8/10. Au Havre

5 minutes de lecture

 Darius s’insurge contre Mona Lisa ou plutôt contre un mur, craint-il. Son éviction l’irrite, sans surjouer. Cependant, il conteste à l’aide d’un seul argument, une évidence à clamer : la mission actuelle n’empêche pas la suivante parce qu’elles ne sont pas concomitantes. En effet, le recrutement des fonctionnaires déloyaux envers leur système ne fait que démarrer.

 Contre toute attente, Mona Lisa se laisse convaincre sans résistance par sa soldate manchote. Pourtant elle sait que sa Vénus risque d’y laisser des plumes. « Ouf ! Ça passe », se dit Milus en comprenant qu’en parlant avec ses mains, il aurait été expansif et bien plus convaincant. Il se promet d’être circonspect lors du prochain choix d’avatar, à l’occasion d’une future mission. Pourquoi pas Kali, la terrifiante déesse aux huit bras ? Cette perspective le réjouit déjà.

 Le moment approprié pour l’entrainement avait été fixé à 20H00. L’heure est venue, Darius va agir en chair et en os. Milus est hors-jeu, à chacun son monde ! Le personnel mobilisé, autrement dit les traitres du Louvre et leurs faux stagiaires ont patienté dans la salle de repos dont disposent les membres de la sécurité. Le déploiement des troupes s’effectue en respectant le minutage prévu, chacun approche sa cible et mime la pose de l’explosif autocollant. L’évacuation se déroule dans les temps impartis. Ce soir-là, les caméras de surveillance furent toutes défectueuses, une heure durant. Normal, puisque la majorité du bataillon est constitué de gardiens. L’opération est un succès !


 Bientôt minuit, une réunion d’une importance majeure convie Ébo et Darius auprès de la chaine de commandement du Havre. Dans la place forte, le binôme d’enquêteurs n’a pas accès à tous les départements. Ils connaissent les parties communes, à savoir les salles de restauration, de sport et de débriefing. Ils fréquentent avant tout l’immense hangar organisé façon open space tourné vers le métavers. Or, leurs attributions ne les autorisent pas à visiter les divers laboratoires ni l’immense data center. Exceptionnellement, leur convocation les conduit un étage plus bas qu’à l’accoutumée, une zone uniquement fréquentée par des militaires. Plus bas encore, un ultime étage est transformé en abri anti atomique destiné aux membres de l’exécutif, le président de la République en tête.

 Ce soir, le chef des opérations du département métavers se voit entouré de deux généraux, du ministre de l’Intérieur en personne accompagné de trois conseillers en stratégie de la sureté nationale. La salle de réunion est spacieuse, fonctionnelle, et fade. Une touche d’originalité à l’esthétique discutable attire l’œil pour un visiteur occasionnel. On s’étonne des dossiers des douze fauteuils bien trop grands autour de la table ovale. Pourtant aucun géant ne fréquente les lieux. Sur les écrans du mur qui fait face à l’entrée, des visages apparaissent. Le nom et le pays d’origine de chacun des interlocuteurs distants s’affichent en bas des moniteurs. Il s’agit de généraux ou bien de directeurs de la sécurité de diverses nations.

 Arrivé en même temps qu’Ébo à l’entrée du Havre, Darius l’avait à nouveau abreuvé de propos extravagants :

— Je vais briller devant les patrons ce soir. Ça sent la promotion !

— Je préfère ne rien savoir, réclame sa partenaire.

— Tu es jalouse ? Ne t’inquiète pas, je vais m’arranger pour que tu m’accompagnes dans mon ascension. Alors je t’explique ?

— Non, ça ira ! Merci ou pitié, je te laisse choisir.

