62 - Logan

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Putain, qu'est-ce que j'en ai ma claque de cette vie de merde ! Et dire qu'on commençait juste à entrevoir notre avenir loin de tout cet enfer. Hier soir, Lu et moi parlions encore de nos futures vacances loin de tout ce merdier. Deux mois de folie que nous aurions dû passer sur les plus belles plages de la côte Est, avant de rejoindre Columbia. Parce que, ouais, elle y a décroché une place. J'espère que ce départ précipité ne foutra pas à mal ses projets pour l'université.

Tandis que je conduis en direction de l'aéroport, je repense à ce fichu mot qui vient tout foutre en l'air. Ce connard est revenu en ville et mon vieux a pensé que le mieux pour Lu était de l'envoyer loin de moi. Pour le coup, je le hais. Il aurait dû m'en parler avant de faire quoi que ce soit. Ouais, je me sens responsable de ma fiancée et ce n'était pas à lui de prendre une telle décision. Surtout qu'il reste à peine une semaine de cours ! Putain de bordel de merde !

En patientant à un feu rouge, je ne peux m'empêcher de cogner avec rage mon poing contre le volant. Je vais vraiment finir par me bousiller la main. Je m'en tape, de toute façon. Ce que je ressens à l'intérieur est pire que n'importe quelle douleur physique que je pourrais m'infliger. Je suis furax. Totalement hors de moi. Ce soir, je vais, pourtant, devoir faire comme si tout allait bien à cette foutue soirée. Et si je n'y allais pas, si je m'enfuyais à l'autre bout du pays avec la fille que j'aime, la seule pour laquelle mon cœur battra jusqu'à la fin de mes jours. Ce serait la meilleure idée, rien à foutre de la remise des diplômes. Sans elle, ça n'aura pas le même goût de toute façon.

Arrivé à destination, je gare ma caisse comme un connard en double file. Si elle se retrouve à la fourrière, le daron n'aura qu'à faire jouer ses relations pour l'en faire sortir. Après tout, à part foutre mes projets en l'air, il n'a rien d'autre à branler.

Plusieurs conducteurs klaxonnent déjà, dérangés par ma bagnole garée n'importe comment.

— Oh, gamin ! m'interpelle un vieil homme. Tu ne peux pas laisser ta voiture ici.

Avec un large sourire, je lui lance un doigt d'honneur.

— Tu ne vois pas que tu gênes, s'impatiente-t-il.

Je continue à avancer comme si je n'avais rien entendu. Je suis certain que dans quelques minutes, il fera usage de son téléphone pour me balancer aux flics.

À peine ai-je franchi les portes de l'aérogare que j'aperçois mon pote. J'en connais une qui va bondir au plafond lorsqu'on va arriver. Pourquoi lorsqu'un des Baldwin est heureux, il faut que l'autre trinque ? Putain, c'est à chaque fois comme ça depuis que je suis avec l'amour de ma vie !

Bon, ce n'est pas pour dire, mais je suis quand même content de le revoir ce petit con. Même si entre nous ça n'a pas toujours été la grande entente, je l'aime bien et j'avoue que me prendre la tête avec lui m'a manqué ces derniers jours. En quelques enjambées, je me retrouve devant lui.

— Ça va, mec ? s'enquiert-il, en venant m'offrir une accolade.

C'est vraiment le genre de question à ne pas me poser en ce moment. Franchement, je ne crois pas que lui dire «ouais, ta sœur se barre demain en Australie, mais, t'inquiète, tout va pour le mieux » lui fasse plaisir. Puis, sérieux, je dois vraiment faire baisser ma tension, avant d'en discuter avec lui. Actuellement, je suis juste une putain de grenade sur le point d'exploser.

— Ma frangine va être folle en te voyant, évincé-je sa question.

A l'évocation de Debbie, un large sourire étire ses lèvres.

— Ouais, moi aussi j'ai hâte de la voir, me répond-il, un peu rêveur.

