Chapitre 4 : À en perdre le sommeil
Je tourne et retourne dans mon lit, incapable de trouver le sommeil. La discussion que j’ai eue avec Tanya, un peu plus tôt, repasse en boucle dans mon esprit. Je m’étais promise de ne plus me laisser distraire et de partir coûte que coûte, mais est-ce vraiment ce que je souhaite ? Et puis la proposition de Tanya de me faire entrer dans son service est un bon compromis. Le dilemme est complet.
« Pars, Roxane ! », me souffle ma conscience. « C’est une occasion qui ne se représentera peut-être jamais. Si tu ne le fais pas, tu risques de le regretter »
Les yeux fixés sur le plafond, jauni par la lumière émise par ma lampe de chevet, j’entame un Pour/Contre qui pourrait peut-être m’aider à y voir plus clair.
— Pour, commencé-je à voix haute, c’est une spécialité qui m’intéresse. Contre : Je peux très bien accepter l’offre de Tanya pour travailler avec elle. Pour : mon père étant toujours absent, cela ne chamboulerait pas ses habitudes. Contre : cela me ferait passer encore moins de temps avec lui quand il n’est pas en voyage d’affaires. Pour : ça m’éloignerait de Robin. Contre : je ne crois pas que deux heures de TGV suffisent à le persuader de me laisser tranquille.
Et voilà, j’ai tout ramené à lui une nouvelle fois. Comment peut-il encore être le centre de mes préoccupations, après la douche froide que je me suis prise ? Après, sans vouloir lui trouver d’excuses, il est vrai que je ne l’ai pas franchement laissé s’exprimer, ce jour-là. Peut-être lui ai-je prêté des mots qui ne sont pas les siens ?
« Ah, non, Roxane, ne commence pas ! », rouspète ma conscience mécontente. « S’il pensait autrement, il se serait déjà manifesté. Tu sais qu’il ne s’avoue jamais vaincu et qu’il aime avoir le dernier mot. ».
Je suis forcée d’admettre qu’elle a visé juste ! Vu le caractère du bonhomme, il aurait déjà cherché à rectifier le cours des évènements. Il faut que j’arrête de me faire des idées. Même si les arguments de Tanya sont peut-être exacts, qu’est-ce qu’elle peut bien savoir d’un type qu’elle a vu une fois au cours d’une soirée pendant laquelle elle a plus cherché à le draguer qu’à le connaître.
J’éteins la lampe et ferme les yeux, espérant ainsi être rapidement emportée par le Marchand de Sable. Mon but était presque atteint mais c’était sans compter sur mon téléphone qui se met à vibrer.
« Qui peut bien appeler à une heure aussi tardive ? » se plaint ma conscience qui était visiblement déjà bien avancée dans le pays des merveilles.
D’un geste rapide, je saisis l’appareil, bien décidée à raccrocher sans répondre. Lorsque j’aperçois son nom apparaître sur l’écran, sans même me poser la moindre question, je réponds.
— Robin ? chuchoté-je comme s’il y avait quelqu’un à mes côtés. Tu sais l’heure qu’il est ?
— Heu…non, pas vraiment en fait.
Rien qu’à entendre sa voix forte et non contrôlée, je comprends instantanément qu’il a largement abusé de la boisson.
— Tu as bu ?
— Oh juste trois ou quatre petits verres rien de bien méchant, précise-t-il ironiquement. Tu sais, les petits shooters qu’on te sert dans les bars ?
Si cette information était censée me rassurer, c’est loupé.
— Tu ferais mieux d’aller te coucher ! Il n’est absolument pas l’heure pour une conversation profonde qui va encore mal tourner. Et puis tu n’es pas en état. On se voit demain au boulot. Bonne nuit.
— Je suis devant chez toi, annonce-t-il encore plus fort alors que j’allais raccrocher.
Je me précipite à la fenêtre et constate effectivement la présence d’une silhouette se tenant sur le perron. Mais non !
Je repositionnes mes rideaux et lui demande :
— Que fais-tu ici ?
— Bah je suis venu te voir, me dit-il d'une voix pateuse. Je roulais, encore et encore, et paf ! Je suis arrivé chez toi. Maintenant, si tu veux bien avoir la bonté de m’ouvrir, je t’en serais reconnaissant car il fait plutôt froid ce soir.
Il ne manque vraiment pas d’air. S’il pense que c’est comme ça que je vais céder, il se met le doigt dans l’œil.
— Hors de question, rétorqué-je aussitôt, appelle-toi un taxi et laisse-moi dormir.
— Tu vas vraiment me laisser repartir dans cet état ? lance-t-il d’une voix boudeuse. Tu n’es pas une très bonne infirmière finalement.
Sans raccrocher, je le vois rebrousser chemin jusqu’à sa voiture. La panique me gagne quand je le vois s’installer au volant.
