Chapitre 2 : Le calme avant la tempête

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Après cette discussion avec Leya, je me sens bien plus sereine pour affronter cette nouvelle journée. Toujours dans le bureau soignant, ma collègue me fausse compagnie, me conseillant de prendre un peu de temps pour me rafraichir le visage avant de les rejoindre. Seule, dans cet espace lugubre, je me dirige vers une petite pièce annexe qui contient un lavabo. J’en profite pour me passer un papier humide sur les yeux afin d’effacer les quelques traces de larmes qui ont coulé sur mes joues. Quand je reviens dans la salle principale, Robin est assis sur une chaise, un dossier entre les mains.

— J’ai juste besoin de quelques infos, m’informe-t-il à la hâte, je ne serai pas long.

Il se reconcentre sur sa tâche mais, comme si une illumination traversait son esprit, il relève rapidement les yeux dans ma direction.

— Ça ne va pas ?

Son regard inquiet me désarme. Ses pupilles noisette qui me sondent me font perdre toute contenance. Mes mots s'égarent.

— Heu… non… si… ça va, ne t’en fais pas.

Il se lève d’un bond, faisant tomber tout le dossier qui était posé sur ses genoux. Il n’en fait pas cas et poursuit son mouvement. En un rien de temps, le voilà à quelques centimètres de moi. Un moment, il semble hésiter à me prendre dans ses bras, que je vois s’ouvrir prêts à m’accueillir, puis il se ravise et pose une main sur mon épaule. Avec un grand sourire , presque amical, il me déclare :

— Roxane, tu sais que tu peux me parler si tu en as besoin.

La douceur dans sa voix, et la sincérité qui l’accompagne, me feraient presque oublier que l’on passe notre temps à se déchirer.

« Ah non, Roxane ! » peste ma conscience « Tu ne vas pas nous refaire le coup de l’infirmière écervelée qui croit en un amour impossible ».

Non, bien sûr que non ! J’ai bien compris qu’entre ce bel interne et moi, il est temps de passer à autre chose et d’avancer sur deux chemins différents. Mais alors pourquoi continue-t-il à faire comme s’il se souciait de moi ? Je lui réponds en évitant son regard.

— Après ce qu’il s’est passé entre nous, je doute que tu sois la personne la plus indiquée pour apaiser mes maux. J’ai d’autres personnes sur qui compter, alors oublie-moi.

Je tente un départ précipité mais, comme à chaque fois que la conversation ne prend pas la tournure qu’il souhaite, il me retient.

— Tu veux parler de Liam ? questionne-t-il, une pointe de jalousie dans la voix. C’est certain qu’il sera plus que ravi de savoir qu’il a enfin le champ libre.

Sérieusement ? C’est le moment qu’il choisit pour me faire une scène de jalousie ! Il ne manque vraiment pas de culot.

— Je ne vois pas en quoi cela te regarde à présent. Maintenant si tu veux bien, j’ai des collègues qui m’attendent pour, tu sais, travailler.

Je joins la parole aux actes en me dirigeant de nouveau vers la porte. J’en ai assez de constamment devoir me justifier auprès de cet homme qui n’a pas les mêmes attentes que moi. Après tout, qu’est-ce que ça peut bien lui faire que ce soit Liam ou une autre personne qui me console. Nous savons tous les deux, qu’il finira par aller se consoler dans les draps d’Abby.A Alors que j'ouvre la porte, il ajoute :

— Les choses ne sont pas obligées d’être aussi compliquées entre nous. Ça…

— Il fallait réfléchir à ça avant de me faire croire que je comptais pour toi ! Maintenant, si tu veux bien, j’ai du boulot.

Un court instant, j’aimerais être dans ces films où le Bad-boy retient sa belle et l’embrasse passionnément pour ensuite lui dire qu’il l’aime et qu’elle a changé sa vie et sa vision de l’amour. Mais je reviens vite à la réalité quand je vois le beau brun se déplacer pour me laisser sortir.

Je me hâte, telle une proie qui vient d’échapper à son prédateur, bien contente d’en finir avec ce tête-à-tête.

— On en reparlera, finit-il par lâcher, alors que je suis déjà loin dans le couloir.

Bizarrement, le contraire m’aurait étonné. Rien n’est jamais clos avec lui, c’est bien là le principal problème entre nous.

Lorsque j’arrive dans la salle de jeux, les enfants sont tranquillement attablés autour de dessins et de coloriages. Seuls Kimberly et Ivan déambulent dans la pièce, incapables de se poser sur une activité. L’ambiance, bien trop calme, parait presque irréelle.

— Roxane, m’interpelle Orphé, tu peux venir m’aider ?

J’acquiesce en prenant place sur la chaise positionnée à côté du jeune garçon.