Le temps d'une fraction de secondes, je me demande si j'ai l'air aussi con quand je parle de Lu avec mes potes. À mon avis, sans aucun doute.

— Allez, magne, j'ai garé ma caisse en double file.

Il attrape son sac posé au sol, avant de me suivre. Je suis chanceux ou presque. Ma caisse est toujours là, mais les flics aussi. Je me rue vers eux au pas de course. Si je pouvais éviter la fourrière, ça serait sympa ! Alors que je m'en approche, un des hommes en uniforme semble capter ma présence.

— C'est la vôtre ? me questionne-t-il.

— Oui et je suis vraiment désolé, monsieur l'agent.

— Vous saviez que vous ne pouviez pas vous garer en double file ?

— Oui et je vous présente mes excuses. Il n'y avait vraiment pas de place et je devais récupérer un ami.

L'agent avec lequel je discute m'observe, tandis que j'aperçois un second dresser un procès-verbal.

— Votre nom ? me demande ce dernier.

— Baldwin, Logan Alexander Baldwin.

Je sors mon permis pour lui prouver mon identité.

— Adresse ?

— Bureau du procureur, vingt-quatrième est.

— Monsieur, votre plaisanterie est de très mauvais goût. Donc votre adresse ?

— Quoi ? Je viens de vous donner l'adresse du bureau de mon père, repliqué-je avec arrogance.

Les flics semblent agacés par mon comportement et moi, je me marre comme un con, sous le regard incrédule de mon pote. Ouais, j'ai vraiment pété un câble. Savoir que Lu va devoir quitter le pays me tape sur le système et je disjoncte grave.

— Trente-sixième rue, finit par leur dévoiler Killian à ma place.

La prune à la main, je peux enfin me glisser dans ma caisse. Je démarre en trombe sous le regard réprobateur de Killian.

— Ok. C'est quoi ton problème, Baldwin ? me questionne-t-il alors que nous nous engageons sur l'autoroute.

— Qui te dit que j'en ai un ?

— T'es en train de rouler comme un malade, à croire que tu veux nous foutre en l'air ! Alors, ouais, certain, t'as un problème, mec.

Je lui jette un rapide regard, avant de le reporter à nouveau sur la route. Il a raison. Ma conduite est dangereuse et je pourrais nous foutre en l'air.

— Prends la prochaine !

Médusé par son ordre, je fronce les sourcils et serre un peu plus mon volant.

— Quoi ?

— Je t'ai dit, prends la prochaine, je ne déconne pas ! Et j't'jure que si tu ne m'écoutes pas, je t'explose la tête dès qu'on arrive... enfin si on arrive entier.

Je pourrais continuer à n'en faire qu'à ma tête, pourtant je m'engage sur la première bretelle que je trouve. Après une centaine de mètres, McKenzie me force à m'arrêter sur le bas-côté.

— Maintenant, explique ! Franchement, quand tu m'as appelé la semaine dernière pour me dire que je pouvais revenir, je pensais que vous seriez heureux tous les trois de me revoir. Mais j'ai la drôle d'impression que ce n'est pas le cas. Du moins, en ce qui te concerne.

Quand j'ai appelé mon pote, la semaine précédente, je lui ai annoncé l'excellente nouvelle, concernant l'arrestation de la majorité des membres des Red Dragons. Il m'a informé, alors, qu'il reviendrait dès qu'il aurait réuni les fonds pour prendre un vol retour. Je ne sais pas comment il s'est débrouillé, mais il est là à présent. Et moi, comme le con que je suis, au lieu de penser au bonheur de ma frangine, je tente de nous foutre en l'air.

— Lu, lui avoué-je, posant ma tête sur mon volant.

— Quoi, Lucy ?

J'inspire un grand coup et sors de ma bagnole. Prononcer son nom, en sachant qu'elle partira demain, est devenu une arme létale désormais. Ma seule source d'oxygène est sur le point de se barrer à des milliers de kilomètres de moi.