— Comme d’habitude, puisque tu insistes, tu seras la première dans la confidence ! J’ai percé le mystère de REVOLU : c’est une institutrice à la retraite qui se planque derrière Mona Lisa…

 Puisqu’il est impossible de faire taire Darius, il dresse le profil de la coupable présumée. Il fait d’abord remarquer que ses économies de déplacement dans le métavers faisaient penser à une personne âgée. Par ailleurs, la qualité d’expression au ton suranné des discours colle à une personne instruite ayant connu le siècle précédent. On peut imaginer qu’une ancienne visite scolaire au Louvre avait dû si mal tourner pour la maitresse d’école, que l’heure de la vengeance avait sonnée. La retraitée aurait trouvé de l’aide auprès d’anciens élèves geek devenus des hackers complaisants…

 Sans lui avouer, Ébo se dit que son compagnon est tout de même bien distrayant parfois. Toutefois, elle préfère camper son personnage d’équipière contrariée :

— Tu ne te lasses jamais d’être un crétin ?

— Arrête, là tu m’encourages, s’amuse Darius qui a entrevu une esquisse de sourire arborée par celle qui fait un pas quand il en fait deux.

— Finalement, j’ai hâte que tu t’exprimes tout à l’heure afin que tu te fasses virer, fait semblant de se régaler Ébo.

— Ils sont peut-être plus ouverts que toi !

— Eh bien, on verra ! Je me souviens que tu disais en avoir marre de nos tenues sportwear. Moi, j’en ai marre d’un collègue qui titille mon majeur. Mais après ton humiliation, on va enfin m’associer à une personne qui tient la route. Alors bye bye Darius alias Minus.

— C’est curieux cette façon pudique de me dire que tu tiens à moi. Tu es bavarde ce soir !

— Allez, ne nous fout pas la honte, s’il te plait.

 Dans la salle de réunion des têtes pensantes, Ébo Kapoma et Darius Glaski sont sollicités pendant les échanges tous azimuts. On les flatte, sans que cela soit l’objectif, en leur demandant davantage que des précisions. Leur avis est requis à trois reprises. Attentifs aux informations fournies par les agences étrangères par le biais de leur représentant en ligne, un incroyable stratagème leur est dévoilé. Mais après une heure, on les pousse vers la sortie pour laisser les grands entre eux.


 Sous le choc, les deux fureteurs des mondes virtuels n’ont pas pu se résoudre à se séparer comme si de rien n’était. Ébo accepte volontiers l’invitation de Darius pour converser dans un bar discret du quartier. Ils y confrontent leur compréhension des étonnantes informations lâchées par les éminences grises. Ainsi ont-ils appris, grâce au travail collaboratif des services de renseignements que tout est régi par une intelligence artificielle. L’information provient des Américains. Outre Atlantique, ils ont compris avant tous leurs homologues du vieux continent qu’une machination de grande envergure tissait une toile venimeuse dont il restait à cerner les contours.

 Au Havre, les expertises n’allèrent pas jusqu’à découvrir un pilotage par une IA. L’équipe des analystes avait fait de modestes avancées au cours de l’enquête. À leur décharge, il faudrait en embaucher bien plus pour traiter les quarante missions symbolisées par les cases de l’échiquier vivant. Ébo leur suggéra de passer les discours de La Joconde à travers le prisme de l’étude linguistique. Elle avait noté que Mona Lisa n’utilisait jamais de métaphores, ni d’expressions. Cette précaution langagière fut un indice précieux. En effet, des tournures de phrases propres à une langue peuvent être traduites avec maladresse puis révéler l’origine du responsable des propos. Aujourd’hui un faisceau de preuves apportées par la collaboration internationale confirme que la conspiration dont REVOLU n’est qu’une branche est menée depuis l’étranger. Avec le recul, il apparait évident que seule une IA possède les algorithmes capables de contrôler le contenu d’une conférence ou bien d’une simple conversation.

 Bref, la réalité est bien moins burlesque que l’hypothèse de Darius, quand il incriminait avec malice une ancienne professeure des écoles vindicative. Dommage !

Annotations

Vous aimez lire Louis Wladislaw ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0