Iryn
Se donner le temps : quelque chose qui n'est pas aisé dans une société où tout va si vite. Pourtant, la patience est essentielle à tout coeur qui souhaite (s')aimer sincèrement.
Warm heart in a cold season
Iryn n'arrivait pas à dormir. 3h15 s'affichait sur le réveil mais le sommeil s'obstinait à la fuir. Elle regarda avec tendresse Lee qui dormait à ses côtés, une expression paisible sur son visage. Comment faisait-il ? Ce soir, aurait lieu le vernissage de l'exposition tant attendu. C'était un évènement qui faisait beaucoup de bruit dans le monde de la mode et plusieures affiches étaient placardées dans les points clés de la métropole. La renommée du jeune photographe était telle que des figures célèbres seraient au rendez-vous. Tous souhaitaient connaître le projet secret sur lequel il travaillait depuis plusieurs mois.
Iryn se leva en prenant garde à ne pas révéiller Lee et alla dans la salle de bain se passer de l'eau fraiche sur le visage. Le miroir renvoyait l'image d'une jeune femme épanouie et Iryn ne put s'empêcher de sourire devant le changement progressif qui s'accomplissait de jour en jour. D'abord intérieure, sa transformation avait gagné peu à peu ses traits : il était loin le temps où elle pleurait presque tous les soirs de solitude et de sentiment de n'appartenir à nulle part ! Ce soir, c'était l'occasion de se prouver qu'elle avait changé. Elle avait décidé, avec l'encouragement de Lee, qu'elle participerait à l'exposition.
Pourtant une boule d'angoisse lui nouait l'estomac quand elle se demandait si elle serait à la hauteur de ses attentes. Car si avec Lee elle avait su trouver un certain équilibre, elle n'était pas du tout certaine de pouvoir abaisser ses barrières devant les autres. Avec lui, c'était différent dans le sens où elle l'avait attendu depuis le début ; leur amour découlait d'une évidence presque providentielle - pour ceux qui croient en ces choses. Iryn se sentait en sécurité avec lui et apréhendait la confrontation avec tout ce qu'elle avait fuit. Surtout qu'en tant qu'égérie, elle serait sous les feux des projecteurs.
Elle essaya de se rendormir sans succès et quand le réveil sonna, Iryn était en pleine réflexion, tiraillée entre la volonté de surpasser sa difficulté à s'ouvrir aux autres et le besoin urgent de fuir seule et de se replier sur elle-même. Elle ne dit rien à Lee quand il se réveilla, car elle ne voulait pas faire de ses problèmes la discussion du jour : il avait d'autres choses à penser ! Mais elle ne put cacher son mal-être très longtemps et le jeune homme sut déchiffrer son atitude de marbre qu'elle affichait depuis le petit-déjeuner. Il n'en tint pas rigueur, il savait que ce n'était pas lui le problème. Mais il s'inquiétait de ne pouvoir l'aider : ce combat, elle devait le mener seule, même s'il l'épaulait du mieux qu'il pouvait.
Le reste de la journée, l'humeur d'Iryn s'empira et elle en devenait presque agressive alors que ce choix, elle l'avait prise seule. Ce qui l'énervait, c'était le fait qu'elle ne pouvait décommander et bien que Lee lui ait moulte fois proposé, elle ne voulut pas mentir en pretextant être malade ; mentir n'était pas dans sa nature. Le stress augmentait au fur et à mesure que les heures s'écoulaient.
Lee voulait être sur les lieux deux bonnes heures avant, afin de finaliser les derniers préparatifs. Iryn espérait qu'il lise dans ses pensées et lui dise de ne pas venir. Mais il n'en fit rien et, la mort dans l'âme, elle fut obligé de l'accompagner : coiffeur et maquilleur l'attendaient. Iryn redoutait de devoir attendre sur place et se demandait si ce n'était pas mieux de faire une entrée discrète une fois que les convives seraient déjà là. Lee lui prit délicatement le bras pour l'accompagner jusqu'à la voiture, car il savait qu'elle n'en avait pas la force.
