L'épreuve de Josh
Lundi 11 janvier
Depuis quelque temps, je reprends ma vie en main. J'ai un nouveau job, un appartement, je n'ai pas fait de séjour en hôpital psychiatrique depuis 21 mois et j'ai même une petite amie. A trente ans, la vie me sourit enfin. Je suis moins hanté, mon "nouveau" (je dis nouveau mais ça fait trois ans que je le vois) psy m'aide beaucoup, il a trouvé les clefs et il m'a permis de passer à autre chose. Je ne rumine plus l'incident et mes envies de vengeances ont disparu. Enfin... C'est ce que je croyais...
Aujourd'hui, en marchant dans la rue, je suis tombé sur lui. Lui… Lui qui à 18 ans m'a violé dans les douches du gymnase, lui qui devait faire de moi une star de mon sport, lui en qui j'avais placé ma confiance, lui en qui je croyais autant qu'en mes parents. Il ne m'a pas simplement violé, il m'a laissé sans connaissance, le visage en sang, deux côtes cassées et des lésions à l'anus qui ont mis des mois à cicatriser. Ce jour-là, il m'a brisé, il m’a brisé physiquement mais aussi mentalement. Je n'ai plus remis les pieds dans un gymnase depuis. J'ai tout arrêté. Mes parents et mes amis n'ont rien compris. J'étais destiné à un grand avenir et, pour eux, j'ai tout laissé tomber par peur de ne pas réussir... S'ils savaient. Personne n'a jamais su, personne n'a jamais compris. De future star du basket (on me donnait deux ans pour être drafté si je ne me blessais pas) je suis devenu le faible qui a besoin de voir un psy, celui qui n'arrive plus à sortir de son lit, celui qui rate tout ce qu'il entreprend. Mon père ne m'a plus parlé pendant presque deux ans, il avait tellement investi pour que je réussisse "on n'est pas des faibles dans la famille!". Ma mère a fait ce qu'elle pouvait pour que je sorte la tête de l'eau, c'est elle qui m'a emmené chez mon premier psy, c'est elle qui a trouvé une voie qui m'a permis de m'épanouir un minimum, elle m'a aidé à me reconstruire sans savoir ce qui avait provoqué ce cataclysme... Elle ne sait toujours pas mais elle est toujours là pour moi. Mon père aussi, il a fait son deuil et il est revenu. Il s'est même excusé, à sa manière. C'est d'ailleurs lui qui m'a trouvé le dernier hôpital avec ce psy si efficace pour moi. Un établissement fréquenté par des sportifs de haut niveau, c'est donc ça qu'il me fallait: Un psy qui connaissait le milieu et des "camarades" issus de cette folle ambition qu'est le sport de haut niveau.
Bref, il était là, dans la rue devant moi. Il devait avoir quarante ans aujourd'hui et il était accompagné de deux enfants, deux petites filles, la plus jeune semblait avoir cinq ans, l'autre peut-être huit ou neuf. Il ne m'avait pas vu, il marchait tranquillement. J'ai donc décidé de le suivre. Je ne voulais pas qu'il me voit, c'était trop tôt. Ça n'a pas pris très longtemps, il n'habitait pas loin de cette rue.
Depuis quand habitait-il là? J'ai pourtant déménagé de plus de cinq cents kilomètres pour être proche de mon psy et pour commencer mon nouveau job. Je ne m'attendais pas à rencontrer mon vieux démon ici. Je pensais pouvoir passer complètement à autre chose, c'est ce que j'avais fait d'ailleurs. Pourquoi? Pourquoi le remet-on sur ma route? Est-ce un test? Que dois-je faire? Cinq ans plus tôt, que dis-je, deux ans plus tôt, la réponse aurait été simple, je l'aurais poignardé sur place. Mais maintenant, maintenant que tout allait mieux, maintenant que je le voyais en tant qu'homme, en tant que père, après avoir traversé tant d'épreuves et après les avoir (presque) surmontées pourrais-je le faire? Pourrais-je passer à l'acte? Pourrais-je devenir un meurtrier? Je ne le savais pas... Mais je notais son adresse sur mon téléphone et je reprenais mon chemin.
