Chapitre 11 : On joue les prolongations

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La réunion s’achève sur les belles paroles de notre cadre, qui nous exprime sa confiance envers notre travail. C’est avec une mine clairement dépitée que chacun range ses affaires avant de quitter les lieux. Je m’apprête à suivre le groupe quand Lucas me retient.

— Roxane, j’aimerais te parler, on peut se voir dans mon bureau ?

Sa question sonne plus comme un affirmation qu’un réel choix. Un regard rapide vers Robin et je comprends qu’il est tout aussi surpris que moi par cette initiative de mon cadre. J’acquiesce d’un mouvement de tête et lui emboîte le pas jusqu’à la petite pièce. J'ai à peine le temps de franchir le seuil de son bureau, qu'il s'exprime :

— J’ai un service à te demander.

Son air sérieux et ses yeux plein de détresse me font penser que l’heure est grave. Il semble porter toute la misère du monde, ce qui n’annonce rien de bon pour moi. Qu’est-ce que j’ai bien pu faire, encore ? Je tente une blague, espérant ainsi détendre l'atmosphère pesant qui est en train de se mettre en place :

— Tant que tu ne me demandes pas d’aller travailler avec Marina chez les adultes, je suis toute ouïe.

Il fronce les sourcils face à ma remarque qu’il prend sûrement comme déplacée. Depuis l’affaire Dimitri, je ne l’avais pas revu aussi tendu. Après avoir pris une longue inspiration, il plante ses deux prunelles azur dans mes yeux et se lance :

— J’aimerais que tu restes !

« Quoi ? Mais c’est quoi ce bordel ? Il n’est pas sérieux tout de même ? » s’étonne ma conscience.

— Hein… je... je ne comprends pas.

Ma surprise est telle, que je n'arrive pas à formuler une phrase convenable. De son côté, il a l'air beaucoup plus confiant et c'est avec une détermination certaine qu'il poursuit.

— Tu es un bon élément, Roxane. Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas eu une recrue qui a su mettre en place un si bon lien avec les enfants. Cela paraîtrait presque inné chez toi. On a besoin de toi.

Intérieurement j’hésite entre la danse de la joie et un piquant rappel à l'ordre. D’accord, recevoir des compliments c’est toujours gratifiant, mais c’est tout de même culoté de me les faire maintenant que tout va mieux dans le service et que je suis sur le départ. Pendant des semaines, j’ai vécu un tourbillon émotionnel infernal, espérant qu’un jour mon cadre prenne position et me montre un peu de soutien. Certes, il a fini par le faire, hélas, un peu trop tard à mon goût car le mal est déjà subi. Incapable d'en entendre davantage, je me lève et m'excuse.

— Je suis désolée, Lucas. Ma décision est prise. Je suis vraiment honorée de tous les compliments que tu me fais, seulement il est un peu tard pour me retenir.

Je vois la lueur d’espoir s’éteindre dans ses yeux. Il n’espérait tout de même pas que deux petits compliments rattraperaient tous les efforts qu’il m’a demandés de faire et surtout le chantage quant à ma relation avec Robin. Je sais qu’il n’est pas méchant, qu’il a juste fait les mauvais choix, par dépit, pour remettre un peu d’ordre dans cette équipe qui partait à la dérive. Seulement, il s’est attaqué à la personne à l’égo le plus démesuré de l’équipe.

Dans un dernier élan d'espoir, il tente tout de même :

— Est-ce que tu serais au moins partante pour prolonger d’un mois ? Je sais que Bordeaux ne t’attend pas avant janvier et ton contrat s’arrête fin novembre. Comme on est fermé pour les deux semaines de vacances de Noël, prolonger jusqu’au trente-et-un décembre, reviendrait à ne travailler que deux semaines de plus.

Je dois admettre que ses arguments sont percutants. Il est vrai que cette solution m’éviterait un mois sans salaire pour la période des fêtes de fin d’année. Et, comme j’aurais deux semaines de libre, j’aurais quand même du temps pour me trouver un logement à Bordeaux.

« Tu faiblis, Roxane » s’insurge ma conscience. « Toi et tes petits principes, je sens que vous allez encore m’en faire baver ! »

Comme souvent, elle est loin d’avoir tort. Si je pense de façon purement professionnelle, ce serait irresponsable de laisser le service, et surtout les enfants, en difficulté.

— J’accepte ! En revanche, je veux être facilement libérée pour l’entretien d’embauche. Je ne veux pas avoir à batailler pour poser ma journée.

Sans même réfléchir, il me tend sa main :

— Parfait, ta date sera la mienne.

— Enfin, ce sera plutôt celle de Bordeaux. Ils ne vont pas me laisser beaucoup de choix.

Une poignée de main plus tard, me voilà libre de rentrer chez moi.

En sortant du service, je repense encore à la demande de Lucas. Bien que j’ai pu paraître un peu condescendante, je dois admettre que cela me fait plaisir de rester un plus longtemps. Au risque d’être un peu sentimentale, je m’y suis attachée à ses gamins.

L’air frais sur mon visage me fait un bien fou. Je ferme les yeux, pour profiter pleinement de cette odeur si particulière qu’offre l’automne. Un doux mélange de feuilles desséchées et de terre humide. Bon d’accord, ce n’est pas très floral ! Mais suis-je vraiment la seule à aimer le parfum qui se dégage après un gros orage, quand la sècheresse laisse place à la pluie ?

« J’ai toujours dit que tu es bizarre » me pique ma conscience, rieuse. « Comme si les autres allaient sniffer le goudron ou la pelouse après une averse ».

Oh ça va ! Je suis certaine que je ne suis pas la seule à profiter des choses simples de la vie.

