Chapitre 9 : Roi Soleil et Interrogations

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Je suis à peine garée sur le parking de l’unité, que mon téléphone annonce la réception d’un sms.

Robin :

« Ne t’en fais pas pour le petit déjeuner à moitié nu, ce n’est que partie remise. Préviens-moi quand tu es arrivée sur le parking, j'ai une folle envie de t’embrasser. »

Je ne peux m’empêcher d’esquisser un magnifique sourire, tout en lui répondant.

Roxane :

« Arrivée à bon port. Je te préviens, je commence dans quinze minutes. »

Comme s’il était accroché à son téléphone, sa réponse est instantanée.

« Si tu savais tout ce qu’il est possible de faire en un quart d’heure et, surtout, tout ce qui me traverse l’esprit, là, maintenant. À tout de suite princesse. »

Il est incorrigible. Je crains bien que l’on devienne ce genre de couple constamment branché l’un à l’autre. Enfin, vu les débuts désastreux que l’on a connus, ce ne serait qu’une belle revanche de prise.

Je parcours les story Snapchat de mes amis, lorsqu’on frappe à la vitre côté conducteur. Quand je tourne la tête, j’aperçois mon beau brun en pleine grimace, tel un enfant de cinq ans. Je rigole à gorge déployée, tout en descendant de la voiture. J’ai à peine le temps de refermer la portière que Robin me plaque contre celle-ci et m’embrasse tendrement, ses deux mains posées sur chacune de mes joues.

— Bonjour mademoiselle Touerya. Très joli maquillage.

Son souffle contre mes lèvres réveille instantanément ma déesse intérieure.

« Ah non, Roxane, ressaisis-toi ! », peste ma conscience. « Tu es sur ton lieu de travail tout de même »

Pour répondre, je prends ma voix la plus sensuelle.

— Bonjour, monsieur Echurti.

— Si nous n’étions pas au boulot, tu serais déjà allongée sur cette banquette arrière.

Entre sa protubérance que je sens grandir à travers son jean et son regard de braise qui se pose sur ma bouche, si je n’ai pas un peu d’air dans les minutes qui suivent, je suis capable de faire une grosse bêtise.

C'est finalement une voix féminine qui nous interrompt :

— Ah bah on ne se cache même plus à ce que je vois.

Je repousse mon bel amant qui boutonne rapidement sa blouse au niveau du pantalon, espérant sûrement masquer son début d’excitation. En une fraction de seconde je passe d’un état complet de bien être à une panique totale, jusqu’à ce que je découvre l’identité de la personne qui a parlé.

Leya, adossée contre sa polo noire toute cabossée, nous regarde avec un sourire montant jusqu’aux oreilles. On pourrait presque croire qu’elle se délecte de l’effroi qu’elle vient de provoquer.

— Heureusement que ce n’est que moi. Mais vous feriez tout de même bien d’être un peu plus discret, tous les deux.

De son doigt, elle nous désigne à tour de rôle et reprend plus sérieusement :

— Même si notre dragon est hors-service, je doute fortement que monsieur Barts, ou un autre de ces tocards de la direction, apprécieraient cette petite découverte.

— Pour le DRH ça devrait aller, réplique Robin, il est déjà au courant.

Si ce petit rappel ne ranimait pas en moi une petite pointe d’agacement envers mon beau brun, je serais sûrement hilare face à la mine décomposée de Leya. Elle ressemble presque à ces personnages de cartoons qui ont les yeux qui quittent leur orbite.

— Qu…Quoi ? C…Comment a t-il su ?

— Il semblerait qu’un certain interne ait jugé opportun d’aller tout lui raconter pour quémander un changement de service, expliqué-je, en taquinant le brun en question.

Je vois l’expression du visage de ma collègue changer instantanément.

— Attend, ça veut dire que vous allez partir tous les deux ?

Robin pose une main amicale sur l'épaule de notre collègue.

— Ne t’en fais pas. À cause, ou grâce je n’ai pas encore décidé, à cette petite furie qui me sert de copine, il a refusé.

— Donc il va vous laisser dans le même service, alors que vous sortez ensemble ? Je n’y comprends plus rien !

Elle semble réfléchir puis nous fait un grand sourire. Ah Leya ! Elle me fait tellement rire avec tous ces changements d’humeurs. On dirait presque Robin au féminin.C'est avec un sourire nouveau qu'elle reprend :

— Je ne savais pas que c’était possible mais tant mieux pour moi. Au moins je ne vais pas avoir à perdre une super collègue et un médecin presque bien.

— Mais… réagit Robin l’air faussement frustré.

Je me glisse dans ses bras et lui répond :

— Ne te vexe pas. Dis-toi que ton statut a bien évolué depuis ton arrivée, aux yeux de cette jolie brune. Il y a peu, tu étais encore l’archétype de l’interne qui se pavane mais qui n’est jamais là. Un peu comme Louis XIV. Un petit monarque qui veut que l’on exécute ses ordres sans se plaindre.

Je rigole alors que je sens le brun se crisper de tout son être. En signe de réprimande, la brune m’assène une légère tape sur l’épaule.

— Mais je n’ai jamais dit ça, se dédouane-t-elle, rieuse. Qu’elle chipie celle-ci.