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Jeudi 14 janvier
Quelques jours plus tard, en repassant dans cette rue (oui, mon boulanger préféré officie dans cette rue!) je me suis machinalement dirigé vers sa maison. Je suis resté devant chez lui pendant presque une heure. Je n'ai vu personne, personne à l'intérieur, personne entrer, personne sortir. Mais je suis resté là, sans bouger, je ne sentais ni le vent ni le froid, j'étais ailleurs. En sortant de ma transe, j'ai appelé mon psy, je lui ai tout raconté et nous avons pris rendez-vous le soir même afin de travailler sur cette nouvelle donnée.
Je lui ai raconté comment j'étais tombé sur lui, comment je l'avais suivi, comment j'étais resté devant chez lui pendant une heure sans bouger. Au début, il était comme d'habitude, il me donnait des conseils, me demandait mon ressenti, ce que je comptais faire, ce que j'aurais aimé faire. Mais, au bout d'un moment, il m'a semblé moins présent, il posait moins de questions et il ne me donnait plus de conseils.
"Je suis désolé Josh" me dit-il au bout d'un moment.
"Je viens de penser à un truc et je n'arrive pas à me l'enlever de la tête, est-ce qu'on peut reprendre demain à 18h? Je serais plus présent et moins préoccupé. Mais, on a bien avancé aujourd'hui, je suis juste désolé qu'on ne puisse pas aller plus loin pour le moment. Promets-moi de ne pas y retourner avant notre prochain rendez-vous. Je pense que tu es passé à autre chose mais il ne faut pas tenter le diable".
C'était la première fois qu'il interrompait une séance mais, après tout, les psys aussi peuvent avoir des soucis et je n'étais pas au bord du suicide. Je n'étais pas non plus au bord du meurtre, je n'avais pas pris encore de décision mais, malgré tout, cette discussion m'avait permis de relativiser et de laisser ce sentiment de vengeance enfoui en moi... Pour le moment du moins.
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Vendredi 15 janvier
Le lendemain, vers quinze heure, je reçu un sms de mon psy:
"Je suis désolé, je n'assure pas mes rendez-vous aujourd'hui, je te reprogramme lundi 17h si ça te convient. Vide-toi la tête ce weekend et ne pense plus à cette rencontre avant notre rendez-vous. Plus facile à dire qu'à faire mais je te fais confiance."
J'aurais préféré le voir aujourd'hui, mais je rentrais voir mes parents ce weekend-là, je répondis donc:
"J'espère que vous allez bien. Je note le rendez-vous pour lundi. Ne vous inquiétez pas, je rentre chez mes parents pour le weekend, aucun risque que j'agisse à plus de 500kms de distance :-D . Je vais d'ailleurs avancer mon train pour arriver avant le diner. Bon week-end à vous."
Et hop, ça c'était fait. Direction la maison!
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Samedi 16 janvier
Le samedi soir, mes parents avaient invités quelques vieux amis à moi pour le diner. C'était très agréable et on resta veiller très tard. Ma mère, voyant la conversation s'orienter vers le sport, nous laissa vers minuit et demi. Mon père resta avec nous jusqu'au bout. Vers trois heures, mes amis finirent par partir et je m'apprêtais à aller me coucher quand mon père me dit:
"Tu sais fils, je n'ai pas compris ce qu'il s'est passé pour que tu arrêtes subitement le basket, mais sache que ce que je regrette le plus ça n'est pas ta carrière, c'est de ne pas t'avoir épaulé pendant près de deux ans. J'ai échoué dans mon rôle de père et j'espère que tu m'as pardonné."
Je n'avais jamais entendu mon père être aussi franc avec moi. L'alcool devait aider mais ça me touchait beaucoup.
"Tu n'as pas échoué dans ton rôle de père, deux ans sur trente c'est quelque chose que je peux te pardonner. Je t'en ai voulu je ne vais pas te mentir mais je t'ai pardonné et... Je t'aime!"
Ces mots provoquèrent une réaction à laquelle je ne m'attendais pas, mon père me prit dans ses bras et se mit à pleurer. C'était la première fois que je le voyais s'effondrer comme ça, je me mis à pleurer aussi. Mon père n'était pas le seul à avoir trop bu (oui, je ne devrais pas avec ma thérapie mais bon... de temps en temps...), ce moment de complicité père/fils me fit perdre pied et, après avoir pleuré toutes les larmes de mon corps, je finis par tout lui raconter. Tout... depuis le viol jusqu'aux évènements des derniers jours. Il m'écouta attentivement, ne dit rien. La seule chose qui sorti de sa bouche après ça fut "allons nous coucher".