Une fois arrivés, ils n'eurent même pas le temps de souffler tellement la liste des "dernières" choses à vérifier était longue. En voyant ses photos d'elle, affichées un peu partout sur de très grands formats accrochés aux murs, ou flottant au dessus du sol par des fils, Iryn pris de nouveau conscience du talent du jeune homme. Il émanait des photographies une certaine lumière, quelque soit le modèle pris, qui reflettait la personnalité de la personne, son âme. Elle se souvenait de la premiere fois où il l'avait prise en photo, elle avait été choquée de voir que le cliché collait parfaitement avec l'image qu'elle avait d'elle dans la tête. Certes, sa beauté était reconnue par les gens, mais elle ne s'était jamais réellement autorisée à se l'avouer. Sa carapace qu'elle s'était forgée l'en avait empêchée. Maintenant, elle se surprenait à regarder un portrait d'elle s'en détourner le regard, et en s'appréciant. Lee lui sourit, satisfait de voir l'humeur de la jeune femme s'améliorer enfin.
Quelques minutes plus tard, les premiers invités apparurent et la soirée d'ouverture put commencer. Iryn se tint d'abord à l'écart, le temps que la salle se remplisse peu à peu. Puis, quand Lee alla saluer les convives et l'appella, elle fut obligée de le rejoindre. Ses mains moites trituraient le prospectus d'invitation dans lequelle elle s'était plongée jusque-là - comme si elle ne le connaissais pas par coeur depuis déjà deux semaines - et sa démarche était quelque peu forcée. Son élégante robe bleue qui brillait renvoyait une image à la fois raffinée et son port altier achevait de séduire les personnes avec qui parlait le photographe. Lee la présenta imméditement, et une série de compliments sur la beauté des traits de la jeune femme fusèrent, sans quelle ne s'y soit préparé.
- Il est vrai que tu as du talent Lee, mais avoue que cette fois, c'est le modèle qui a tout fait !
Lee sourit et acquiessa à la remarque en se tournant vers une Iryn clairement mal-à-l'aise. Sa réaction - telle une statue de marbre - fut un simple sourire lointain et elle braqua son regard sur Lee, sa bouée de sauvetage dans ce flots de paroles embarrassantes auxquelles elle ne savait que répondre. Les interlocuteurs, déconcertés car habitués à l'assurance qu'affichait en général les modèles, lancèrent des regards confus à Lee.
Croyant briser la glace, un des hommes s'adressa à Iryn :
- Et vous, ma chère, ormis la photographie, qu'est-ce qui vous passionne dans la vie ?
Iryn avait horreur de ce genre de question vague à laquelle une simple réponse n'aurait sut retranscrire l'immensité des choses qui la passionait. Elle n'aimait guère plus les questions pointilleuse du style "quel est ton chanteur préféré ?" qui, pour elle, n'avait pas plus d'intérêt qu'un discours insipide sur la météo. C'était même devenu un test : si une nouvelle personne lui demandait ça, elle pouvait être sûr que la soirée allait être longue d'ennui. Mais elle ne pouvait se cloitrer dans ce mutisme et elle se força à répondre quelque chose. Les mots qu'elle employaient étaient plats et l'image qu'elle renvoyait était celle d'une femme froide et blazée, d'une banalité ennuyeuse. Elle n'arriva même pas à parler d'elle en tant qu'artiste, ni de mettre en avant ses talents d'écrivaine. Lee endurait le même supplice qu'elle, car il voyait bien que l'image qu'Iryn dépeignait ne faisait pas honneur à la femme qu'il aimait. Pensant l'aider, il commença à parler pour elle :
- Oui, mais ce qu'elle ne dit pas c'est qu'elle peint et qu'elle écrit aussi.
- Oh vous écrivez ?, répondit une des femmes, et quel est votre style ? Policier, romance ?
Iryn lança un regard noir à Lee ; il y avait une raison pour laquelle elle n'avait pas entammé ce sujet. Elle n'arrivait pas à parler d'elle et ne le souhaitait pas, de toute façon, surtout pour des personnes qui au fond s'en fichaient. Elle se retrouvait piégée à devoir répondre sans trouver la bonne formulation. Elle bafouilla en dénigrant son travail :
- Oui, enfin, j'écris comme ça, surtout pour moi-même. Je n'ai pas de genre en particulier...
Le problème avec les personnes qui n'ont pas assez d'assurance et de confiance en soi, dans un monde tourné vers le centrisme et le show off, c'est qu'elles embarrassent les gens. Tout le monde doit pouvoir donner un cv de sa vie, brillant, épuré et qui fait rêver ; lissé comme un filtre Instagram. Être gêné... est gênant ; ne pas se mettre en avant est dérangeant.
Lee se permit une seconde fois de venir au secours d'Iryn :
- Et elle a même remporté des concours ! (Se tournant vers Iryn) Tu as même un projet sérieux en cours, pas vrai ?, l'encouragea-t-il.