Je m'éloigne lentement, en shootant dans les petits cailloux. Je tente de contenir comme je peux cette froide colère qui me ronge.

— Qu'est-ce qu'il y a avec Lucy ? m'interroge mon pote en me rattrapant.

Il s'inquiète méchamment, ça se voit sur sa tronche.

— Vous vous êtes disputés ou quoi ?

Il m'observe une seconde, avant d'ajouter :

— Putain, ne me dis pas qu'il lui arrivé un truc.

— Il veut remettre la main sur elle, lancé-je d'une voix sans âme.

— Oh, putain de merde ! tonne-t-il en croisant ses mains sur sa nuque.

Je le regarde marcher de long en large, tandis qu'il tente d'encaisser la bombe que je viens de lâcher.

— Comment ? Enfin, je veux dire comment vous l'avez su ?

Alors je lui explique tout, notamment le mot que mon père m'a filé. D'ailleurs, je ne sais pas où il l'a trouvé, je suis parti avant même de lui demander.

— Son père sera là demain, lui dis-je.

— Merde. Elle est au courant ?

— Non. Mon père ne lui en a pas parlé. Je pense qu'il préfère que je m'en charge.

Rien que d'y penser, une putain de douleur me tord le bide. Comment vais-je lui expliquer qu'elle doit mettre autant de distance entre nous, que c'est le mieux pour que ce fils de pute ne remette jamais la main sur elle ? Je vais devoir lui dire de partir sans jamais prononcer le nom de ce salopard. Tout simplement, parce que je n'y arriverai pas.

— Et Debbie ?

— Ma sœur sait.

— Comment elle le prend ?

Je hausse les épaules tandis qu'il continue à me regarder, soucieux.

— J'avoue que je n'en sais rien. Je me suis cassé dès que Lu est rentrée. Je n'ai même pas eu le courage de la regarder en partant. A mon avis, elle doit se poser des milliers de questions sur mon comportement. Je ne sais même pas ce que je dois faire. Je sais qu'elle doit partir, mais si elle refuse. Merde ! Il nous restait à peine quelques jours de cours. On devait se barrer pour l'été, avant de partir à l'université.

Au fur et à mesure que je débite, ma tirade la colère s'envole et je me retrouve les larmes aux bords des cils, percuté par cette putain de tristesse que je tentais de garder au fond de mes entrailles.

Mon pote s'en rend compte et vient poser ses doigts sur mon épaule. D'un mouvement brusque, je me dégage. Je n'ai pas besoin de sa compassion, ni de sa pitié. J'ai juste besoin d'elle.

— Même si c'est dur, je sais que tu sauras faire le bon choix. Puis, ce n'est pas comme si tu ne pouvais pas la rejoindre ensuite... Écoute, pour le moment, tu vas faire d'elle, la reine du bal et demain, on verra.

Même si je sais qu'il a raison, la douleur m'empêche encore de raisonner correctement.

— Laisse-moi la place derrière le volant. Vaut mieux que t'évites de conduire dans ton état.

Cette fois encore, il n'a pas tort.

Assis à la place passager, je regarde le paysage défiler sous mes yeux, en pensant à tout ce que j'ai vécu avec elle. Killian a raison, je pourrais la rejoindre dans quelques jours, juste après la dernière journée de cours. Comme l'autre connard ne connaît pas nos projets, nous pourrions ensuite, nous installer à New-York peu de temps avant la rentrée scolaire. Au final, cette parenthèse de quelques jours n'entravera en rien notre avenir. Fort de cette idée, mon cœur retrouve enfin un rythme normal.

Je descends le premier de la bagnole et sans même attendre mon pote, je me dirige vers la maison. Lu mérite des excuses de ma part, je me suis comporté comme un gros con, sans capter que je pouvais la blesser.

Quand je rentre, seuls mes vieux sont dans le salon, assis dans le canapé, un mug à la main. Le daron me jette un regard plein de reproches. J'ai conscience que mon attitude n'a pas été correcte. Lu n'est pas la seule qui mérite des excuses, lui aussi.

