Chapitre 7 : Un dragon déchu
C’est sur un petit nuage flottant à mille lieues au-dessus du sol, que je me dirige vers le bureau soignant.
En entrant, j’ignore Marina qui peste, parce que j’ai un léger retard, et me dirige vers la première chaise libre que je vois. J’ai la tête ailleurs, si bien que je manque le siège et finis les quatre pattes en l’air, face au reste de l’équipe complètement hilare.
— Tu as fumé quoi avant de venir ? me questionne Astrid sans s’arrêter de rigoler.
— Rien de bien costaud, j’espère ! rétorque Leya tout aussi animée. Parce qu’il va falloir assumer la soirée de boulot.
Je me redresse rapidement, sourire aux lèvres et, sans leur répondre, je reprends place convenablement.
— Pardonnez-moi, mais certains aimeraient rentrer chez eux, s’impatiente la rousse draconienne. Roxane, tu as fini tes pitreries ?
Au même moment, Lucas entre dans le bureau, accompagné de Robin et François.
— Les transmissions sont finies ? s’intéresse-t-il en prenant place sur le bureau. Nous avons des informations à vous transmettre.
La chaise qui était restée vide à mes côtés, est maintenant occupée par un interne au sourire niais. Son humeur enjouée, qui dénote complètement avec son attitude froide et distante de ces derniers jours, ne semble pas échapper à Leya qui me lance un regard entendu qui veut dire « il faut qu’on cause ».
— Bah non, rétorque vulgairement Marina comme si Lucas était un ami de toujours. On attendait l’autre là.
Tout en adressant un regard exaspéré à notre cadre, elle me pointe du doigt. Robin, qui doit sentir mon agacement naissant, pose une main bienveillante sur mon épaule.
— Je t’avais pourtant précisé de les faire sans Roxane, s’impatiente Lucas. Du coup nous allons commencer par les informations que nous avons à vous donner puis vous ferez les transmissions. Inutile de compter vos heures supplémentaires, elles vous seront refusées. Vous pouvez remercier votre collègue, Marina, qui en a encore fait à sa tête.
Des gémissements de protestation se font entendre par l’équipe du matin qui est contrariée de subir, une nouvelle fois, les négligences de leur collègue.
— Inutile de râler, ma décision est prise, conclut-il en guise de réponse. Si on en revenait à notre présence ici, hein ? François, je vous laisse la parole.
Comme s’il sortait d’une sieste, le pédopsychiatre semble prendre conscience de l’endroit où il se trouve.
— Ah oui, merci Lucas. Bien, commence-t-il, en se raclant la gorge, vous n’êtes pas sans vous rappelez qu’il y aquelques semaines je devais vous présenter deux enfants, mais que je me suis ravisé pour ne pas perturber la dynamique du groupe ?
Tout un tas de hochement de tête se fait voir dans la salle.
— Je vous les présenterai vendredi.
— Tous les deux ! proteste Leya.
— Affirmatif. Pour l’un, comme pour l’autre, leur situation s’empire de jour en jour. Je vous en parlerai plus en détail à la fin de la semaine, mais ils viennent d’être placés en urgence et il nous faut intervenir.
— Une fratrie ? s’étonne Vanina. Mais on n’est pas censé les recevoir dans deux services différents ?
— En théorie, si, acquiesce le médecin. Mais faute de place, on ne va pas tirer au sort lequel on soigne.
Un mouvement de protestation se fait entendre dans la salle, vite arrêté par l’intervention de notre exaspérante collègue.
— Non mais c’est quand même barjot ! s’offusque le dragon du service. Vous êtes au courant que dans quelques semaines on sera une personne de moins dans l’équipe ?
— Ah oui ? Et faute à qui ! s’impatience Robin, qui jusque-là prenait connaissance des dossiers. Et puis, je ne crois pas que tu sois en mesure de discuter une décision prise par le médecin de ton service. Tu es infirmière, alors reste à ta place !
Cet élan d’autorité de la part de notre interne clôture une bonne fois pour toute le débat qui commençait. Toute l’équipe semble surprise des propos de Robin, moi la première. Je ne le pensais pas si protocolaire d’un point de vue hiérarchique. En parallèle, rien qu’à voir la tête frustrée de ma collègue, je me réjouis intérieurement que quelqu’un a eu la décence de la recadrer.
— Enfin, ce n’est pas ma faute si Roxane est aussi douée avec les enfants qu’un golfeur qui veut se mettre au football. Je ne suis quand même pas responsable de l’incompétence des nouvelles recrues, si ? lâche-t-elle venimeusement, créant la stupéfaction générale. De toute façon, si je n’étais pas là, cette équipe partirait à la dérive totale.