— Mais qu’est-ce que….
Je n’ai le temps de finir ma phrase, que je suis interrompue par un coup de klaxon.
— Si tu ne me laisses pas entrer, je réveille tout le quartier! !
« Eh bien il semblerait qu’il ait vite dessoûlé, monsieur casse pied » s’insurge ma conscience.
— Tu n’oserais pas ?
En guise de réponse, un second bruit strident s’échappe de la voiture.
— J’arrive !
Je raccroche, énervée par le comportement complètement puéril de mon collègue. Sur mon passage, je m’empare d’un oreiller et d’un plaid, puis descends quatre à quatre les escaliers. Lorsque j’ouvre la porte, il est devant moi, sourire béat, tel un petit garçon qui a obtenu satisfaction. Evidemment, cela ne fait que renforcer l'agacement profond que je lui porte à ce moment là. Avant de finalemnt changer d'avis et lui claquer la porte au nez, je lui balance ce que j'ai dans les bras.
— Inutile de te montrer où est le canapé !
— Mais…
— Il n’y a pas de « mais ». Ma maison, mes règles ! Je suis fatiguée ! Bonne nuit.
Je tourne le dos et le laisse en plan dans l’entrée. L’alcool aidant, il ne me contredit pas et, pour une fois, il fait ce que je lui demande, non sans ronchonner.
Je n’arrive pas à croire qu’il ait osé se pointer chez moi, dans cet état lamentable. Heureusement que mon père est absent, car cette petite mise en scène lui aurait fortement déplu.
Je ferme la porte de ma chambre et retourne me glisser sous les draps. Un coup d’œil rapide à mon téléphone : 00h37. Une chance que je sois du soir demain !
Je fais tout mon possible pour trouver le sommeil mais, j’ai beau compter les moutons ou contrôler ma respiration, c’est peine perdue.
J’en suis à mon 1279 moutons quand la porte de ma chambre s’ouvre sur un Robin qui fait de son mieux pour être discret.
— Qu’est-ce que tu fais là ? marmonné-je en me redressant contre la tête de lit.
Il s’approche et s’installe sans même répondre.
— Par pitié, finit-il par lancer une fois installé. Tu pourras m’engueuler autant que tu veux demain, mais là j’ai la migraine et ton canapé n’est pas du tout confortable.
Il se tourne et passe un bras autour de moi. Sans me laisser le temps de répliquer, le voici déjà dans les bras de Morphée.
Trop fatiguée pour lutter, je me positionne sur le côté et vient caler mon dos contre son torse. En un instant, une sensation de bien-être m’envahi et la fatigue me gagne. J’avais oublié comme il est agréable d’être dans ses bras. Lovée contre lui, mes paupières se font lourdes et je sombre dans un sommeil profond.
Lorsque le réveil sonne, nous sommes dans la même position que la veille. C’est alors que les derniers évènements me reviennent en mémoire. D’un geste brusque, je quitte le lit sans faire cas du beau brun qui dort encore.
— Reviens te coucher, me supplie-t-il d’une voix encore endormie, alors que j’allais quitter la pièce.
— Certainement pas. Pour ton information, il est huit heures. Tu vas être en retard.
— Je suis médecin, je fais les horaires que je veux, réplique-t-il en s’installant sur le ventre. Et puisque tu es du soir, huit heures c’est beaucoup trop tôt pour mettre son réveil.
La coupe est pleine.
— Si l’heure de mon réveil ne te convient pas, tu n’avais qu'à dormir chez toi. Maintenant, si tu n’es pas parti de chez moi dans dix minutes, je balance tes affaires sur le trottoir.
Je claque la porte et dévale les escaliers si vite que je manque de trébucher en loupant une marche. Ce n’est que lorsque Robin me rattrape par le bras que je prends conscience de sa présence derrière moi.
J’ai vraiment échappé belle, je n’imagine même pas la scène d’horreur s’il n’avait pas été là. Je n’ai pas le temps de reprendre mes esprits, que le beau brun s’impatiente.
— Tu vas m’expliquer ce qu’il te prend.
Son regard froid ne laisse rien présager de bon. Seulement, si monsieur n’est pas matinal, cela ne me regarde pas. Après sa petite scène d’hier soir, il ne pensait tout de même pas que j’allais lui faire des courbettes ce matin.
— Et tu oses me demander ? Tu te pointes chez moi, complètement alcoolisé, tu me fais du chantage, tu t’imposes dans mon lit et tu te poses la question ?
Face à mon constat, il se radoucit.
— Roxane, je…
— Je croyais pourtant que tout était à présent clair entre nous, le coupé-je indisposée à l’écouter davantage. Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi. Maintenant sors de chez moi et sors de ma vie, par la même occasion.
Je lui tourne le dos et m’apprête à aller vaquer à mes occupations.
— Je t’aime…
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