—Désolé, 'pa, lui lancé-je. Je sais que j'ai merdé.

Il opine pour me signifier qu'il enterre la hache de guerre. Puis, il se lève pour aller saluer Killian.

— Je vous remercie de m'avoir permis de pouvoir revenir. Je regrette juste de ne pas en avoir parlé plus tôt.

Mon vieux hoche la tête avant de lui offrir une poignée de main chaleureuse.

— Ce serait plutôt à moi de te remercier pour ce que tu as fait pour Lucy et ce que tu t'apprêtais à faire pour ma fille et moi. D'ailleurs, Peter, le père de Lucy, t'en est très reconnaissant et souhaiterait te rencontrer demain.

À ses derniers mots, j'ai l'impression de crever. Putain, qu'est-ce ce sera lorsqu'elle devra vraiment partir ?

— Les filles sont en haut ? demandé-je pour couper court à cette conversation.

— Oui, elles sont en train de se préparer, me répond ma mère.

— Tu peux leur demander de rester dans la chambre, le temps qu'on se change ?

Elle hoche la tête, avant de monter.

Tandis que je gravis les escaliers suivi de mon pote, j'envoie un sms à ma fiancée pour m'excuser. J'ai hâte de la retrouver, mais je tiens d'abord à enfiler ce smoking, même si je déteste ressembler à un pingouin.

Une vingtaine de minutes plus tard, nous sommes en bas des escaliers à attendre que Lu, ma frangine et Kim descendent. Nous avons été rejoints par son mec, qui attend avec autant d'impatience que nous, de la découvrir dans sa robe de soirée. Elle est d'ailleurs la première à descendre, cependant mes yeux ne s'attardent pas sur elle, préférant se porter sur celle que j'aime plus que tout, juste derrière. Vêtue d'une robe longue rouge à taille impériale, ses cheveux relevés dans un chignon que je crève d'envie de défaire, elle est resplendissante. Je m'avance vers elle, avec un désir non feint. Si nous étions juste tous les deux, je crois que nos potes pourraient nous attendre longtemps.

Je lui offre le corsage de fleur qui fera merveille avec sa tenue. La rose rouge qui l'orne déclare à elle seule tout l'amour que je ressens à son égard.

Killian est resté à l'écart sur la terrasse, attendant le tour de ma sœur. Personne, hormis mes vieux et moi, sait qu'il est revenu. Je pense que les deux filles les plus chères à mon cœur vont être folles de joie en le voyant.

C'est au tour de Debbie de descendre. Elle a opté pour sa part pour une petite robe sans fioriture, noire, très sobre. Ses cheveux sont bouclés et descendent en cascade dans son dos. Lorsqu'elle arrive en bas, je tourne la tête en direction de la porte-fenêtre pour faire signe à Killian, afin qu'il nous rejoigne.

En remarquant mon manège, Lu se tourne et un cri de joie sort de sa bouche au moment où elle pose les yeux sur lui. Sans attendre, elle se précipite vers son frère de cœur pour se jeter dans ses bras, plus que ravie de sa présence.

Ma frangine reste sans voix, le regard fixé sur son mec. Quand Killian repose ma fiancée, ses yeux se portent sur Deb. Un sourire en coin étire ses lèvres, tandis que Lucy vient se blottir contre moi. Son bonheur la rend radieuse et je suis vraiment dingue d'elle.

Nous observons la scène qui se joue à côté en silence. Les deux tourtereaux se tiennent à distance quelques secondes, puis, comme si un déclic avait lieu, Deb se précipite vers lui et lui saute dans les bras. Quand ils se mettent à s'embrasser, je tourne la tête vers Lu. Elle me regarde les yeux remplis de joie.

—Tu savais qu'il allait revenir ? me questionne-t-elle.

Je pose mes lèvres juste en dessous de son oreille.

—Oui, lui soufflé-je.

—Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

—Je voulais vous faire une surprise.