Ma bonne humeur du jour me permet de passer complètement outre sa remarque désobligeante, ce qui, ne semble pas être le cas du reste de l’équipe. Même Paul, son acolyte de toujours, la regarde d’un œil mauvais.
— Marina, ton comportement va beaucoup trop loin, intervient notre cadre qui semble être arrivé à bout de patience. Je te demande de quitter le service, avec effet immédiat. Inutile de venir travailler demain et les jours suivant. Tu es en congé forcé jusqu’à ce que la direction se prononce sur ton avenir ici.
Le silence plombant qui s’installe, témoigne de la tournure inattendue qu’à pris cette réunion. Bien que ce ne soit pas dans mes habitudes de me délecter du malheur des autres, j’éprouve une profonde satisfaction. Depuis mes premiers pas dans ce service, je me bats contre cette maltraitance qu’elle ne cesse de m’infliger. Aujourd’hui, je suis soulagée de constater que mes efforts n’ont pas été vains et qu’une justice est toujours possible, même dans les situations les plus complexes.
Après avoir adressé un regard haineux à l’ensemble de l’équipe, Marina quitte la pièce sans rien ajouter.
C’est ainsi que la réunion exceptionnelle s’achève, laissant place aux transmissions inter-équipe, puis au départ de l’équipe du matin.
— Wow, si je m’attendais à ça en prenant mon poste tout à l’heure, souffle Leya en s’affalant dans le dossier de sa chaise.
— C’était violent quand même, non ? s’interroge Eugène en rangeant les dossiers qui traînent sur le petit bureau.
— On ne peut nier qu’elle l’a bien cherché !
— Avec ce qu’elle t’a fait vivre, Roxane, je comprends ton positionnement, intervient Vanina, mais il faut admettre tout de même que Lucas à manquer de forme. Il aurait dû la convoquer dans son bureau et régler ce différend en tête-à-tête, au lieu de le faire en équipe entière.
— Arrêtons d’être hypocrites ! On attend ça depuis longtemps alors soyons simplement contents d’avoir pu nous délecter du spectacle, conclut Leya. C’est pour toutes les fois où c’est elle qui nous a ridiculisés. Et puis avec ce qu’elle a dit sur le fait que sans elle, l’équipe coulerait, j’espère clairement qu’elle ne reviendra pas. Je ne comprendrais jamais ces personnes qui se pensent si indispensables.
Astrid, Eugène et Vanina lui font un signe de tête entendu, bien qu’ils ne semblent pas réellement convaincus des propos de notre collègue. Finalement, elle se tourne vers moi mais, bizarrement, pas pour avoir mon approbation sur ces propos.
— Alors, me lance-t-elle avec un sourire de toute ses dents, c’est reparti avec Robin à ce que je vois.
Le rouge me monte aux joues, je baisse les yeux, honteuse.
— Hein ? Quoi ? s’exclament Astrid et Vanina en cœur.
— Non pas du tout, mens-je sans conviction aucune. Nous avons juste enterré la hache de guerre.
— Oh, pas à moi, me charrie ma collègue. Je sais que j’ai mal réagi au début, mais je me suis faite à l’idée, alors inutile de nier. En plus vous n’avez pas vraiment été discrets. Toi avec ton air perché et lui avec son sourire niais.
Elle marque un point. C’est vrai que cela fait une drôle de coïncidence en un temps si réduit. Elle me fait un clin d’œil amical, ce qui fait disparaître la gêne qui me gagnait.
— Mais, tu as remarqué ça, toi ? questionne Vanina intriguée.
— Je remarque tout, plaisante la belle brune. Enfin, ne faites pas les innocentes, les filles, lance-t-elle en direction d’Astrid et Vanina, vous aviez des doutes vous aussi. Seulement, j’ai eu la confirmation il y a quelques semaines, quand je me suis pointée chez Roxane et que Robin lui mettait la table.
Tous les regards se braquent instantanément sur moi. Même Eugène prend part à cette conversation cent pour cent féminine, avec beaucoup d’intérêt.
— Leya a raison. Et pour répondre à sa question, oui nous sommes de nouveau ensemble.
Je m’attendais à tout un tas de réflexions désapprobatrices et autres véhémences mais au lieu de ça je contemple le spectacle qui s’offre à moi. Mes quatre collègues, tous plus délurés les uns des autres, sont en pleine danse de la joie, ce qui me déclenche un fou rire à m’en torde le ventre. Jamais, depuis le début de ma prise de fonction, je n’aurais pensé passer un moment aussi léger au travail. Mes larmes coulent, mais, pour une fois, ce n’est pas de la tristesse.
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