Au Havre, on réclame des précisions :

— Vous êtes formel concernant l’identification de Darius Glaski ?

— Je me contente de vos descriptions et de la photo que vous venez de m’envoyer, précise l’interlocuteur sur les lieux du drame.

— Cette photo vient d’une de nos caméras. Elle date du début d’après-midi, suite à la passation des dernières consignes.

— La morphologie correspond et les lambeaux de vêtements non calcinés aussi. Mais s’il est rentré chez lui avant de venir ici, il a pu changer de tenue.

— Vous dites que tous les autres sur place ont été reconnus et que personne ne s’est échappé. Nous craignons que vous soyez sur la bonne piste.

— Attention ! Un cadavre au visage brulé, ce n’est pas dans mes compétences. On en a plusieurs ici des victimes défigurées, cela autorise quelques doutes ! Le légiste m’a confirmé qu’il faut une analyse ADN, c’est en cours. On aura les résultats des tests dans une dizaine de minutes. En attendant, je vous envoie la photo de la tête votre agent. Que les plus sensibles détournent le regard !

 Dans sa chambre, un jeune homme se réveille péniblement et s’assoit au bord de son lit. 20H15 s’affiche par projection holographique à proximité du plafond. Il s’efforce de reprendre ses esprits et des images de type flash l’assaillent : Mona Lisa, le box 38, Ébo, la Vénus de Milo, etc. Darius réalise enfin qu’il a raté sa mission puisqu’il est resté chez lui ! Il prend son téléphone avec l’intention de donner signe de vie auprès de sa hiérarchie qui a cherché plusieurs fois à le joindre. Avant d’appeler, il constate qu’il a reçu un message vocal de sa coéquipière. Il l’écoute, encore un peu sonné. Le long monologue de sa partenaire est marqué par une émotion sincère. Ça y est, tout s’éclaire ! L’adrénaline le réveille pour de bon.

 En fin de compte, il ne contacte pas son supérieur. Il lui servira très bientôt une version qu’il doit mettre au point avec Ébo, quitte à se compromettre. Darius fonce aider sa collègue en se rendant chez elle, il devine qu’il doit se dépêcher. En effet, pour l’instant Le Havre le croit mort, et la tragédie du jour détourne l’attention. Là-bas, ils sauront bientôt retracer son emploi du temps avec les caméras de la ville. Ils s’informeront également de l’activité de son smartphone.

 La nuit s’impose. Une casquette vissée sur la tête, Darius marche vers la station de métro la plus proche. Disculper sa partenaire devient son obsession, il saura mentir, peu importe les conséquences. Il écoute à nouveau ce message qui le secoue et le pousse à réagir :

C’est Ébo ! Désolée pour le somnifère dans ton mug. Tout ça, c’est de ta faute avec tes conneries sur l’amitié ! Pourvu que tu entendes ce message à ton réveil !

Sache que le Havre ne voulait pas te dire qu’après chaque session REVOLU, le comité des élus subissait une séance d’hypnose menée par Mona.

Elle n’est qu’une I.A. qui pilote un métavers ! Son but : transformer ses pantins en martyrs. Ta Vénus ridicule dirait « les bras m’en tombent », n’est-ce pas Milus ?

Fallait accepter quand elle t’a exclu du projet. T’as fait le malin, comme toujours, et maintenant tu sais que tu n’étais pas essentiel pour ses prochains plans.

Les sons hypnotiques qui accompagnaient sa voix me vrillaient la tête. Tu n’en gardes aucun souvenir, semble-t-il. Ton cerveau a été conditionné sans que tu t’en aperçoives, avec une efficacité tellement sous-estimée par nos chefs ! Sache que ton suicide était programmé. C’était le bouquet final ! Ta plongée dans la métaliénation, ton mot stupide, a tourné au lavage de cerveau ! C’est beau le progrès !

Le Havre m’a interdit de t’en parler pour préserver la mission, surtout depuis qu’elle a pris une tournure internationale.

Tu étais en danger ! On m’a envoyé promener, soi-disant que je manquais de sang-froid, que tout était sous contrôle. J’espère que des têtes vont tomber !

Bref, je suis dans la merde désormais ! Quelle idiote ! Je me rendrai au Havre demain matin, je n’ai plus qu’à assumer...