—T'es le meilleur, me déclare-t-elle, avant de venir poser ses lèvres sur les miennes.

Notre galoche m'enflamme. Je dois me faire violence pour ne pas l'entraîner à l'étage. Néanmoins, c'est la voix de ma frangine qui me font refoutre les pieds sur Terre.

— T'es revenu ? l'entends-je prononcer.

— T'en doutais ?

Sa réaction m'échappe, puisque ma concentration est fixée sur ma fiancée. Cependant, les mots que sort mon pote ne me permettent aucun doute sur la réponse de Deb. Elle devait vraiment douter de son retour.

— J'aurai tout fait pour revenir. Je t'aime trop pour te laisser toute seule.

— Moi aussi, je t'aime, Killian.

Quelques secondes plus tard, le daron nous interpelle pour que nous nous regroupions, afin de nous prendre en photo. Je ne sais vraiment pas ce qu'ont les vieux, à toujours vouloir immortaliser ce moment. À croire que cette journée est bien plus importante pour eux que pour nous.

Après avoir dîné au restaurant, où je n'ai pas cessé d'allumer ma fiancée, sous les vannes de mes potes, nous rejoignons le gymnase, décoré avec soin pour l'occasion. Plusieurs projecteurs éclairent les lieux d'une lumière tamisée. Je crois que le thème de cette année est le romantisme. D'ailleurs, les cœurs accrochés au mur et les pétales roses et blancs me le confirment. Pour cette dernière soirée avec elle, avant son départ à l'autre bout du monde, je ne pouvais pas rêver mieux.

Comme chaque année, la soirée débute par l'élection du roi et de la reine de promo. J'attends les résultats avec le dos de Lucy collé à mon torse et mes bras autour de ses hanches. Ma tête repose sur son épaule et mes lèvres se montrent friandes de cette partie dénudée de son corps. Depuis que je l'ai vue descendre chez moi dans cette robe splendide, j'ai du mal à retenir mon envie d'elle. Je la désire tellement. Cette nuit, elle sera une dernière fois à moi, rien qu'à moi.

—Le moment que vous attendez tous depuis si longtemps est enfin arrivé, annonce un des élèves du comité. Le roi de promo est...Bam bam... Logan Baldwin. Allez, viens, mon pote.

Même si je m'en doutais un peu, cette annonce ne m'enthousiasme pas plus que ça. Lu et Deb m'encouragent à me rendre sur scène où je récupère cette foutue couronne qui me ridiculise.

—Et maintenant, place à la reine. Laquelle d'entre vous va venir rejoindre notre beau roi et ouvrira le bal avec lui.

Quelle connerie ce truc ? Franchement, il est hors de question que je danse à cette soirée et encore moins si ma partenaire n'est pas Lu.

—La reine de promo est... roulement de tambour...

Même si je sais que la côte de popularité de ma fiancée n'est pas des plus élevée, je prie pour que ce soit elle qui me rejoigne sur cette scène.

—Mandy Slayer !

Putain ! Hors de question que cette fille me serve de cavalière. Mandy monte sur la scène, un sourire aguicheur, qui lui donne un air de pétasse, sur les lèvres. D'un regard noir, je lui fais capter mes pensées. Cette fille est vraiment trop conne de s'accrocher ainsi à moi, alors qu'elle sait depuis longtemps qu'elle et moi, c'est mort.

—Merci à tous. Je suis vraiment trop contente que vous m'ayez élue comme reine. Et je ne pouvais pas rêver mieux comme roi, déclare-t-elle dans le micro.

Je m'empare de ce fichu objet pour ne plus l'entendre. Sa voix de crécelle est toujours aussi horrible.

—Tous les ans, le roi et la reine de promo ouvrent le bal. Or, ce soir, je n'ai envie de danser qu'avec une seule fille, annoncé-je.

Quand mes yeux se portent sur Lu, un doux sourire illumine son visage. Je raffole de l'effet indéniable qu'elle a sur mon pouls.