Le débat prend fin, quand deux mains rugueuses se posent sur mes yeux.

— Devine qui c’est !

Malgré l’effet aigu et enfantin qu’il a cherché à donner à sa voix, inutile de chercher bien longtemps pour savoir qui se cache derrière moi. Je décide d’en profiter un peu pour taquiner mon beau brun.

— Hum…. Ah, père Noël vous tombez bien ! J’ai besoin d’un nouveau petit ami pour l’an prochain. Vu que je vais partir, il va m’en falloir un plus proche de chez moi.

En guise de réprimande, il se met à me chatouiller au niveau des hanches tout en prenant un air faussement vexé :

— Tu vas voir si tu vas te débarrasser de moi comme ça !

Au vu de mon rire incontrôlé, il est inutile de préciser que c’est l’un des endroits le plus sensible. Ne parvenant plus à reprendre ma respiration, tant je ris, je le supplie :

— Arrête... par pitié ! J'ai des crampes à trop rigoler ...

— Seulement si tu retires ta demande au père Noël.

J'acquiesce, en prenant mon air d'enfant qui vient de faire une bêtise :

— D’accord ! Père Noël, je retire ma demande.

Son petit air satisfait me ferait presque regretter d’avoir céder si facilement. Sans que je ne puisse répliquer quoi que ce soit, ses lèvres viennent à la rencontre des miennes et je me laisse emporter par cet instant de douceur.

Quand je suis dans ses bras, j’oublie tout ce qui est autour de moi. Je suis automatiquement transportée dans une bulle d’espace-temps qui balaye toutes les barrières qui pourraient se dresser dans mon esprit.

— Hum, hum…

Ce raclement de gorge nous fait instantanément retrouver à la raison.

« Eh oui, vous êtes encore au boulot » me rappelle ma conscience, mécontente.

Je reprends rapidement mes esprits au moment où je me retrouve confrontée à mon cadre. Son air désapprobateur n’annonce rien de bon.

— C’est une chose de savoir que vous fricotez tous les deux, s’en est une autre de vous surprendre sur votre lieu de travail.

Je baisse les yeux, un peu honteuse d’avoir été prise en flagrant délit, ce qui n’est pas le cas du beau brun qui ne tarde pas à rétorquer.

— Excusez-nous, Lucas, ça ne se reproduira plus.

— J’espère bien, car, bien que je vous apprécie tous les deux pour votre travail assidu, je ne peux pas commencer à faire des exceptions. Le règlement de l’hôpital est clair concernant les relations au travail, alors, s’il vous plait, ne m’obligez pas à le mettre en application. D’autant plus que Roxane a accepté de prolonger sa présence parmi nous d’un mois.

Bien que je sois fixée sur mon cadre, je sens le regard persan de Robin dans ma direction. Je l’ignore pour rester concentrée sur les paroles de Lucas.

— Quand elle nous aura quittés, vous serez libre de faire ce que bon vous semble. En attendant, tenez-vous tranquille, suis-je clair ?

— Limpide.

Je réponds automatiquement, alors que notre interne se contente d’un hochement de tête.

— Parfait !. Dans ce cas, je vous souhaite un bon week-end à tous les deux. Et, par pitié, évitez de vous refiler des maladies. Il n’y a pas mal de rhumes qui trainent en ce moment et ce serait embêtant d’avoir deux agents en moins dans l’équipe.

Nous rions, il nous fait un clin d’œil et, sans même attendre une réponse de notre part, il s’éloigne en direction de sa voiture.

Alors que je refais face à mon beau brun, je ne peux ignorer son sourcil relevé qui lui donne un air interrogateur :

— Tu m’expliques ?

— Avec le transfert de Marina, Lucas m’a demandé si je pouvais rester un mois de plus pour que la direction ait plus de temps pour trouver à nous remplacer toutes les deux.

Il me prend dans ses bras en se réjouissant :

— Mais c’est génial. On va avoir un peu plus de temps pour se voir.

Il semble tellement innocent quand il se montre si enjoué que j’ai l’impression d’avoir affaire à un enfant le soir de Noël.

— Puisque tu viens chez moi ce soir, on va pouvoir fêter ça.

Mon euphorie redescend instantanément.

« Après ce que tu vas lui annoncer, lui aussi il va redescendre de sa planète Cupidon » se moque ma conscience.

A priori je suis incapable de cacher ma contrariété puisqu'il s'inquiète :

— Il y a un problème ?

Je me mets à regarder mes pieds.

— Je ne vais pas pouvoir venir ce soir. Mon père est de retour et j’aimerai passer un peu de temps avec lui.

Sans même que j’ai à le regarder, je sens son corps se tendre. Une tempête est sur le point d’arriver.

— Samedi et dimanche ce n’est pas suffisant ?

Bon, ok, mes arguments viennent littéralement de prendre l’eau. Je relève la tête, pour faire face à son air désapprobateur et je réplique.

— Je ne suis pas à l’aise à l’idée de venir chez toi.

— Alors tu t’es dit que me sortir l’éternel argument de « mon père est en ville », allait suffire à ce que j’abandonne l’idée ?

— Je pensais que tu comprendrais. Désolée de ne pas être comme toi et de ne pas passer mon temps à m’imposer chez les autres.

Je l’observe se figer sur place, en prenant conscience de mes mots. C'est avec un calme olympien qu'il rétorque :

— Si c’est ce que tu penses de moi, alors il vaut mieux, en effet, que l’on ne se voie pas du week-end.

Sans me laisser aucune possibilité de réponse, il tourne les talons et se met en direction de sa voiture. Je le regarde, interdite, quitter le petit parking du boulot.

« Bien joué, Roxane, tu viens encore de tout gâcher ! »

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