— En quoi puis-je t’être utile ?

— Il faut que tu colories là et là en rouge.

Il pointe à l’aide d’un feutre, les deux endroits en question. Je prends une minute pour observer sa production. Les couleurs utilisées sont très foncées : noir, bleu, marron… et mon regard se pose rapidement sur un semblant de bonhomme allongé au sol et entouré de rouge. Je pense ne pas trop me tromper si je m’avance à dire que le rouge représente le sang jaillissant du bonhomme. En prenant un peu de recul, je me rends compte que le dessin représente un accident de la route.

— C’est un bus qui a percuté une voiture, m’explique le garçon. Le conducteur de la voiture est passé à travers le pare-brise. Il faut que tu finisses de colorier le sang qui sort du monsieur.

En acceptant de l’aider, je ne m’attendais pas franchement à ça. Á neuf ans, j’étais plutôt branchée arc-en-ciel que crash automobile. Enfin, j’aurais sûrement été aussi traumatisée si j’avais été témoin de l’accident de voiture qui a tué mon père. Il y a des évènements qui changent totalement l'évolution d'un enfant.

Sa mère racontait, lors d’un entretien, que c’était un garçon plein de vie et souriant jusqu’à cette tragédie. Depuis, il est devenu colérique, ne supportant plus la moindre frustration à la maison. Les moments de séparation sont devenus de plus en plus difficiles à gérer pour la pauvre dame, car il lui donnait sans cesse l’impression d’être abandonné quand elle le laissait quelque part. En un an, il a été viré de trois écoles différentes pour agressivité physique et verbale envers ses camarades et ses instituteurs. Chez nous, le contact a été très difficile à nouer, mais il semble être en confiance à présent. Seules ses arrivées du lundi sont, parfois, mouvementées.

Depuis huit mois qu’il est dans le service, la prise en charge en psychothérapie lui a permis de travailler autour de son vécu traumatique mais, bien qu’il soit plus apaisé, il y a toujours des périodes plus compliquées. Dans ces phases creuses, il semble comme possédé, incapable de penser ou parler d’autre chose que des accidents de la route. Chez lui, le week-end, il pourrait passer la journée à regarder des vidéos sur internet. Dans le service, il multiplie les dessins, les discours sordides et les mises en scène. C’est un travail de longue haleine que de le canaliser et l’accompagner vers d'autres centres d'intérêts, dans ses moments-là.

— Tu ne veux pas qu’on fasse un dessin commun plutôt ? Je ne voudrais pas prendre le risque de gâcher ta production qui semble assez personnelle.

Il hésite un instant, puis répond.

— D’accord, mais on ne fait pas de licorne, j’suis pas une fille.

Un rire franc m’échappe.

— T’en fais pas, je ne sais pas les dessiner de toute façon.

Une fois que nous nous sommes mis d’accord, nous nous lançons dans la réalisation de la tour Eiffel. Bon je l’accorde, la licorne aurait sans doute était un choix plus facile mais à nous deux, on devrait y arriver.

Pendant près de deux heures, c’est le calme absolu dans le service. Pas d’appel téléphonique, pas d’intrusion de médecin, des enfants qui s’appliquent à leurs tâches. Il y a un mois, quand j’ai commencé, je n’aurais jamais pensé cela possible. C’est tellement rare d’arriver à les focaliser sur une activité tous ensemble plus de dix minutes, que là ça relève du miracle.

— On va bientôt goûter, annonce prudemment Astrid, rompant ainsi le silence ambiant. Vous commencez à ranger.

Le calme ambiant se dissipe en un rien de temps pour laisser place à une cascade de bruits en tout genre. Entre ceux qui font de la rétention de feutres, car ils n’ont pas terminé leurs chefs-d’œuvre, et ceux qui poussent la porte de la salle à manger, tels des affamés, chaque enfant joue un rôle majeur dans ce retournement de situation. Pour la troisième fois, je m'adresse à Orphé :

— Orphé il est temps de ranger !

— Non ! Hurle-t-il en s’agrippant au feutre gris, je n’ai pas fini !

— Nous aurons tout le temps de continuer un autre jour, mais il y a un temps pour tout.

Sans que je ne puisse rien anticiper, le garçon prend la boite de feutre et la fait voler à travers la pièce. Malheureusement, ils trouvent leur point d’impact sur le visage de Kimberly qui passait au même moment. Face à la surprise que lui a créé ce choc, Kimberly se précipite sur Dimitri, dont les cheveux dressés sur son crâne lui servent de défouloir.

En moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf, on est passé d'un moment de tranquillité à l’apocalypse. Comme quoi, il suffit d’un grain de sable pour faire dérailler un rouage sensible.

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