—Lucy, bébé, viens là, l'invité-je à me rejoindre, en tendant une main dans sa direction.

Elle hésite quelques secondes, puis finit par se frayer un passage entre les élèves, poussée par nos potes.

Arrivée à hauteur de la scène, je la hisse dans mes bras pour l'aider à monter. Ma main dans la sienne, je l'entraîne vers le milieu des planches. Mal à l'aise face à tous les élèves, elle se réfugie contre moi. De mon corps, je lui fais un rempart pour la rassurer.

—Comme vous le savez tous, je suis avec cette fille depuis quelques mois à présent. Pour moi, elle est la seule reine qui existe, celle de mon cœur.

Pour confirmer mes propos, je retire ma couronne que je viens déposer sur sa tête, avant de déposer un tendre baiser sur ses lèvres. J'entends Mandy grogner dans mon dos. Le sourire amusé de Lu me fait sourire à mon tour.

—C'est avec elle que j'ouvrirais le bal ce soir et personne d'autre.

—C'est avec moi que tu dois ouvrir le bal ! s'énerve Mandy

—Quelqu'un a entendu quelque chose ? demandé-je à mes camarades, en entourant mon oreille de ma main.

Tous les élèves se marrent à ma mauvaise blague, tandis que l'autre cheerleader fulmine. La connaissant, je suis certain qu'elle a trafiqué les résultats pour pouvoir se rapprocher de moi. Heureusement que l'année s'achève. Dans quelques jours, je n'aurais plus à supporter son obsession.

Très mauvais danseur, j'ouvre malgré tout le bal. Dans les bras de celle pour qui mon cœur bat, je me fous de me ridiculiser, du moment que je ne lui marche pas sur les pieds. Je lui accorde deux danses avant de quitter la piste et de la laisser avec ses meilleures potes.

**********************

Après la nuit que je viens de passer entre les bras de celle que j'aime, j'avoue que la fatigue se fait ressentir. Bien que je pourrais recommencer sans hésiter, encore et encore.

Plus nous approchons de la maison et plus mon cœur se serre. Je sais que lorsque nous franchirons la porte, Peter sera là, à nous attendre. Nous aurons à peine trois heures pour nous dire au revoir. J'espère que Lucy ne m'en voudra pas de lui avoir tu la venue de son père. Je ne voulais juste pas gâcher cette soirée et la voir heureuse. Le souvenir de son sourire et de son corps s'unissant au mien toute la nuit resteront gravés dans ma mémoire jusqu'à ce que nous nous rejoignions.

Alors que notre chauffeur se gare devant la maison, je vois un voile de tristesse recouvrir les yeux de ma frangine

—Vous en faites une tête d'enterrement tous les trois, nous déclare Lucy en nous regardant tour à tour.

Seul notre silence lui répond. Je sais que tôt ou tard, je devrais lui parler, mais je veux juste encore profiter de ces quelques minutes de répit.

Avant qu'elle franchisse la porte, je la retiens par la taille, puis la plaque contre mon torse. Le baiser plein d'ardeur que je lui offre la laisse chancelante.

—Vous n'êtes pas rassasié, monsieur Baldwin, après cette nuit ? me taquine-t-elle avec un sourire malicieux.

—Et vous, mademoiselle Calaan ?

Quand elle m'embrasse à son tour, laissant sa langue se frayer un passage jusqu'à la mienne, je ne peux que réaliser qu'elle, aussi, voudrait qu'on poursuive cette nuit magique que nous venons de passer.

Nous restons encore quelques minutes sur le seuil de la porte. Je crois qu'aucun de nous ne souhaite voir ce moment s'achever, encore moins moi, d'ailleurs.

—Vous devriez rentrer, vient nous interrompre Deb.

Le regard qu'elle nous adresse est indéchiffrable. Savoir que sa meilleure amie est sur le point de partir doit lui être tout aussi insupportable qu'à moi. Surtout qu'elle doit en avoir encore plus conscience que moi, puisqu'elle a dû déjà voir cet homme qui va m'arracher l'amour de ma vie.