Le lendemain, aucun de nous deux n'aborda le sujet. Mon train était à dix-neuf heure douze, ma mère me fit un sandwich pour la route et mon père m'accompagna à la gare. Une fois chez moi, il était tard, un coup de fil à ma copine et au lit. Demain est un autre jour.
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Lundi 18 janvier
Lundi, dix-sept heure, heure de mon rendez-vous chez mon psy.
"Ecoute Josh, je crois que ça va être notre dernier rendez-vous. Je suis désolé, je vais te conseiller un collègue mais je ne peux plus être ton psy".
Cette phrase me fit un choc.
"Pourquoi? Qu’est-ce que j'ai fait?" finis-je par dire dans un étrange mélange de reproche et de désespoir
Il ne répondit pas tout de suite, je pense qu'il ne savait pas comment me répondre ou quoi me dire.
"Ce week-end, je me suis séparé de mon compagnon. C'était... C'est? Un mec génial. Nous avons adopté deux petites filles ensembles et tout était au mieux dans le meilleur des mondes. Jusqu'à ce que tu m'as raconté jeudi... Jusqu'à ce que je comprenne que le monstre qui t'avait fait ça c'était lui. Je savais qu'il avait fait du basket à un bon niveau mais il restait très secret sur la période entre la blessure qui l'avait éloigné des terrains à 21 ans et la période où il a emménagé ici à 28 ans. Je comprends maintenant ce qu'il me cachait, je comprends tous ces secrets. Je pensais juste qu'il ne voulait pas m'avouer qu'il avait enchainé les conquêtes mais c'était pire que ça, toutes ses conquêtes n'étaient pas consentantes et, même, parfois mineurs. Tu n'as pas été le seul, il me l'a avoué. Mais je l'aime. Ça n'est plus cette personne, il est adorable avec les filles et avec moi. Jamais un mot plus haut que l'autre... Jamais. Mais je ne peux quand-même plus lui faire confiance alors je suis parti. Avec les filles, pour le moment. Je ne peux pas porter plainte contre lui et je ne l'aurais pas fait de toute manière. Maintenant, toi, tu peux le faire, tu dois le faire. Mais je ne t'y forcerais pas, je l'aime encore. Désolé pour tout. Je vais voir avec le docteur Durand s'il peut te suivre maintenant. Ne me juge pas, ne m'en veux pas. Désolé."
Ce discours me laissa sans voix, je sortis du cabinet sans un mot, sans comprendre, sans sentiments, sans rien... J'étais vidé mais il fallait que je sache, il fallait que je sois confronté alors, j'y suis allé.
Ce coup-ci, je ne suis pas resté planté devant chez lui, j'ai frappé à la porte directement. Il n'a fallu que quelques secondes pour qu'il ouvre. Quand il m'a vu, il n'a rien dit, il s'est écarté et m'a laissé entrer. Nous sommes restés quelques minutes debout dans son salon sans rien dire, sans même se regarder. Ce laps de temps m'a paru être aussi long que la fois où il m'avait... Bref, vous comprenez. C'est lui qui a parlé en premier.
"Je ne suis pas pardonnable, à l'époque j'étais drogué. Comme tu le sais, à 21 ans je me suis blessé alors que j'étais aux portes de l'équipe de France. Ce premier renoncement a été très dur pour moi alors j'ai commencé à boire, certainement un peu trop, mais je gérais. Un an plus tard, ma douleur ne s'estompait pas, je suis allé voir un médecin qui m'a prescrit de la morphine à petite dose pour me calmer lorsque ça devenait vraiment insupportable. Il m'avait prescrit ce médicament pour que je puisse prendre le poste d'entraineur à l'académie où nous nous sommes rencontrés. Ça a fonctionné, un temps du moins. Puis les douleurs sont revenues. Je forçais beaucoup pour rivaliser avec les jeunes que j'entrainais et ça n'était pas bon pour ma blessure. Alors j'ai revu ce médecin qui a refusé de me prescrire de nouvelles doses et qui m'a conseillé d'arrêter les sports violents et de contacts. D'après lui, je devais faire de la natation et du vélo. Je ne l'ai pas écouté et je me suis remis à boire. Encore plus qu'avant. Puis j'ai cherché à me procurer de la morphine via des réseaux parallèles. C'est là que tout a basculé. J'ai commencé à avoir des pulsions, des excès de violence et de rage. Je ne savais plus ce que je faisais. Tu n'as pas été le seul mais tu as été le dernier. Quand j'ai compris ce que je t'avais fait et que j'avais gâché ta carrière, je suis parti, j'ai tout quitté et je suis rentré en désintox. Ça fait 12 ans que je suis clean, ça fait 12 ans que j'ai gâché ta vie."