Notre interne me repousse doucement et conclut :

— Peu importe. Le roi Soleil doit aller travailler. Et vous deux, femmes de ma basse-cour, je vous ordonne de faire de même.

Son ton théâtral, sa posture droite comme un « i » et sa pseudo salutation de la main, ne lui vont pas du tout. Mais qu’est-ce que c’est drôle de le voir ainsi. Même Leya ne peut se retenir d’exploser de rire.

Hilare, je rentre dans son jeu et prends mon air le plus guindé :

— On dit « femme de la cour, Sir ».

— Certes, mais deux ricaneuses telles que vous n’ont pas leur place dans la cour du roi. En revanche, dans un spectacle face à des poulets…

Il rigole sans même finir sa phrase. Dans un même élan avec ma collègue, nous le gratifions de deux claques sur les bras, ce qui ne l’empêche pas de continuer à rire tout seul.

— Bon, se reprend-t-il. Il faut vraiment que j’y aille, j’ai une réunion avec les médecins des services adultes.

Il m’embrasse tendrement et, comme gêné de ne savoir quelle attitude adopter face à Leya, il lui fait un petit signe de la main. Sans même nous concerter, nous lui faisons une révérence. Un franc sourire vient illuminer son visage avant qu’il ne nous tourne le dos. Je le regarde s'éloigner en direction du grand magnolia qui trône fièrement au milieu de la place, prête à me perdre dans mes pensées, quand ma collègue intervient :

— C’est beau de vous voir comme ça.

Je me retourne vers elle, et constate qu’une pointe de tristesse perle dans son regard.

— Alors pourquoi tu sembles avoir perdu ton chien ?

Je tente un peu d'humour, mais sa nostalgie semble plus profonde.

— C’est juste que dans quelques semaines tu vas partir loin et, si vraiment c’est sérieux entre vous, il ne va pas tarder à te suivre. Avec le départ de Marina, car clairement je ne pense pas que Lucas la réintégrera dans l’équipe, un nouveau souffle va être influé, une nouvelle dynamique se mettre en place. Mais tout va partir en fumée quand tu partiras. Crois-moi, je ne t’en veux pas d’aspirer à autre chose, Roxane, c’est juste que je suis certaines que l’on aurait pu devenir de bonnes amies.

Je prends un air faussement outré.

— Et moi qui pensais que nous l’étions déjà. Tu crois vraiment que deux heures de train vont me faire oublier mes amis d’ici ? Et puis, mon père reste, lui, je vais bien être obligé de venir le voir.

Une lueur passe dans ses yeux et son sourire réapparraît, alors qu’elle passe son bras autour de mes épaules pour nous diriger vers l’entrée du service.

— De tout façon, ne pense même pas à te débarrasser de moi comme ça. Tu sais, madame l’infirmière des soins généraux, on n’oublie pas ses collègues de psy aussi facilement. On est tellement zinzins, qu’on reste gravé dans les caboches.

Nous rigolons face à la grimace qui ponctue son discours. Il est certain que je ne risque pas de l’oublier, ni elle, ni Astrid ou Vanina qui sont tout aussi déjantées, ni même Eugène le seul quinquagénaire que je connaisse qui fasse de la balançoire. Même si tout n’a pas toujours été très jovial entre nous, ils restent, à eux quatre, ma première équipe, celle qui m’a ouvert la voie de l’après diplôme.

Plus les jours avancent, plus ce départ me questionne. J’ai l’impression de ne pas partir pour les bonnes raisons, d’abandonner ceux que j’aime et de fuir des problèmes qui, pour le moment, n’existent plus. Peut-être que finalement, Lucas avait raison en me disant qu’en un mois et demi, envisagé un départ serait prématuré, seulement, je ne me vois pas faire marche arrière. J’ai clamé haut et fort que je suis née pour les soins généraux et j’ai fait des milliers de lettres et de CV en ce sens. Je ne peux pas me raviser, pour qui je passerais ?

Tout en tentant de cacher les interrogations qui germent dans mon esprit, j’enfile ma blouse, persuadée qu’elle m’aidera à y voir plus claire. Seulement, j’y est peut-être pris goût finalement à ne porter que le haut, car rien ne se passe. C’est l’arrivée de nos deux autres collègues féminines, qui me sort de mes tourments.

Elles sont toutes deux dans un état d’euphorie complet. Elles essayent tant bien que mal de nous expliquer les raisons, entre deux éclats de rire. De ce que j’en comprends, Vanina est allée chercher Astrid chez elle, comme souvent puisqu'elles font du co-voiturage, et la grande blonde ce serait pris la baie vitrée de son immeuble en dévisageant maladroitement un homme qui y pénétrait. En observant bien la jeune femme, il est vrai que l’on peut constater une marque rouge sur la base de son front.

— J’espère au moins qu’il était canon, se moque Leya, car vu le bleu que va laisser la collision, tu en as pour quelques jours de fond de teint haute couvrance.

La moue boudeuse de notre collègue ne fait que renforcer l’hilarité générale. Il semblerait que c’est une journée pleine de joie qui nous attend. Je ne vais pas m’en plaindre, le côté « drama » des premières semaines ne me manque absolument pas. C’est exactement ainsi que je m’imaginais travailler lorsque j’ai été diplômée, dans une ambiance légère, avec des collègues déjantés. Dans la bonne humeur, tout simplement.

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