Mais qu'est-ce qui lui prenait ? Elle savait qu'il faisait ça pour l'aider, mais elle avait l'impression d'être avec un père fière de sa fille ! Iryn commença à étouffer, elle avait envie d'exploser. Elle garda son sang froid dans un ultime effort et dès que Lee se dirigea vers un autre groupe, elle lui faussa compagnie pour rejoindre la terrasse extérieure. Elle avait besoin d'air !
Il n'y avait pas beaucoup de monde dehors, l'animation était surtout à l'intérieur. Iryn avança jusqu'à la balustrade furieuse contre elle-même, les larmes aux yeux. Un vent glacé soufflait doucement sa brise en ce mois de décembre et son voile légé sur ses épaules ne la protégeait pas. Mais elle s'en fichait, perdue dans ses pensées, elle fit abstraction du monde qui l'entourait.
Depuis tous ces mois, elle n'avait donc pas changé ? Elle s'énervait dans ces moments-là : pourquoi ne pouvait-elle tenir une simple discussion lorsqu'il s'agissait de parler d'elle à des nouvelles personnes ? Elle n'aimait pas l'idée de se vendre devant autrui, mais ça allait au-delà. Elle avait l'impression que quoi qu'elle dise, ce ne serait pas très intéressant, ou bien, elle n'avait pas envie de partager les choses qui lui importait, avec eux. Mais là où beaucoup avaient juste un jardin secret, Iryn s'était dévellopée en fermant une grande partie de son être aux autres, triant sur le volet qui y avait accès. Ses barrières, encores biens présentes, étaient bien plus solides qu'elle ne se l'était imaginé !
Au fond, elle se fichait pas mal de ce que ces personnes pensaient d'elle, même s'ils avaient dû la trouver peu intérressante. Non, ce qui l'attristait, c'était de ne pas arriver à montrer qui elle était et de se fermer à ce point au monde. Car cela signifiait qu'elle avait encore peur d'être elle-même, de ces capacités, peur de briller ; toutes ces choses qu'elles s'étaient refusées depuis l'enfance, sans trop savoir pourquoi.
Iryn frissonna car l'air était vraiment glacé. Les étoiles étaient magnifiques ce soir-là. Elle sentit une présence à ces côtés. Elle tourna la tête et vit une magnifique jeune femme à la chevelure de feu lui sourire tristement ; elle aussi avait l'air d'avoir passé une soirée difficile. Iryn lui rendit son sourire.
- Joy, fit la jeune femme.
- Iryn.
- Oui je sais, tu es un peu la star ce soir.
Les deux femmes parlèrent respectivement de leurs projets artistiques. Iryn fut très enthousiaste pour l'agence de mannequina que souhaitait créer Joy. Elle se rappella que Lee lui en avait vaguement parlé. Elle ne savait pourquoi, mais avec certaines personnes, le contact passait de suite - comme avec Lee - et elle n'avait plus aucun problème pour parler d'elle. Iryn compris que le travail sur elle était surtout à faire avec les personnes qui, en fait, ne l'intéressait pas. Les coeurs superficiels qui parlaient dans le vent et qui jugeait du moment que l'on ouvrait la bouche, voire même au moment où l'on arrivait. C'était sur cela qu'elle devait travailler, la peur d'être jugée pour ce qu'elle était.
Si Iryn était sûre d'une chose, c'est qu'elle était légitime dans sa vie ; personne ne lui prendrait la place de son existence. À trop vouloir se protéger en se mettant en retrait, on laisse la place aux personnes néfastes, la possibilité de grignoter notre espace vital. Chacun a son propre cercle dans lequel il peut briller, sans empiéter sur celui de l'autre. En voyant cette jeune femme devant elle, Iryn comprenait qu'un équilibre entre assurance et modestie était possible. L'exposition qu'avait réalisé Lee en la prenant comme modèle la réconciliait avec elle-même, comme une guérison à son manque de confiance.
Lee ne tarda pas rejoindre les deux jeunes femmes. Iryn le regarda intensément, le remerciant comme à son habitude, par un silence et une expression qu'eux seuls déchiffraient. Elle lut le soulagement dans les yeux de l'homme qu'elle aimait. Et quand une étoile filante traversa le ciel, Iryn fit le voeux dorénavant de ne vivre que pour elle et les êtres qu'elle aimait, sans plus se soucier du regard des autres.
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