Il se mit à pleurer, à pleurer tellement fort qu'il ne me vit même pas partir. Je ne pouvais pas lui pardonner mais je ne pouvais pas non plus lui faire du mal. Son histoire m'avait permis de comprendre et j'étais prêt à passer à autre chose. Ce jour-là j'ai pris la décision de redevenir le maitre de ma destinée et de ma vie et ça m'a fait un bien fou. J'avais déjà entamé ma reconstruction mais cet évènement m'a fait comprendre que j'étais sur la bonne voie et qu'il fallait que j'y reste. C'est la dernière fois que je l'ai vu.
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Mercredi 3 mars
Aujourd'hui, dans la matinée, s'est déroulé un drame terrible. Un homme d'une quarantaine d'année a été assassiné par son conjoint, un psychiatre bien connu de la région. Nous ne savons pas ce qui a provoqué cet évènement mais ils laissent derrière eux deux jeunes filles livrées à elles-mêmes.
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Mardi 25 mai
Aujourd'hui, je me suis rendu au parloir de la prison. J'avais besoin de parler à mon ancien psy, de savoir ce qu'il s'était passé et de comprendre pourquoi il en était arrivé là alors que, moi, j'étais passé à autre chose.
"Bonjour docteur,
- Salut Josh, pourquoi es-tu venu?
- Il fallait que je vous vois, que je comprenne, pourquoi avez-vous fait ça?
- Josh, ne joue pas à ça avec moi, on sait très bien tous les deux ce qu'il s'est passé. J'ai gardé le secret pour plusieurs raisons qui me sont propres mais ne vient pas pavoiser devant moi pour te venger! Ma sœur a pris les filles et va les élever comme ses propres enfants, c'est ça qui me réconforte et qui fait que je tiens ici. C'est ça aussi qui fait que j'ai plaidé coupable. Je suis responsable de n'avoir rien vu, je suis responsable de ne pas l'avoir dénoncé, mais on sait tous les deux que je ne suis pas responsable de son meurtre même si tout m'accusait sur la scène de crime. Belle mise en scène Josh, bravo! Tu as eu ta vengeance, aussi bien contre lui que contre moi. Maintenant, va-t’en et ne revient jamais me voir!!!"
"GARDE!"
Il ne me laissa même pas le temps de réagir. Il fallait que j'assimile ce qu'il venait de me dire. Il n'était pas coupable? Il pensait que c'était moi?
Une fois dehors j'étais encore sous le choc mais... que faire? Après tout, il cherchait peut-être juste à me culpabiliser et à rejeter la faute sur quelqu'un. Je sais que je n'ai rien fait donc, soit c'est lui soit c'est une autre ancienne victime. Il l'avait bien cherché même si, pour ma part, j'avais réussi à passer à autre chose.
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Vendredi 24 décembre
Me voilà de retour chez mes parents pour les fêtes. Je suis venu plusieurs fois cette année mais c'est toujours spécial de venir pour les fêtes. Et puis, je suis là avec ma copine, on compte leur annoncer nos fiançailles au repas de ce soir.
En attendant, je bouquine tranquillement sur le canapé avec ma copine à côté. Je lis la biographie de Tony Parker alors qu'elle a choisi un livre dans la bibliothèque de mes parents.
"Josh?
- Oui? Qu’est-ce qu'il y a?
- Tu ne m'avais pas dit que tes parents étaient venus te voir.
- Euh, je crois qu'ils ne sont jamais venus me voir depuis qu'on est ensemble mon cœur."
Elle me sourit et me tendit un papier.
"Merci, mais c'est quoi?
- bah regarde et explique moi ça alors!"
Je pris le papier, l'ouvris et... Ce que je vis me glaça le sang. Un billet de train au nom de mon père.
Aller mercredi 3 mars 7:04 / Retour mercredi 3 mars 13:53
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