Mes doigts enroulés à ceux de Lucy, puisant mon courage dans l'avenir radieux que j'envisage, je l'entraîne à l'intérieur de la maison.

Un homme dans la quarantaine, brun, avec le même regard vert que Lucy se tient auprès de mon père. Quand elle pose ses yeux sur lui, elle s'arrête net et le dévisage, comme si un fantôme se trouvait devant elle.

—Pe...Peter ? balbutie-t-elle.

—Oui, c'est bien moi.

Lu nous observe tour à tour, cherchant sûrement une explication à sa présence dans nos regards. Quand elle porte ses yeux vers moi, je ne peux que baisser la tête. Grave erreur, car mon geste ne passe pas inaperçu.

—Qu'est-ce que tu fous là ? demande-t-elle, anxieuse.

—Je suis venue te chercher.

—Quoi ? Non ! s'insurge-t-elle. Logan, dis-lui que ce n'est pas possible !

Pour ne pas avoir à affronter son regard désespéré, je tourne la tête et ignore sa demande.

—Logan, s'il te plaît...

—Je suis désolé, c'est le mieux.

—Le mieux ? De quoi tu parles ? Je n'ai pas envie de partir en Australie, moi ! Et nos projets, tu y penses ?... Vous étiez tous au courant qu'il serait là, ce matin ? nous questionne-t-elle en nous regardant tour à tour.

Personne ne lui répond. Que pourrions-nous lui dire ? Je ne suis pas certain que lui dire la vérité soit la meilleure option. Tout en elle m'indique à quel point notre mensonge la blesse et la rend furieuse.

Le regard noir qu'elle m'adresse m'achève. Je viens de mourir, fusillé par la colère de ma fiancée. Sans un mot, elle gravit les escaliers rapidement. Malgré le regard de ma mère qui me supplie de ne rien faire, afin de lui laisser le temps de se calmer, je pars à sa poursuite.

Lorsque je pénètre dans la chambre, elle est assise sur le lit, les genoux remontés contre sa poitrine. Des larmes roulent sur ses joues. En silence, je m'approche d'elle, mais d'une main, elle me tient à distance.

—Pourquoi tu ne m'as rien dit ?

—Je ne l'ai su qu'hier.

—Alors cette nuit....

Sa phrase en suspens ne m'aide pas à comprendre le fond de ses pensées, contrairement à son regard qui me transperce. Cette nuit, je lui ai fait l'amour comme si nos vies en dépendaient et elle vient d'en réaliser la raison.

— Je ne partirais pas, Logan, me déclare-t-elle sans me regarder. Non, je ne peux pas partir. J'ai besoin de toi. Si je veux me sortir de l'enfer que j'ai vécu, je dois rester avec toi. Tu es le seul à pouvoir me rendre le sourire et me redonner confiance en moi. Tu te souviens, nous deux, c'est pour toujours. Pourquoi je devrais partir, hein ? Après tout, j'ai dix-huit ans...

— Tu dois le faire, la coupé-je. Je viendrais te rejoindre dans deux semaines. C'est une promesse.

Elle secoue la tête, pas du tout d'accord avec ce que je viens de lui dire. J'aimerais tellement pouvoir faire autrement.

— Tu ne comprends pas ! Je ne connais pas cet homme et il est hors de question que je parte avec lui !

—C'est ton père !

J'ai conscience qu'elle est en train de chercher tous les arguments possibles pour ne pas s'éloigner de moi. Pourtant, elle doit le faire. Je ne veux pas être celui qui lui parlera de l'autre salopard. Elle n'a pas besoin de savoir qu'elle est à nouveau en danger, je veux lui éviter une nouvelle terreur. De toute façon, même si je le faisais, je ne suis pas certain que ça y changerait quelque chose. Notre amour est si puissant que vivre l'un sans l'autre, c'est comme se retrouver au milieu d'un désert sans flotte. Elle a besoin de moi, comme j'ai besoin d'elle. Pourtant, je refuse qu'elle reste là. Si je la garde près de moi, je mets sa vie en danger et je ne veux plus jamais revivre ces quelques semaines d'enfer. Je ne veux plus jamais qu'il mette la main sur elle. Je l'aime trop pour la voir à nouveau souffrir.

