. Cet enfoiré m'a tout pris. De ma copine à mon meilleur pote. En s'alliant avec l'autre salopard, c'est moi qu'il visait. Et Lu est devenue sa putain d'esclave.
Putain, je vais crever !
— Éclatez-le, je veux qu'il ne puisse plus jamais fouler un terrain !
J'ai à peine le temps de me redresser que les premiers coups s'abattent sur moi. Je tente de me défendre, mais seul j'en suis incapable. De toute façon, ils peuvent faire de moi ce qu'ils veulent. La douleur à l'intérieur est si intense que leurs poings me semblent être du gâteau à côté.
Il m'a tout pris. Tous mes rêves. Ce taré n'a pas supporté d'être recalé et il m'a tout volé.
— Logan ! entends-je avant de m'écrouler au sol face en avant.
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