Chapitre 3
A cette date, Camille n'aurait pas dû être à Paris.
Trois ans auparavant encore, elle passait les fêtes en province, dans le village aimé où l'attendait sa mère. Tous les ans, en décembre, quand la ville s'habillait de lumière, son cœur à elle s'habillait de joie à la pensée des trois semaines de vacances qui l'attendaient. Elle se voyait s'asseoir au coin de l'âtre familière à son enfance, devant la crèche aux santons usés par le temps. Elle se réjouissait à la pensée des cadeaux qu'elle offrirait : un peignoir brodé, un foulard en soie, des pantouffles chaudes, des livres illustrés... rien n'était trop beau, ni même trop cher, car son salaire bien que modeste suffisait amplement à ses maigres besoins.
Tous les ans elle avait droit à trente-cinq grands jours de bonheur, en comptant ses congés d'été qu'elle passait aussi "chez elle"...
Tous les ans jusqu'à ce mois de mars où une mauvaise grippe avait emporté sa mère ; avec elle, elle avait enseveli son sourire. Elle avait rejoint Paris un peu plus pâle, et Paris lui avait semblé plus gris.
L'année suivante, renonçant aux fêtes, elle avait pris ses vacances en avril : elle avait espéré que la douceur du printemps lui permît à nouveau d'apprécier la campagne, mais la campagne vide lui avait paru aussi froide qu'en décembre.
Alors elle avait réduit la durée de ses congés, pendant lesquels elle s'ennuyait. Peut-être ses collègues avaient-elles interprété cela comme un excés de zèle ? Peut-être cela leur avait-il déplu ? Camille savait en tout cas que ses collègues resteraient ses collègues, sans plus. Elle se défendait d'en souffrir.
En semaine, elle travaillait dans un bureau, au sixième étage d'une tour. Toute la journée elle saisissait sur un logiciel spécial, les données de formulaires administratifs. Elle ne se plaignait pas. Pendant que ses doigts couraient sur le clavier, son esprit s'envolait vers ses inconnus dont les noms filaient sous ses yeux. Des gens "ordinaires", comme on dit. De ceux qui ont un travail, une famille, et prennent leur bonheur là où ils le trouvent. Elle enviait un peu ceux qui étaient mariés, comme ce Maurin Philippe.
Cet homme devait rentrer le soir dans un coquet pavillon de banlieue. Il y avait des géraniums aux fenêtres et du civet à dîner. Un petit Pierre lui montrait sa voiture de pompiers toute neuve. Une femme en tablier l'aidait à ôter sa veste et lui apportait un café chaud...
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