Mes pas me mènent d'un bout à l'autre de la chambre, tandis que je réfléchis aux diverses options qui s'offrent à moi. Je me plante devant la fenêtre. Nerveux et brisé, je fourrage dans mes cheveux, avant de passer mes mains plusieurs fois sur mon visage.

—Tu dois vraiment partir.

—Non ! tonne-t-elle. Je ne te laisserai pas Logan. Jamais !

J'enfonce mes poings au fond de mes poches. Je sais qu'il ne me reste qu'une solution. Si elle ne veut pas me laisser, alors je n'ai pas le choix, même si ça va me flinguer. La mâchoire crispée, j'inspire pour puiser le courage qui me fait défaut afin de prononcer les quelques mots qui vont nous détruire à jamais. Je tente une dernière fois de la convaincre.

—Ne m'oblige pas à faire ça, Lucy, la supplié-je dans un dernier espoir. Je t'en prie, ne m'y oblige pas.

—De quoi tu parles ?

—Pars et je te promets de te rejoindre très vite.

Quand je me tourne vers elle, elle refuse en secouant la tête. Les larmes sur ses joues arrachent mon cœur.

—Logan...s'il te plaît...

Mon nom résonne comme un appel de détresse, auquel je suis incapable de répondre. À cet instant, je sais que tout est terminé. Je ferme les yeux pour ne plus voir son visage dévasté par la peine que je lui inflige. Mon cœur tente de se blinder face au coup qu'il s'apprête à recevoir.

—Logan ?

Sa voix est paniquée, son regard s'affole. Son cœur se brise devant moi, avant même que les mots franchissent mes lèvres. Les yeux fermés, je me résigne, je n'ai plus le choix. J'espère qu'un jour, elle captera que je l'ai fait pour la protéger. Que c'est un acte d'amour.

—C'est terminé, Lucy.

—Quoi ? s'étonne-t-elle, d'une voix étranglée. De quoi, tu parles ? Tu ne peux pas ? S'il te plait...

Sans même lui jeter un dernier regard, je quitte la chambre. Le cri de désespoir qu'elle lâche m'est insupportable. J'ai mal. Mal à en crever, mais c'était la seule solution pour qu'elle accepte de partir. Elle va tellement me haïr qu'elle acceptera de s'envoler à l'autre bout du monde avec son vieux.

Je dévale les escaliers, le cœur en millier de morceaux. Je ne respire plus, j'ai besoin d'air.

Ma frangine me jette un rapide coup d'œil, attristée, avant de courir rejoindre sa meilleure amie.

—Elle est à vous, informé-je Peter, en passant à côté de lui.

J'étouffe de plus en plus. Il faut que je sorte d'ici au plus vite. Que je m'éloigne d'elle le plus rapidement possible.

Alors que je me dirige vers ma bagnole, je titube, trébuche, terrassé par cette immense souffrance. Ce salopard a fini par gagner. Elle et moi c'est terminé, sans aucun retour en arrière possible.

J'ouvre ma bagnole et me tire. Je ne veux pas la voir partir. Je ne peux pas.

À quelques rues de chez moi, je me gare, incapable d'aller plus loin. Le front contre mon volant, je me laisse submerger par mon chagrin. Je ne suis plus foutu de retenir mes larmes. Ça fait trop mal ! Je vais crever.

Comment vais-je vivre sans elle maintenant ? Je viens de tout perdre. Ma meilleure amie. Ma fiancée. Mon âme sœur. Je vais devoir tourner une page sur tout un pan de ma vie.

À suivre...

**************

Merci encore de m'avoir lue. On se retrouve pour le tome 2 très vite.

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